« Nous avons initié une collection avec Hervé, mon mari, il y a une vingtaine d’années. Nous avons commencé par nous offrir mutuellement des pièces, sans intention initiale de collectionner, mais probablement pour communiquer autrement, en nous exprimant à travers les œuvres. Au fil du temps, cet échange a pris de l’ampleur et a donné naissance à un ensemble conséquent. Cela nous a poussés à prendre du recul pour le considérer comme une collection à part entière et identifier un fil conducteur entre ce qui le composait. »

« Ce thème, bien que large, était radical : il s’articulait autour des excès de l’être humain, qu’ils soient individuels (maladie, traumatisme, autodestruction, révolte…) ou collectifs (oppression, violence, guerre…). Nos premiers achats l’abordaient de manière frontale, avec des œuvres marquantes, comme les séries photographiques de Jeffrey Silverthorne ou d’Andres Serrano réalisées dans des morgues. Aujourd’hui, notre démarche a évolué et nous privilégions des recherches plus spécifiques, car il s’agit désormais de compléter un ensemble déjà cohérent. »

« Tout travail qui entre dans notre collection doit être validé par le couple. C’est un principe d’acquisition fondamental que nous suivons depuis le début. Chaque acquisition garde la trace d’un moment partagé, d’échanges et de réflexions à deux. C’est là tout le sens de notre collection, elle est le fruit d’un dialogue intime. Notre plaisir d’acquérir une œuvre est intrinsèquement lié à celui de la découverte, de la confrontation des idées et des discussions qu’elle suscite entre nous. Qu’éveille-t-elle en nous, profondément ? C’est une question centrale dans notre démarche. Nous prenons ensemble toutes les décisions, sans comité ni conseiller·ère. Aujourd’hui, notre collection comprend près de 900 œuvres d’artistes internationaux·ales. Elle est composée d’environ 40 % de photographies, 40 % de peintures et de dessins, et 20 % de sculptures, d’installations, ainsi que de quelques vidéos, principalement des performances filmées. »

« Nous avons toujours voulu partager nos œuvres, en les accrochant chez nous mais aussi au sein de l’agence de communication d’Hervé. C’était déjà une façon de dialoguer avec notre entourage : la famille, les ami·e·s, mais aussi nos client·e·s. En 2009, nous avons créé la Fondation d’entreprise Francès, née de nos activités : Okó, l’agence de communication d’Hervé, et ARROI, ma société d’ingénierie culturelle. Cela pour structurer ce partage grâce à un outil professionnel entièrement indépendant, nourri de nos seules ressources et dédié à la diffusion de cette collection. Nous l’avons implantée à Senlis, dans l’Oise, un territoire des Hauts-de-France qui manquait alors de dynamique artistique contemporaine. Ce choix nous a permis de sensibiliser des publics divers, parfois confrontés à des œuvres qui pouvaient heurter ou surprendre. Face à des visiteur·euse·s peu habitué·e·s à l’art contemporain et souvent réticent·e·s à être bousculé·e·s, il était essentiel d’accompagner leurs découvertes par une médiation spécifique. Je crée alors en 2013 La Fabrique de l’Esprit®, un programme éducatif et pédagogique qui nous a permis d’instaurer un véritable dialogue autour des œuvres, favorisant ainsi une meilleure compréhension et une plus grande ouverture. »

« Toutes les présentations que j’ai organisées pour et à la Fondation ont proposé un échange particulier, visant à informer tout en établissant une juste distance entre le·la regardeur·euse et l’œuvre. Nous invitions régulièrement un·e artiste à venir dialoguer avec le public autour de son travail et celui d’autres artistes de la collection. À l’issue des cinq ans d’existence de la structure, nous avons décidé de modifier la programmation en invitant des artistes représenté·e·s dans notre collection à réaliser une exposition personnelle, pour proposer un regard plus intime sur leur démarche. La Fondation, une maison individuelle en pierres de taille, renforçait ce sentiment d’intériorité et favorisait une relation émotionnelle face aux œuvres, tout en offrant une proximité accrue avec les artistes. Nous avons ainsi collaboré avec Gavin Turk, Erwin Olaf ou Claire Morgan. »

« Plus tard, avec Mircea Cantor en 2016 puis Kader Attia en 2019, nous avons adopté un autre format et organisé des expositions d’une durée d’un an et plus. Ce choix visait à offrir aux visiteur·euse·s le temps d’appréhender les présentations tout en permettant aux artistes de bénéficier d’un cadre de travail plus étendu, propice à l’expérimentation. En 2015, je crée Françoise pour l’œuvre contemporaine, une association dédiée à l’émergence à travers une plateforme de diffusion gratuite, un programme de résidences internationales et, pendant la crise sanitaire, des outils numériques, des open studios et une galerie online. À l’issue de cette crise, lorsque la Fondation a pu ouvrir de nouveau, nous avons répondu à une nouvelle demande des artistes et avons montré, au rez-de-chaussée, le travail de jeunes diplômé·e·s, organisé des premières expositions monographiques, exploré de nouvelles dynamiques. L’étage de la Fondation reste consacré à la présentation d’une sélection d’œuvres de la collection. En parallèle, en 2022, nous avons ouvert au public les expositions de la Fondation à Clichy, dans les locaux de l’agence d’Hervé. Ce bâtiment industriel aménagé sur trois niveaux, avec un espace de travail en open space, accueille nos projets thématiques. »

« Nous y présentons actuellement “XXH – exposition anniversaire”, qui explore les excès individuels et les débordements collectifs. Ce titre reflète parfaitement les principaux sujets de notre collection. La présentation, qui marque les 15 ans de la Fondation, réunit certaines œuvres majeures acquises au cours des 20 dernières années, et notamment The Human Factor de Gloria Friedmann (2005). Ce qui nous passionne avant tout, c’est de faire de cette collection bien plus qu’un simple ensemble d’œuvres : un objet vivant, un espace d’échanges et de réflexion en constante évolution. Une œuvre ne peut pas changer le monde, mais elle peut changer notre regard. »

Crédits et légendes

Florence Derieux est une historienne de l’art et commissaire d’exposition.

Légende de l’image en pleine page : Vue d’installation de l’exposition « XXH » à la Fondation Francès, Clichy, 2024. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Francès.

Publié le 10 décembre 2024.