<p>Le collectif parisien We Do Not Work Alone invite les artistes à produire des objets abordables – et utiles&nbsp;</p>

Zoe Stillpass

Prière de toucher

<p>En 1958, Allan Kaprow écrivait : « Nous devons nous intéresser à l’espace et aux objets de notre vie quotidienne, et même nous laisser éblouir par eux ». Mettant ce discours en application, le collectif We Do Not Work Alone (WDNWA) cherche à brouiller les frontières entre l’art et la vie. Fondé en 2015 par Louise Grislain, Anna Klossowski et Charlotte Morel, WDNWA travaille avec des artistes contemporain∙e∙s pour créer et produire en édition limitée des objets fonctionnels et abordables.</p>

<p>Ces collaboratrices se sont rencontrées et sont devenues amies en 2008, alors qu’elles suivaient un master en études curatoriales à la Sorbonne. Après leur diplôme, elles ont tout d’abord organisé des expositions dans des lieux gérés par des artistes, adoptant le nom KGM, un acronyme formé à partir de leurs initiales. « On trouvait ça drôle parce que ça ressemblait un peu à un nom de société d’assurance, un truc comme ça », note Louise Grislain avec humour. Bien sûr, leur démarche n’a rien d’une entreprise classique. Après quelques années passées à travailler pour des galeries commerciales, les trois jeunes femmes ont commencé à réfléchir à des structures alternatives. « À l’époque, la plupart de nos ami∙e∙s étaient artistes, se souvient Anna Klossowski, et iels nous disaient&nbsp;tous∙tes&nbsp;: « allez, montez une galerie ! » mais on se disait que chacune finirait sûrement par en avoir marre des deux autres. » Remarquant que beaucoup de ces ami∙e∙s artistes créaient des objets usuels et fabriquaient à la main des articles du quotidien, elles ont voulu imaginer un modèle économique dédié à ce type de projets. Elles ont baptisé leur nouvelle aventure d’après un livre publié en 1953 par le potier japonais Kawai Kanjiro, dont le titre leur paraissait résumer parfaitement cette mission. C’est ainsi que toutes trois ont fondé We Do Not Work Alone (WDNWA), avec l’idée de créer un modèle qui priorise la collaboration, le dialogue, et tisse des liens étroits avec les artistes.</p>

<p>Pour démarrer, Louise Grislain, Anna Klossowski et Charlotte Morel ont choisi de participer à une foire d’art contemporain dédiée à l’édition d’objets d’arts. Avec seulement trois mois de préparation, WDNWA a sollicité six artistes ami∙e∙s pour créer des objets. Parmi ces pièces figurent un porte-savon en céramique en forme de grotte de Florian Bézu, des boutons en porcelaine émaillée de Sophie Lamm, des boules de pétanque de Renaud Perriches, et des housses de coussin en toile lacérée – ou, comme le dit Anna Klossowski, « du Fontana pour votre canapé ! » – de Camila Oliveira Fairclough. Ce premier lancement s’est révélé prometteur, et WDNWA s’est attaqué à l’édition d’une œuvre de l’artiste Mathieu Mercier : une paire de gants de travail blancs – sur l’un est écrit « love » et sur l’autre « hate », en référence aux mains tatouées de Robert Mitchum dans <em>La Nuit du chasseur</em> (1955).</p>

<p>Depuis, WDNWA a travaillé avec plus de trente artistes de tous âges et toutes nationalités. Le collectif a produit divers objets, tels une nappe d’Olaf Breuning, un tablier de cuisine de Marc Camille Chaimowicz, une serviette de bain de Nina Childress, un taille-crayon de François Curlet, un mètre-ruban d’Annette Messager, ou un beurrier d’Erwin Wurm. Le processus créatif varie énormément d’un projet à l’autre, mais implique toujours un dialogue approfondi. Certain∙e∙s artistes partent d’une vague idée ou d’une envie, et WDNWA les aide à trouver la forme et le matériau. D’autres ont un objet précis en tête depuis le début, et WDNWA trouve un moyen de le réaliser. Grâce à ces échanges, les artistes peuvent créer des pièces qu’iels n’auraient jamais réalisées dans leur pratique artistique habituelle. L’importance de cultiver des liens intimes avec les artistes (ainsi que les artisan∙e∙s  et les fabricant∙e∙s ) va de pair avec le type d’objets que produit WDNWA. « L’art contemporain peut être très intimidant, affirme Anna Klossowski, on doit respecter les œuvres accrochées au mur, pourtant on a envie de se saisir de l’art, de le toucher, de s’en servir. » Louise Grislain ajoute : « Nous sommes convaincues que l’art est quelque chose dont nous avons besoin au quotidien pour vivre. » Les trois jeunes femmes espèrent donc montrer qu’un∙e collectionneur∙euse peut entretenir des rapports plus personnels avec ses œuvres.</p>

