Dans le contexte actuel, qualité et expertise restent des valeurs sûres – et permettent d’enrichissantes découvertes

Julie Chaizemartin

Vers un marché secondaire plus exigeant

Dans un contexte économique incertain, les belles ventes d’art d’après-guerre et contemporain de cet automne font figure de baromètre pour esquisser le contour du marché actuel. Ces dernières – que ce soit en galerie ou aux enchères – révèlent une offre plus resserrée et un marché plus exigeant, même si la France affiche une courageuse résilience.
Cette tendance est au diapason de ce que l’Art Market Report, publié par Art Basel et UBS, constatait déjà pour l’année 2022 : « Les marchand∙e∙s opérant sur le marché secondaire ont noté que malgré de fortes ventes pour des artistes spécifiques et historiquement important∙e∙s, la frénésie d’activité que certain∙e∙s avaient connue en 2021 s’était apaisée en 2022, les collectionneur∙euse∙s étant plus exigeant∙e∙s sur les ventes et plus compétitif∙ve∙s sur les prix. » Dans le contexte géopolitique actuel de plus en plus instable, ces « artistes spécifiques et historiquement important∙e∙s » s’apparentent-iels à des valeurs refuges ?

À la 2e édition de la foire Paris+ par Art Basel, en octobre, l’offre était hautement qualitative sur les artistes historiques : le sombre Rothko chez <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1242/Pace-Gallery">Pace</a> ou l’imposant Maillol chez <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/33701/L%C3%A9vy-Gorvy-Dayan">Lévy Gorvy Dayan</a> ont marqué les esprits. Sur son stand, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2425/Loevenbruck">Hervé Loevenbruck</a> a, lui, perçu que « les vrai∙e∙s collectionneur∙euse∙s » étaient de retour à Paris, et parmi eux∙lles, de nouveaux arrivant∙e∙s, tel le collectionneur sud-coréen qui a fait l’acquisition d’une toile de Philippe Mayaux ou le collectionneur français Hervé Lebrun, heureux acheteur d’un rare Parmentier de 1968. 
La grande qualité proposée sur le second marché permet souvent de beaux résultats. L’Art Market Report précise qu’en 2022, « les spécialistes d’art moderne, des maîtres anciens et de l’après-guerre ont tous réalisé un chiffre d’affaires moyen plus élevé que les marchand∙e∙s d’art contemporain », dans un secteur où toutefois, alors que les montants sont plus conséquents, les ventes se font sur un temps plus long.

Spécifions que, dans le rapport, le panel des interrogé∙e∙s était constitué à 13 % de marchand∙e∙s du second marché qui « ont enregistré une hausse substantielle de leurs ventes de 22 % », à 42 % de marchand∙e∙s opérant dans les deux segments du marché « qui ont continué à avoir de loin les ventes moyennes les plus élevées, mais avec une croissance plus faible », les 45 % restant étant les marchand∙e∙s opérant uniquement sur le premier marché, qui ont vu leurs ventes augmenter de 17 %, passant d’un chiffre d’affaires moyen de 1,5 à 1,8 million de dollars.
« Sur la foire Paris+ par Art Basel, on a bien vendu <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7607/Lucio-Fontana">Lucio Fontana</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8212/Claudio-Parmiggiani">Claudio Parmiggiani</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7350/Alighiero-Boetti">Alighiero Boetti</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/15219/Emilio-Isgr%C3%B2">Emilio Isgrò</a>… On a aussi senti que les visiteur∙euse∙s souhaitaient voir plus de maîtres anciens », témoigne Michele Casamonti, fondateur de <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1301/Tornabuoni-Art">Tornabuoni Arte</a>, au cœur du carré d’or des galeries spécialisées sur le second marché, au centre de la foire, où siégeaient aussi <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2003/Applicat-Prazan">Applicat-Prazan</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1130/Galerie-1900-2000">1900-2000</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1306/Van-de-Weghe">Van de Weghe</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/3660/Galerie-Le-Minotaure">Le Minotaure</a> et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1805/Richard-Nagy-Ltd">Richard Nagy</a>. Non loin, <a href="https://www.artbasel.com/search?q=Zlotowski">Yves Zlotowski</a> présentait une pépite méconnue, Jean Gorin, architecte utopiste proche de Mondrian. Comment alors construire un second marché pour un tel artiste ? « Il faut savoir racheter les œuvres importantes, promouvoir une partie de l’œuvre moins cotée, réaliser des catalogues raisonnés », égrène le galeriste.

