Art Basel Paris vient d’ouvrir ses portes, et les galeries font état de ventes impressionnantes dans différents secteurs de la foire. Qu’il s’agisse de pièces historiques significatives d’artistes femmes ou d’œuvres de talents émergents, cette édition a déjà vu nombre d’acquisitions notables par des collectionneur·euse·s privé·e·s et des institutions.
Chez White Cube, Insile (2013) de Julie Mehretu, une œuvre monochrome caractéristique de l’artiste mêlant dessin d’architecture et gestes abstraits, s’est vendue 9,5 millions de dollars. Faisant souvent référence à des lieux réels – ici, elle convoque les conséquences du printemps arabe de 2010 et, plus particulièrement, des endroits en Irak –, ses œuvres se dissolvent néanmoins dans ce qu’elle décrit comme des « cartes d’histoire sans lieu ».
Sur le stand de Lisson Gallery, d’importantes œuvres de l’artiste colombienne Olga de Amaral ont été acquises par une collection privée américaine. Depuis les années 1960, l’artiste a repoussé les limites du textile en mariant les principes modernistes et les influences précolombiennes dans ses œuvres abstraites de grand format. Citons, parmi les œuvres vendues, la tapisserie Lienzo 29 (2001), peinte à l’acrylique, à 350 000 dollars, la sculpture en lin suspendue Nudo 23 (plata 5) (2014) à 400 000 dollars, et la scintillante œuvre murale à feuilles d’or Viento Oro (2014) à 800 000 dollars.
Sur le stand de Cécile Fakhoury, l’artiste Marie-Claire Messouma Manlanbien, basée à Paris, présente des œuvres réalisées à partir de matériaux organiques tels que le crin de cheval, l’argile, le cuir de peaux de saumon et des pierres semi-précieuses. La pratique diversifiée de l’artiste fusionne différentes techniques et influences, notamment la culture pop, le matriarcat ivoirien et la culture créole de Guadeloupe. Trois tapisseries ont captivé les collectionneur·euse·s : Human intra natura, Nuit (2024) a été vendue pour 22 000 euros, Organic Landscapes - La nuit (2024) pour 30 000 euros, et Cure and Care (2024) a atteint 60 000 euros.
Autre fait marquant pour les artistes femmes, le stand d’Ortuzar Projects a vendu la série de six nouvelles peintures de Takako Yamaguchi, pour 300 000 dollars chacune. L’artiste, qui a participé cette année à la Biennale du Whitney, crée des œuvres mêlant abstraction et représentation, donnant à voir des scènes de bord de mer enchanteresses, dont les vagues et les nuages sont séparés par des lignes d’horizon distinctes. Parmi les toiles acquises figurent Stitch (2023), et Font, Guide, Residue, Buckle et Pilot (toutes deux de 2024).
Le secteur Emergence, consacré aux présentations individuelles d’artistes émergent·e·s, avait de quoi se réjouir après le succès des ventes de la galerie Petrine, basée à Paris. Cette dernière a présenté des œuvres de Pierre Allain, un artiste français né en 1998 qui, en s’appuyant sur l’analyse scientifique et le design industriel, explore les vulnérabilités des corps humains et non humains. Trois de ses sculptures Passive Lens (2024) ont été vendues pour 3 000 euros, tandis que l’œuvre au crayon sur papier Self-Diagnosis (X) (2024) a atteint 2 000 euros.
Un autre artiste français a fait l’objet d’une vente notable sur le stand de Mennour, où Boulevard Haussmann, N°3 (2013) de Bertrand Lavier a été acquise pour 130 000 euros. L’impression jet d’encre sur toile montre des coups de pinceau flamboyants et tourbillonnants se superposant sur une surface plane. Le travail de l’artiste brouille les frontières entre peinture et sculpture, à travers ce qu’il appelle des « démonstrations » qui remettent en question les perspectives conventionnelles. Depuis les années 1980, son approche consiste à superposer des objets du quotidien avec des gestes picturaux expressifs et épais, créant des œuvres hybrides qui sont à la fois des objets peints et des représentations d’elles-mêmes.
L’histoire se tromperait en ne retenant de Juliette Roche que son statut d’épouse d’Albert Gleizes : l’artiste française était une écrivaine et une peintre à part entière. Influencées par le mouvement nabi, ses peintures à la texture riche et aux couleurs intenses montrent des femmes indépendantes, des animaux et de vivantes représentations de la société. Quarante ans après sa mort, les ventes réalisées sur le stand de Pauline Pavec prouvent la pertinence durable de Juliette Roche, avec Femme allongée (vers 1930) vendue 80 000 euros à une grande collection américaine, et Fillette au nœud (vers 1930), acquise pour 18 000 euros par un couple d’artistes français de renom.
Il va sans dire que Jesse Darling, lauréat du prix Turner 2023, est à l’honneur. L’artiste est visible avant même que l’on pénètre dans la foire, avec l'installation VANITAS (2024) – un enchevêtrement de barrières métalliques déformées – à l'intérieur du Petit Palais dans le cadre du Programme public. Dans la ligne des thèmes récents de l’artiste, cette pièce reflète la fragilité des structures de pouvoir et évoque un effondrement social imminent. Au Grand Palais, sur le stand de Sultana, cinq pièces ont été vendues, dont Deeds III (2023) pour 20 000 euros et Regalia & Insignia (2018) pour 18 000 euros.
Deux autres ventes monumentales ont été réalisées par des femmes artistes. La première est une œuvre d’Alice Neel, dont la peinture à l’huile Irma Seitz (1963) a été acquise pour 1,2 million de dollars. Connue pour ses portraits intimes et sincères peints sur le vif, Alice Neel est l’un·e des peintres figuratif·ve·s les plus célèbres du 20e siècle, et ses œuvres sont très recherchées dans le monde entier. Dans cette toile, l’artiste a représenté la philanthrope et peintre les jambes croisées, vêtue d’une robe blanche et chaussée de talons, regardant au loin tout en tenant une cigarette avec un chic si naturel qu’on pourrait même le qualifier de « français ».
Enfin, l’une des valeurs les plus énigmatiques du surréalisme, Meret Oppenheim, continue de susciter l’intérêt en France. Il y a près de 90 ans, sa sculpture d’une tasse de thé recouverte de fourrure, Object, en avait intrigué plus d’un·e lors de l’exposition surréaliste de 1936 à Paris. Désormais considérée comme une figure féminine clé du mouvement, elle a continué à provoquer le public avec ses explorations audacieuses de l’érotisme et de la féminité. Cette année, c’est sa peinture figurative de 1934, Anatomie d’une femme morte, représentant une figure probablement décapitée, qui a fait tourner au moins une tête à Paris, puisqu’elle a atteint 1,5 million de dollars sur le stand de Michael Werner.