Dans le calendrier hexagonal – et européen – de l’art contemporain, c’est l’un des rendez-vous les plus attendus de la rentrée. Pour sa 17e édition, la Biennale de Lyon prévoit d’accueillir, comme en 2022, plus de 270 000 visiteur·euse·s. La plupart d’entre eux·elles découvriront à cette occasion le site des Grandes Locos, ancien technicentre de la SNCF appelé à devenir une immense friche culturelle. La Biennale invite aussi à arpenter le remarquable patrimoine architectural de la troisième ville de France. « Je suis très attachée à cette référence à l’histoire qu’éclaire la création contemporaine », assure sa directrice artistique, Isabelle Bertolotti, soulignant aussi que la manifestation rayonne désormais dans toute la région.
À Saint-Etienne, le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) s’apprête à rouvrir ses portes le 9 novembre, après plus d’un an et demi de travaux de rénovation. La transformation de ce lieu phare ne fait que commencer. « Une deuxième phase de chantier va à présent concerner les réserves », explique sa directrice, Aurélie Voltz, tout en évoquant la perspective d’une extension du bâtiment. Enchâssée entre les massifs des Alpes, du Vercors et de la Chartreuse, Grenoble mérite amplement le voyage pour les très belles collections de son musée. « Le projet scientifique et culturel est en cours d’écriture », relate le directeur du lieu, Sébastien Gokalp. Enfin le suspense devrait bientôt être levé sur l’avenir du Fonds régional d’art contemporain (Frac) de Clermont-Ferrand (à quelques mois d’emménager dans un édifice qui doublera ses surfaces d’exposition) et de l’Institut d’art contemporain (IAC) de Villeurbanne : ces deux institutions, en attente d’une nouvelle direction, pourraient fusionner.
Cocréée en 1991 par Thierry Raspail, dirigée par Isabelle Bertolotti depuis 2019, la Biennale de Lyon n’a cessé d’évoluer à travers ses thématiques et sous l’impulsion des différent·e·s commissaires invité·e·s – Alexia Fabre, la directrice des Beaux-Arts de Paris, succède cette année au duo Sam Bardaouil-Till Fellrath, qui dirige le Hamburger Bahnhof de Berlin. La Biennale se construit aussi au gré des lieux qu’elle investit, souvent témoins de l’importance qu’a eu l’industrie dans la région lyonnaise. Après La Sucrière, puis les anciennes usines Fagor, ce seront donc principalement les Grandes Locos qui accueilleront la manifestation (du 21 septembre 2024 au 5 janvier 2025).
Cette édition, qui réunit les œuvres de près de 80 artistes établi·e·s et émergent·e·s, ne se cantonne pourtant pas aux gigantesques halles ferroviaires réhabilitées. L’itinéraire de la Biennale se veut en effet un prétexte à (re)découvrir la ville et ses environs du nord au sud, du Musée d’art contemporain (macLYON) au Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal, en passant par la Cité de la gastronomie, dans l’ancien hôpital de l’Hôtel-Dieu. L’ancrage local de la Biennale se traduit également par sa capacité à produire les deux-tiers des œuvres sur place, certaines en lien avec des savoir-faire spécifiques – comme la pièce textile de Mona Cara, réalisée en collaboration avec l’Hôtel de la Dentelle à Brioude et les tissages jacquard de Charlieu. La mobilisation des bonnes volontés et des compétences, projet par projet, contribue à rendre possible une manifestation placée cette année sous le signe des eaux fluviales (« Les voix des fleuves / Crossing the water »). Ce sont, comme on le sait, les petits ruisseaux qui font les grandes rivières…
« L’influence géographique de la Biennale ne cesse de s’étendre », relève Isabelle Bertolotti. Lancé en 2003, son programme Résonance rend en effet visible le réseau de centres d’art, de galeries et de lieux associatifs de la région. D’une trentaine d’événements en 2003, il est passé à plus de 250 expositions, performances, concerts, projections et spectacles en 2022. Parmi les incontournables de cette édition 2024, mentionnons notamment l’exposition Tilia organisée par la très bucolique résidence d’artistes Moly-Sabata – Fondation Albert Gleizes : elle réunit des œuvres signées Huma Bhabha, Wang Keping, Laurent Le Deunff, Oscar Tuazon… « Nous avons associé les productions en résidence à des prêt d’œuvres et à un ensemble inédit de mobilier du 20e siècle fabriqué dans la région », précise son commissaire, Joël Riff.