« Travailler sur le marché primaire n’est pas la même chose que de travailler sur le marché secondaire : il faut avoir des connaissances spécifiques », rapelle Michele Casamonti. « En 2001, alors qu’on montrait des compressions de César et des Villeglé aux côtés d’œuvres contemporaines, on s’est fait critiquer, mais aujourd’hui, ces distinctions sont plus effacées à la faveur de l’intérêt pour la redécouverte d’artistes », décrypte Marianne Le Métayer, directrice de la galerie <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1533/Galerie-Georges-Philippe-Nathalie-Vallois">Georges-Philippe et Nathalie Vallois</a>. On assiste en effet à une intégration plus forte du second marché dans les galeries spécialisées en art contemporain, certaines – telle <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1134/Perrotin">Perrotin</a>, sur l’avenue Matignon – n’hésitant pas à ouvrir des espaces qui lui sont entièrement consacrés. 
La force de frappe de l’art contemporain peut-elle servir un second marché plus historique ? C’est le pari qu’ont fait plusieurs marchand∙e∙s à travers la gestion d’estate qui contribuent à un revival des artistes d’après-guerre, tels <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/15773/Hans-Hartung">Hans Hartung</a> et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/19514/Georges-Mathieu">Georges Mathieu</a> (chez Perrotin), Jean Degottex (chez <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1215/Mennour">Mennour</a>), Anna-Eva Bergman (dont la cote a été multipliée par dix depuis que <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2341/Galerie-J%C3%A9r%C3%B4me-Poggi">Jérôme Poggi</a> l’a sortie de l’oubli) ou <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/11503/Serge-Poliakoff">Serge Poliakoff</a>, dont <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1254/Almine-Rech">Almine Rech</a> vient d’annoncer la représentation de l’estate : « Son œuvre enrichit considérablement le programme de la galerie lié aux travaux abstraits du 20e siècle », explique-t-il. Il s’agit aussi de « faire revivre une œuvre parfois méconnue sur le marché alors qu’il y a une tendance au décloisonnement dans les galeries », analyse Jérôme Poggi qui, après Anna-Eva Bergman, se lance dans la revalorisation du peintre espagnol Darío Villalba.

À l’appui de cette tendance, Susan May, Global Artistic Director chez <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1316/White-Cube">White Cube</a>, développe : « Nous avons commencé à représenter notre premier estate en 2018 (Al Held Foundation) et travaillons désormais avec plusieurs autres, dont l’Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum à New York et la Fondation Takis à Athènes. » Elle ajoute : « Nous allons continuer à nous développer davantage sur le marché secondaire, parallèlement à notre travail avec des artistes vivant∙e∙s. » De son côté, Jean Frémon, président de la galerie <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1186/Galerie-Lelong-Co">Lelong</a> riche d’estates prestigieux (<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9213/Joan-Mir%C3%B3">Joan Miró</a>,<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8005/Etel-Adnan"> Etel Adnan</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8012/Antoni-T%C3%A0pies">Antoni Tàpies</a>…), éclaire son positionnement, vu comme un continuum naturel entre premier et second marché : « La galerie aura bientôt 80 ans d’existence, la liste des artistes historiques qu’elle a représenté∙e∙s est longue. Notre rôle est de la renouveler en incluant régulièrement de nouveaux∙elles artistes afin de rester une galerie vivante.
Côté enchères, malgré des ventes plus prometteuses à New York ces dernières semaines, les indicateurs du secteur ont révélé une contraction au premier semestre 2023 – les ventes globales chez Christie’s, Sotheby’s, Phillips et Bonhams accusant une baisse de 16 %. Cependant, la place de Paris semble résister, comme le reflètent les ventes d’octobre chez Christie’s France, qui signe « la plus grosse semaine de son histoire, à la faveur d’objets exceptionnels et de collections », indique Paul Nyzam, directeur du département art contemporain et d’après-guerre – ce qui traduit aussi un intérêt croissant pour les valeurs refuge. De plus, la France est de plus en plus suivie par les collectionneur∙euse∙s internationaux∙ales. Le Survey of Global Collecting, qui vient d’être publié par Art Basel et UBS, indique que les acheteur∙euse∙s dans 6 des 11 marchés étudiés préférèrent effectuer leurs acquisitions dans une galerie en France, les 5 restants mettant l’Hexagone en deuxième position.

