À l’occasion de son exposition personnelle à la Fondation Louis Vuitton, Portia Zvavahera (née en 1985) a conçu Imba Yerumbidzo (2024), une peinture inédite tant par ses dimensions monumentales que par son dispositif de présentation. Si la peintre zimbabwéenne est une habituée des grands formats, elle signe ici son œuvre la plus ambitieuse, un panorama de dix-sept mètres de long composé de huit panneaux de lin de trois mètres de haut qui, libérés de leur traditionnel châssis, se déploient sur une cimaise courbe dessinée spécifiquement.

Comme chacune de ses peintures, Imba Yerumbidzo est née d’un rêve. Alors que l’artiste traversait une période de mal-être physique et psychologique, elle raconte avoir rêvé d’êtres vêtus de blanc qui la suivaient – s’agissant selon elle, d’anges venus l’accompagner et la protéger. Imprégnée de dogme chrétien et de croyances indigènes zimbabwéennes, l’artiste a toujours considéré ses visions nocturnes comme des prophéties et un moyen de « communication directe avec Dieu ». Les peindre relève avant tout de la nécessité impérieuse d’en comprendre le message et d’en tirer enseignement.

En visitant la Fondation, portée par l’élan lyrique du bâtiment de Frank Gehry et les singularités architecturales de la galerie 8 – murs arrondis, hauteur conséquente, ouverture sur le ciel –, le choix du rêve s’est imposé d’emblée. De retour à Harare, au Zimbabwe, l’artiste s’est alors attelée plusieurs mois durant à transposer sur la toile les présences bienveillantes apparues dans sa vision nocturne, en gardant constamment à l’esprit, et ce pour la première fois, les volumes de l’espace.

C’est dans un atelier baigné de lumière naturelle, loin du tumulte urbain, qu’elle travaille seule dans le silence de ses pensées. À l’écoute de sa voix intérieure, elle explore son subconscient pour raviver la mémoire de son rêve et retrouver les sensations et les sentiments qui s’y sont exprimés. Retrouver l’intensité émotionnelle éprouvée pour la restituer en peinture, et ce plusieurs mois après, n’est pas toujours aisé. Son état d’esprit du moment s’avère alors déterminant. Quand l’inspiration tarde à venir, l’artiste prie, médite, lit la Bible, elle patiente jusqu’à ce que l’inspiration (re)vienne. Néanmoins, son approche reste spontanée, elle préfère ne rien préméditer pour laisser la peinture agir au rythme de ses intuitions. 

Tout se construit sur le vif : formes, couleurs et motifs surgissent au fil de la composition, même si pour en tracer les premières lignes elle commence toujours par se référer au dessin de son rêve, esquissé au réveil et consigné, à l’instar de tous les autres, dans un carnet dédié. Telle est la méthode retenue pour celle qui s’exerce depuis l’enfance, sous l’impulsion de sa mère et de sa grand-mère, à se souvenir de ses rêves.

Emblématiques de son univers fantasmagorique, les multiples silhouettes aux membres déformés et sommairement esquissés, semblent ici flotter à la surface de la toile en se diluant dans une touche expressionniste. Au centre, les importantes zones blanches traitées en réserve contrastent et renforcent la dimension fantomatique de ces présences. Caractéristique de son style, la diversité des techniques auxquelles l’artiste s’est formée lors de ses études à l’école polytechnique de Harare : peinture à l’huile appliquée au pinceau et au stick, batik et autres procédés d’impression tels la linogravure et le pochoir, donnent ainsi naissance à des aplats, des figures et des motifs dont la juxtaposition et la superposition forment la composition.

Ce n’est qu’une fois la peinture achevée que l’artiste en détermine le titre. Intitulée Maison de Grâce (Imba Yerumbidzo en langue shona), cette installation picturale propice à la méditation a été pensée comme « une sorte de lieu de culte, pour rendre grâce à Dieu et chanter ses louanges, témoignant de ce qu’il apporte dans nos vies », une exhortation personnelle à portée universelle.

Crédits et légendes

Portia Zvavahera est représentée par Stevenson (Cape Town, Amsterdam, Johannesburg) et David Zwirner (New York, Hong Kong, London, Los Angeles, Paris).

« Imba Yerumbidzo »
Jusqu’au 3 mars 2025
Fondation Louis Vuitton, Paris

Ludovic Delalande est commissaire d'exposition à la Fondation Louis Vuitton, Paris.

Légende de l’image d’en-tête : Vue d’installation de l’œuvre Imba Yerumbidzo (Maison de Grâce) de Portia Zvavahera à la Fondation Louis Vuitton, Paris, 2024. © Portia Zvavahera. Avec l’aimable autorisation de Stevenson et David Zwirner.