<p>« L’histoire du pays est constellée de sang »</p>

Rokhaya Diallo

Le regard de Rokhaya Diallo : United States of Attica par Faith Ringgold

<p>Dans son tableau <em>United States of Attica</em> (1972), l’artiste Faith Ringgold nous présente la carte géographique des États-Unis, si familière, sous un jour inédit. Elle y est assombrie et assaillie par un amoncellement de textes qui lui confèrent un aspect confus – une confusion augmentée par les à-plats de couleurs rouges et vertes soutenues par un trait noir qui ne sont pas sans rappeler le drapeau panafricain. Les inscriptions énumèrent les violences commises aux États-Unis contre les personnes noires et autochtones depuis le début du 18<sup>e</sup> siècle. Elles sont si nombreuses qu’elles poussent l’œuvre vers l’illisibilité. </p>

<p>Le titre du tableau se réfère à une révolte historique, le soulèvement de la prison d’Attica que Faith Ringgold désigne comme « une lutte héroïque pour la liberté ». En 1971, les détenus de l’établissement pénitentiaire, situé dans l’État de New York, s’opposent à leurs cruelles conditions de détention. Ils prennent le contrôle de la prison, ainsi que des otages. Alors que les prisonniers avaient engagé des négociations, le gouvernement américain met brutalement fin à leur mobilisation en envoyant les forces armées. Bilan : 43 morts. Un massacre. </p><p>Avec cet épisode tragique, l’État américain reproduit encore une fois le schéma agressif constitutif de son existence. Attica est la matrice d’un modèle maintes fois répété. C’est l’allégorie d’un pays qui est une prison à ciel ouvert pour celles et ceux dont les droits sont piétinés jour après jour. L’adjectif « unis » de son nom est sapé par l’exposition de sa profonde désunion.&nbsp;</p>

<p>La forme rectiligne du dessin des différents États contraste avec les écrits presque gribouillés. Ils s’insinuent là où ils le peuvent et défient un ordre géographique qui masque mal les bouleversements occasionnés. Ainsi, on comprend l’absurdité de l’ordonnancement linéaire démarquant les États les uns des autres, tant il a fallu recourir à la violence sanguinaire pour les imposer. Les peuples autochtones, balayés par la brutalité génocidaire des colons, n’ont cessé de se rebeller. Faith Ringgold les évoque à plusieurs reprises en rappelant les révoltes des Navajos, Comanches ou encore Apaches qui apparaissent à travers la figure de Geronimo, militant des droits des populations premières.</p>

<p>Les Africains et Africaines déporté∙e∙s par millions pour nourrir la machine capitaliste, ainsi que leurs héritiers et héritières, apparaissent également à diverses reprises. Sur la toile de Faith Ringgold, on retrouve les quatre écolières tuées par bombe dans une église à Birmingham (Alabama) en 1963, le militant des Black Panthers, Fred Hampton, assassiné par la police en 1969, ainsi que les nombreuses révoltes de personnes victimes de l’esclavage ou de la ségrégation raciale. Les immigré∙e∙s, constamment rejeté∙e∙s, y apparaissent par les mentions des brimades subies notamment par les populations chinoises.</p><p>L’inclusion de « viols politiques », qui désigne les agressions sexuelles subies pendant des siècles par les femmes esclavagisées, fait écho au féminisme viscéralement attaché à l’œuvre de Faith Ringgold. Les conflits armés engagés par les États-Unis pour étendre leurs frontières, comme la guerre américano-mexicaine au 19<sup>e</sup> siècle, prennent également place dans cette carte inédite du pays. </p>

<p>La liste des crimes commis au nom de l’idéal américain est si longue qu’elle déborde de ses propres frontières, au sens imagé – dans le tableau – comme au sens propre. Faith Ringgold l’illustre en soulignant leur étendue internationale du fait des agressions extra-frontalières, de la bombe nucléaire envoyée sur la ville d’Hiroshima au Japon, à la guerre de Corée en passant par celle du Vietnam.</p><p>Faith Ringgold dresse un tableau érudit de la violence systémique, consubstantielle à l’existence des États-Unis, dont le point de départ historique contraste radicalement avec les idéaux proclamés. L’histoire du pays est constellée de sang, et l’apparition de ses méfaits, juxtaposés parfois de manière biscornue, rend la contemplation de la carte vertigineuse. On ne sait ni où cette brutalité commence, ni où (et si) elle s’arrête.</p><p>La légende de Faith Ringgold qui figure en bas du tableau indique « cette carte de la violence américaine est incomplète, veuillez inscrire tout ce qui vous semble manquer ». Cinquante ans plus tard, on ne saurait guère où trouver la place pour le faire.</p>

<p>« Faith Ringgold. Black is beautiful »<br />Jusqu'au 2 juillet 2023<br />Musée national Picasso-Paris</p><p>Rokhaya Diallo est une journaliste, auteure et réalisatrice primée basée à Paris.</p><p>Publié le 30 janvier 2023.</p>

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