Malgré les instabilités, l’optimisme reste de rigueur : 77 % des collectionneur∙euse∙s interrogé∙e∙s pour le Survey of Global Collecting restent confiant∙e∙s quant à la performance du marché de l’art au cours des six prochains mois. Les collectionneur∙euse∙s français∙es sont particulièrement serein∙e∙s, avec 91 % d’entre eux∙lles confiant∙e∙s pour l’avenir. On apprend aussi dans le Survey of Global Collecting que les collectionneur∙euse∙s les plus fortuné∙e∙s, très actif∙ve∙s sur le second marché, détiennent « une majorité plus élevée d’œuvres d’artistes décédé∙e∙s » et que « ceux∙elles qui ont dépensé plus d’un million de dollars en 2021 ou 2022 détenaient une majorité de plus de 60 % d’œuvres d’artistes décédé∙e∙s ».
Si la solidité du second marché en fait un pilier du secteur, la demande est aujourd’hui plus exigeante sur les artistes très établi∙e∙s ou historiques. En parallèle, un nouveau phénomène s’accroît : la redécouverte d’artistes oublié∙e∙s, mésestimé∙e∙s ou méconnu∙e∙s, qui offre une nouvelle lecture, plus riche et plurielle, de l’histoire de l’art.

Julie Chaizemartin est journaliste et critique d’art à Paris. Elle collabore régulièrement aux mensuels Transfuge et Artpress,
et au Quotidien de l’Art. 
Publié le 20 novembre 2023.
Légende des images en pleine page, de haut en bas :&nbsp;1. Détail d’une œuvre présentée par Applicat Prazant à Paris+ par Art Basel 2023. 2. Détail d’une œuvre présentée par Pace Gallery à Paris+ par Art Basel 2023. 3. Détail d’une œuvre présentée par Van de Weghe à Paris+ par Art Basel 2023. 4. Détail d’une œuvre présentée par Blum à Paris+ par Art Basel 2023.

title_style_2

Christophe Spaenjers assesses the relationship between artwork prices and macroeconomic volatility

Stories

Art investing in times of inflation

Amid cultural, economic, and political complexities, the country continues to develop as a global epicenter of talent

Understanding Cuba’s complex art market

Chinese spending rebounds, reports Brian Boucher

10 key takeaways from the 2023 Art Basel and UBS Survey of Global Collecting

Dans le contexte actuel, qualité et expertise restent des valeurs sûres – et permettent d’enrichissantes découvertes 

Le Marché de l'Art

BANNER

David Wojnarowizc

BNM - Banner Module

Portrait of Esaí Alfredo

P4+5

P7+8

The Thychy Plant & Weeds

Text Module

Credits

H2 - Headline title

Information module

In today’s environment, quality and expertise remain the key to success - and enriching discoveries

Welcome,

Recommandé :