<p>Le galeriste a convaincu Lawrence Weiner et Richard Serra d'exposer dans sa Bourgogne natale. Quel est le secret de sa réussite ?</p>

Sarah Moroz

L'inhabituelle proposition de Pietro Spartà

<p>La galerie&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2906/Galerie-Pietro-Spart%C3%A0">Pietro Spartà</a> échappe à la norme par sa singularité. Situé dans une zone rurale au cœur de la Bourgogne, à quelque deux heures de Paris, l'espace est « symboliquement » absent de la carte – vous n’en trouverez pas trace en ligne. Cela n'a pas empêché&nbsp;son fondateur, Pietro Spartà, d'attirer des artistes de renom tel∙le∙s Niele Toroni ou Christian Boltanski. Les collectionneur∙euse∙s, eux∙elles non plus, n'hésitent pas à faire le chemin jusqu'à Chagny, petite bourgade flanquée de vignes et traversée par le canal du Centre. Le galeriste cultive cette différence, ayant choisi de se laisser guider par l'intuition, la passion et un esprit de communauté.</p>

<p>La perspective d’une carrière d’ouvrier, qui semblait être l’unique horizon de vie dans sa région natale, ne tentait guère Pietro Spartà. « Je voulais un changement – radical. J'aimais ma famille, mais je ne voulais pas être comme&nbsp;eux∙elles&nbsp;<span style="background-color: initial;">», dit-il. Pour autant, il ne souhaitait pas partir, même si la scène culturelle de Chagny se résume à un restaurant étoilé au Guide Michelin, comme Spartà l'admet volontiers. Autodidacte, il embrasse l'art à travers les livres, et s'intéresse en particulier à <strong>Piet Mondrian</strong> et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7524/Kazimir-Malevich">Kasimir Malevitch</a>. Il découvre également l'Arte Povera, le minimalisme et les artistes conceptuel</span>∙le∙<span style="background-color: initial;">s, puis se met en tête de rencontrer les artistes dont le travail l’émerveille au fil de ses lectures – « dès que possible, avant qu'iels ne meurent », confie-t-il, avec un sourire teinté d’autodérision. Le galeriste admet son obstination. « Je voulais savoir ce qu'iels faisaient, comment iels vivaient – ce que c'était que d'être un</span>∙e artiste. »</p>

<p>Un jour, un ami lui prête un carnet dans lequel figurent les coordonnées de n<span style="background-color: initial;">ombreux</span>∙ses artistes. Pietro Spartà téléphone à ceux∙celles qu'il souhaite connaître, dont&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7807/Mario-Merz">Mario Merz</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8593/Gilberto-Zorio">Gilberto Zorio</a> et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6914/Daniel-Buren">Daniel Buren</a>. Tous∙tes&nbsp;répondent à son enthousiasme et l'invitent à visiter leur studio. « Je ne savais pas trop quoi leur dire, sauf que j'aimais ce qu'iels faisaient », avoue Pietro Spartà. Il n'était encore ni galeriste ni collectionneur, mais métallurgiste, et arpentait chaque week-end les galeries parisiennes – notamment Yvon Lambert, Durand-Dessert et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1186/Galerie-Lelong-Co">Lelong &amp; Co</a>.</p><p>Les artistes qu'il sollicite lui promettent de lui fournir des œuvres s'il crée un espace d'exposition. Il trouve un lieu à Chagny. Puis, plaisante-t-il, « j'ai fait ce que les galeristes parisien∙ne∙s font : je l'ai entièrement repeint en blanc ». Un an plus tard, en juillet 1982, il présente sa première exposition, « Le Poids des mots, le choc des photos ». Il réunit des noms prestigieux, parmi lesquels&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6864/Annette-Messager">Annette Messager</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8226/Hans-Peter-Feldmann">Hans-Peter Feldmann</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/10137/On-Kawara">On Kawara</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6942/Jenny-Holzer">Jenny Holzer</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8588/Joseph-Kosuth">Joseph Kosuth</a>,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7373/Richard-Prince">Richard Prince</a>&nbsp;et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7037/Sophie-Calle">Sophie Calle</a>.&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6907/Barbara-Kruger">Barbara Kruger</a>, qui assiste au vernissage, apporte des affiches, qu'elle placarde dans tout Chagny.</p>

<p>Après ces débuts impressionnants, Pietro Spartà souhaite mettre en avant l'arte povera et le minimalisme, et organise une deuxième exposition. Il continue à fonctionner à sa manière, non conformiste : il ne sait pas encore comment vendre des œuvres ni comment attirer des collectionneur∙euse∙s. Jouant sur sa distance avec le marché, il demande aux artistes de créer des pièces « invendables ». « C'était une façon de les faire vraiment travailler, et <span style="background-color: initial;">iels aimaient l'idée de créer des œuvres complexes », commente-t-il. La singularité de son approche permet de fédérer une vraie communauté, les artistes attirant son attention sur d'autres créateur</span>∙rice∙s partageant les mêmes idées, et soutenant cette passion et cette indépendance. Chagny (6 000 habitants), lieu rural à l'importance inversement proportionnelle à l'ambition de Pietro Spartà, s'est révélée un atout. Tout semblait possible, toutes les expérimentations étaient autorisées, il n’y avait aucune pression pour s'intégrer au marché. La marque d'un∙e grand∙e&nbsp;artiste, selon Pietro Spartà, n'est pas seulement relative à la forme &mdash; son approche du monde est également déterminante. Il s'intéresse aux artistes qui ont déjà quelque chose d'important à dire et revendiquent une créativité et une ouverture d'esprit.</p>