<p>Une autre des préoccupations centrales de WDNWA est la création d'un modèle économique qui soit viable. « Depuis le début, c’était très important pour nous de pouvoir payer tout le monde, même si ce n’est pas beaucoup d’argent, déclare Anna Klossowski. Cela peut paraître une évidence, mais en réalité ça fait longtemps que dans le monde de l’art, beaucoup de curateur∙rice∙s, auteur∙e∙s et artistes, travaillent gratuitement. On voulait trouver une autre façon de mettre en place – même à petite échelle – un système qui profiterait à tout le monde. » Se tenant à des prix aussi abordables que possible, les pièces éditées par WDNWA vont de 18 à 5 000 euros. Par ailleurs fidèles à leurs principes démocratiques, elles déterminent le prix de chaque objet selon son coût de production, jamais en fonction de la réussite économique ou du prestige de l’artiste.</p><p>L’année dernière, WDNWA a ouvert son premier espace permanent. Situé dans le Marais à Paris, il fait office de salle d’exposition, de lieu pour le lancement des objets édités, de boutique et de bureau. Pourtant, les trois amies considèrent qu’il s’agit d’un espace parmi d’autres, et insistent sur leur volonté de proposer des éditions à différentes échelles, pour différents contextes. À l’avenir, elles espèrent renforcer encore le caractère accessible des œuvres les plus abordables, et rêvent de distribuer certains objets qu’elles éditent dans les supermarchés et les aéroports.</p>

<p>À Paris+ par Art Basel, WDNWA prévoit de lancer plusieurs éditions d’objets d’art, leurs plus ambitieuses à ce jour. Le collectif présentera <em style="background-color: initial;">Poum-poum, tic-tac, plouf</em> de Ryan Gander, une réplique de la montre de l’artiste, usinée en inox. L’objet, qui ne fonctionne pas, joue sur l’idée que nous n’avons plus besoin de montres, puisque nous avons l’heure sur notre téléphone portable. Alors que WDNWA a d’habitude pour politique de s’en tenir strictement aux objets usuels, Ryan Gander a trouvé la faille en arguant que l’utilité de ce bijou, c’est son inutilité. Comme l’explique Anna Klossowski : « ce sera notre premier objet dont la fonction est symbolique ». Elles présenteront également une collection de meubles intitulée <em style="background-color: initial;">Light My Fire</em>, par l’artiste pionnière Dorothy Iannone. WDNWA a produit ces pièces en se basant sur une série de dessins réalisée par cette dernière dans les années soixante. « C’est la première fois que quelqu’un produit une édition de ses meubles, donc c’est une œuvre historique qui devient réalité aujourd’hui », précise Louise Grislain avec enthousiasme. De plus, le stand intègrera une table métallique à un plateau carrelé, de Matthew Lutz-Kinoy. Les pieds en métal sont un hommage à la table créée par un potier anglais, Bernard Leach, et les carreaux de céramique peinte mêlent différentes références à l’art traditionnel japonais. L’artiste a peint les carreaux à la main, et chaque table produite dans cette série de trente sera donc unique. Enfin, avec <em style="background-color: initial;">Bras de Fer</em>, Eric Croes a imaginé un marteau en bronze en forme de bras brandissant un marteau. Il a également conçu un support unique en céramique, lui aussi en forme de bras. Dans cette astucieuse mise en abyme, un bras tient donc un marteau qui tient un bras qui tient un autre marteau, et on peut se saisir de cet objet mi-art mi-marteau pour y accrocher d’autres objets d’art (ou peut-être même d’autres marteaux ?). Les significations divergentes du marteau d’Eric Croes attestent de l’hétérogénéité radicale de ce monde, autorisant l’association de l’esthétique et de l’usage. Cet objet, comme tous ceux édités par We Do Not Work Alone, confirme le potentiel de l’union entre art et quotidien.</p>

<p>Zoe Stillpass est autrice, curatrice et professeure. Elle vit à Paris. </p><p><a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/14254/We-Do-Not-Work-Alone">We Do Not Work Alone</a> participera au secteur Galeries de Paris+ par Art Basel, du jeudi 20 au dimanche 23 octobre 2022.</p><p>Traduction française : Marguerite Capelle</p><hr /><p>Légende des images en pleine page :</p><p>Anna Klossowski faisant une démonstration de la création&nbsp;de&nbsp;Dorothy Iannone&nbsp;<i style="background-color: initial;">Light My Fire</i>. Vidéo de Mina Albespy pour Paris+ par Art Basel.<br />Vue d'installation de l'exposition d'Eric Croes « Bras de Fer », We Do Not Work Alone, Paris, 2022. Photographie de Mina Albespy pour Paris+ par Art Basel.<br />We Do Not Work Alone, Paris, 2022. Photographie de Mina Albespy pour Paris+ par Art Basel.</p>

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The Paris-based collective We Do Not Work Alone invites artists to produce objects that are not only affordable but also useful!

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