En proche banlieue de Lyon, c’est l’IAC de Villeurbanne qui produit et accueille Jeune Création internationale. Cette manifestation prospective, née d’une initiative associant la Biennale de Lyon, l’IAC et le macLYON, fait appel chaque année à une école d’art de la région Auvergne-Rhône-Alpes (cette fois, l’ESAAA, l’École supérieure d’art Annecy Alpes). Dix artistes émergent·e·s – issu·e·s à part égale de la scène régionale et de la scène internationale – y sont invité·e·s à imaginer un projet. Né en 1998 de la fusion entre le Frac Rhône-Alpes et un centre d’art installé dans une ancienne école de Villeurbanne, l’IAC est suspendu à la nomination de son·sa futur·e directeur·rice… Or, depuis la réforme territoriale de 2015, deux Frac sont présents dans la région. Outre l’IAC, le Frac Auvergne, basé à Clermont-Ferrand, attend d’investir, courant 2025, la Halle aux blés, un bâtiment du centre-ville censé ouvrir au public en 2023, mais dont l’inauguration a été reportée. Laurent Wauquiez, qui était jusqu’au mois d’août dernier le président de la région, avait en effet souhaité revoir le projet afin que l’établissement, connu pour son fonds de peinture et de photographie contemporaines, puisse organiser dans ce nouveau lieu « des expositions de très haut niveau ». En 2017, une sélection d’œuvres issues des collections de l’IAC et du Frac Auvergne avait fait l’objet d’une exposition commune à Clermont-Ferrand intitulée « Le divan des murmures ». Ce rapprochement entre les deux Frac pourrait bien avoir été prémonitoire, car la région étudie la possibilité de les réunir sous une même tutelle administrative.
Nommé à la tête du musée de Grenoble en janvier dernier avec pour mission d’en élaborer le nouveau projet culturel et scientifique et d’en définir les orientations stratégiques, Sébastien Gokalp a le sens de la formule : « Venir au musée de Grenoble », résume-t-il, « c’est comme faire une visite au Louvre, mais sans la file d’attente… » La boutade n’est pas dénuée de fondement : à l’écart des grands axes, le discret établissement municipal dispose en effet de collections d’une richesse exceptionnelle, qui va des dieux égyptiens aux beaux-arts et aux maîtres modernes tels Chagall, Matisse et Picasso. En témoigne le succès de sa programmation : l’exposition monographique consacrée au maître catalan Joan Miró, qui vient de fermer ses portes, a attiré 90 000 visiteurs – à titre de comparaison, Grenoble Alpes Métropole rassemble une population de 449 000 habitant·e·s (source : Insee).
Le musée, qui bénéficie d’un budget d’acquisition confortable (abondé en partie par les adhésions de son club de mécènes, estimées à 190 000 euros en 2023), reste attentif à la production contemporaine. « C’est important de regarder l’art en train de se faire », souligne Sébastien Gokalp, désireux de « faire vivre ce fonds incroyable » en invitant des artistes actuel·le·s à exposer en regard. La programmation du Magasin – Centre national d’art contemporain (CNAC), dirigé depuis 2022 par Céline Kopp, lui fait également brillamment écho : après une rétrospective de Julien Creuzet, le lieu accueille actuellement une exposition de Benoît Piéron (« Étoiles ou Tempêtes », jusqu’au 20 octobre).
Au MAMC+, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre à l’issue d’importants travaux de rénovation. Le bâtiment aux emblématiques façades quadrillées de céramique noire, signé de l’architecte stéphanois Didier Guichard, rouvre au public le 9 novembre : plus fonctionnel, mieux isolé et climatisé, il retrouve sa lumière zénithale, filtrée par des voiles textiles, et offre un parcours de visite amélioré. Cette phase de travaux débouche sur un nouveau chantier, celui des collections, qui va se tenir dans les réserves : le musée est riche de 23 000 œuvres couvrant une période allant, pour l’essentiel, du 19e au 21e siècle. « Au MAMC+, comme à Grenoble, des conservateur·rice·s très avisé·e·s ont forgé le musée du 20e siècle, et nous héritons grâce à eux·elles de collections fabuleuses », explique Aurélie Voltz.
L’institution a aussi, tout au long de son histoire, bénéficié de nombreux dons d’artistes et d’ayants droit, de galeristes, de collectionneur·euse·s. C’est ce que vient saluer « Brand New ! », l’une des quatre expositions de réouverture, à travers un ensemble d’œuvres inédites, entrées récemment dans les fonds, d’artistes contemporain·e·s tel·le·s Alain Kirili, mais aussi de figures méconnues, comme le peintre Max Wechsler (1925-2020), passé de la figuration à une abstraction radicale. « Hors Format – collections en chantier » mettra pour sa part en avant des peintures monumentales présentes dans les collections (notamment deux superbes tableaux de Frank Stella), ce qu’autorise la très grande hauteur sous plafond des salles d’exposition. « La prochaine étape sera l’extension du bâtiment », ajoute Aurélie Voltz, en concluant : « Nous pensons aujourd’hui le musée de demain. »