<p>La manière dont Pietro Spartà navigue aujourd'hui au sein de la sphère artistique demeure inchangée &mdash; et ça marche. Le macrocosme du monde de l'art a connu une véritable révolution, et si le galeriste a été marqué par ces évolutions mondiales, il a poursuivi son développement, tout en conservant un mode de fonctionnement très personnel. Internet a entièrement redéfini les paramètres de ce milieu &mdash; du nombre de collectionneur∙euse∙s au sens du territoire – « un vrai big bang », énonce celui qui n’a pas de site internet, n'est pas présent sur les réseaux sociaux, mais juge que les informations sur son activité « circulent tout de même &mdash; et c'est plutôt miraculeux ». S’il participe aujourd'hui à moins de foires, il continue d’attirer de nombreux∙ses collectionneur∙euse∙s . Et de se souvenir qu'à l'époque, les amateur∙rice∙s d'art assistaient tous∙tes aux vernissages des un∙e∙s et des autres, loin de la compétition qui, aujourd'hui, vise à attirer le plus de personnes possible.</p><p>Dans sa galerie, la durée des expositions est « très variable – elle dépend des œuvres de l'artiste et de son propre programme », précise-t-il. Certaines restent en place jusqu’à six mois ; ainsi, il en organise généralement deux à quatre par an. Pietro Spartà dispose d'un « petit » espace de 130 m<sup>2</sup> et d'un plus grand, à proximité, de 800 m<sup>2</sup>, coiffé d'une verrière. La dernière exposition en date présentait des œuvres de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6868/Thomas-Sch%C3%BCtte">Thomas Schütte</a>, notamment une structure en bois construite sur mesure. Cette « maison-sculpture » hexagonale a été surnommée la « Spartà Hut », et c’est Pietro Spartà lui-même qui a suivi chacune des étapes de sa construction. La prochaine exposition aura lieu en novembre : une installation in situ de Gilberto Zorio, associée à plusieurs pièces plus anciennes.</p>

<p>À l'occasion, Zorio créera également une œuvre publique, comme l'ont déjà fait plusieurs artistes, sous la direction de Pietro Spartà, et en collaboration avec la ville de Chagny et le ministère de la Culture. Parmi celles-ci, l’œuvre en béton et métal de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6778/Lawrence-Weiner">Lawrence Weiner</a>, <em>Et sous les étoiles – Le Livre près de l’eau</em> (1994), la fontaine en bronze <em>Weinende Frau</em>&nbsp;(2009/2017)&nbsp;de Thomas Schütte&nbsp;et <em style="background-color: initial;">Octagon for Saint Eloi</em>&nbsp;(1991) en acier Corten de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7516/Richard-Serra">Richard Serra</a> – dont l’inauguration a ravi les habitant∙e∙s présent∙e∙s. Mais lorsque l'œuvre de 57 tonnes a été installée sur la place de l'église, ceux∙celles-ci ont cru que ce n’était que le piédestal de la statue – alors qu’il s’agissait bien de l'œuvre elle-même. Pietro Spartà, amusé par ce souvenir, décrit ce moment comme ayant « un côté Jacques Tati » &mdash; un drôle de malentendu rappelant ceux mis en scène par le réalisateur français. Avoir un pied dans le monde ouvrier et un autre dans le monde de l'art permet à « l'un de renforcer l'autre », souligne le galeriste. Pietro Spartà savoure « l'excitation inhérente à la collaboration avec un∙e grand∙e artiste, avant d’aller au bistrot du coin pour discuter avec des gens éloignés de cet univers ».</p>

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	Quant à ce qu'il montrera à Paris+ par Art Basel, Pietro Spartà n'avait, à la fin de l'été, pas encore décidé. « Je vais poser une chaise », annonce-t-il, « et ensuite nous verrons ! »
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	Sarah Moroz est une journaliste et traductrice&nbsp;franco-américaine basée à Paris. Elle a entre autres contribué au <em>Guardian</em>,&nbsp;<em>i-D</em>, <em>Bookforum</em>, et <em>Flash Art</em>.</p><p>Traduction française : Henri Robert</p>
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	Légende pour les images en pleine page, de haut en bas :
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	1. Pietro Spartà dans sa galerie devant <em>Spartà </em><em>Hut (</em>2021) de Thomas Schütte. 2. Pietro Spartà devant&nbsp;<em>Octagon for Saint Eloi</em> (1991) de Richard Serra. 3. Pietro Spartà dans le centre-ville de Chagny.&nbsp;4. Pietro Spartà devant&nbsp;<em>Et sous les étoiles</em> (1994) de Lawrence Weiner. Louis Canadas pour Paris+ par&nbsp;Art Basel.
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Le galeriste a convaincu Lawrence Weiner et Richard Serra d'exposer dans sa Bourgogne natale. Quel est le secret de sa réussite ?

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This French gallerist convinced Lawrence Weiner and Richard Serra to exhibit in rural Burgundy. What's his secret?

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