Dans une vidéo présentée dans l’exposition « Histoires Vraies » au MAC VAL, il célèbre les identités stigmatisées par les colons

Rokhaya Diallo

L’artiste Kent Monkman explore la fluidité de genre chez les Premières Nations

La vidéo Group of Seven Inches (2005) est le résultat d’une performance filmée de Kent Monkman. Cette œuvre constitue un tournant dans le travail de l’artiste canadien : la première apparition du personnage Miss Chief Eagle Testickle. Cette figure, pensée par l’artiste comme un alter ego, convoque à la fois la déconstruction des normes de genre et la réhabilitation de figures stigmatisées par la violence coloniale au Canada. Par son père, Kent Monkman est issu de la Nation crie de Fisher River, une population présente en Amérique du Nord bien longtemps avant l’invasion des colons européens. Ainsi, son travail artistique se fait l’écho de son passé familial, exposé à la dépossession, l’effacement culturel et la christianisation, dont les conséquences nourrissent les problèmes de racisme systémique qui règne toujours au Canada.

La figure de Miss Chief Eagle Testickle défie cet ordre injuste, aussi bien dans sa dénomination que dans son expression. Son nom est un jeu de mots autour du terme mischief, qui désigne le fait de causer des remous. Il fait aussi référence au chef traditionnel, une personnalité politique meneuse des communautés autochtones de l’Amérique du Nord. Celle-ci est très présente dans l’imaginaire collectif, notamment du fait des nombreuses caricatures dans les westerns et autres créations ayant romantisé la violence coloniale qui a cruellement frappé le continent. L’ajout de « Miss » féminise une figure censément masculine, tout en assumant la quasi-mention de « testicules ».&nbsp; Cette combinaison permet d’investir la fluidité de genre d’une Miss Chief qui constitue un hommage à des groupes stigmatisés par le regard blanc.
En effet, avant la colonisation, certaines personnes au sein des Premières Nations étaient considérées comme bispirituelles – elles n’étaient pas associées à un genre unique masculin ou féminin. Dans plusieurs communautés d’Amérique du Nord, la non-binarité, la fluidité de genre ou sexuelle étaient établies comme des possibilités d’expression valides. C’est le regard colonial qui les a exotisées, les faisant apparaître comme « anormales ». La lecture des genres spécifiques aux religions monothéistes a ainsi imposé une binarité rendant les personnes bispirituelles inacceptables.

Le travail stigmatisant du peintre états-unien blanc du 19e siècle George Catlin – qui qualifiait ces personnes de dandies, les affublant de commentaires racistes – a participé à la prise de conscience de Kent Monkman. C’est en particulier la toile Dance to the Berdash (1835-1837), qui relate une cérémonie dansante interprétée par des personnes bispirituelles, qui a motivé son désir de rendre justice à la mémoire de ses aïeux∙eules réduit∙e∙s à des êtres fantasques aux pratiques répréhensibles dans le regard blanc. 
Kent Monkman a ainsi eu à cœur de célébrer les traditions disparues en plaçant les sexualités marginalisées au centre. De son propre aveu, la découverte des personnes bispirituelles a permis à l’artiste de vivre avec fierté à la fois son identité Nation crie de Fisher River mais aussi sa sexualité, que le contexte canadien dominé par les religions chrétiennes n’incitait pas à assumer sereinement.
Ce travail constitue l’inversion de la hiérarchie habituellement dressée entre les cultures issues du continent européen et celles des Premières Nations, permettant le réinvestissement d’un passé déprécié et le questionnement des dominations raciales et LGBTQIAphobes actuelles. Ce sont les Premières Nations qui, à travers la reconnaissance de personnes au genre et à la sexualité fluides, montrent la voie d’une société capable de reconnaître des pluralités inconcevables dans la société canadienne jusqu’à une période récente.

Le pays ne cesse d’être secoué par la mise à jour de pratiques racistes contre les populations autochtones, dont les enfants ont été arraché∙e∙s à leurs proches pendant des décennies pour être placé∙e∙s dans des familles ou des institutions blanches, tragédie vécue par la famille de Kent Monkman. Jouant du second degré et de l’ironie, il se joue des artistes blanc∙he∙s qui, découvrant les populations autochtones, les dépeignaient avec un regard fasciné teinté de racisme tout en exploitant leurs apparences et leurs corps à des fins de reconnaissance artistique et sociale.
Miss Chief dénudée, à cheval, chaussée de talons hauts incarnant une féminité archétypale associée au costume du chef traditionnel, attribut d’une virilité conquérante, se moque des pesanteurs infligées par la colonisation et des carcans de la binarité. Elle se contente d’habiter sa fierté et d’honorer les ancêtres invisibilisé∙e∙s.<hr>
« Histoires vraies » Jusqu’au 17 septembre 2023 MAC VAL, Vitry-sur-Seine
Rokhaya Diallo est une journaliste, auteure et réalisatrice primée basée à Paris.
Publié le 19 juillet 2023.

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In a film on view as part of ‘True Stories’ at MAC VAL in Paris, the Canadian artist celebrates identities shunned by colonizers

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