Karim Crippa : Amanda Lear, on vous connaît évidemment en tant que chanteuse et en tant qu’actrice, mais vous êtes aussi, et ce depuis plus longtemps que tout, artiste peintre.

Amanda Lear : C’est-à-dire que comme j’ai fait l’École des beaux-arts, je ne pensais pas du tout que ma carrière allait s’orienter vers le théâtre ou le cinéma. Au départ, ce qui m’intéressait, c’était uniquement la peinture. J’ai ensuite rencontré Salvador Dalí, pour qui j’ai notamment posé, et petit à petit, je me suis tournée vers la musique disco, puis le théâtre, la télévision, le cinéma. Maintenant je suis actrice, mais la peinture a toujours été très importante pour moi.

Je ne peux pas vivre si je ne rentre pas chez moi en Provence pour me retrouver seule et peindre. Pour moi, c’est comme aller chez le psychanalyste. Évidemment, je ne suis pas une peintre mondialement connue, alors que je suis une chanteuse mondialement connue. Je me suis donc toujours retrouvée avec l’étiquette de la chanteuse qui peint, ce qui me dérange un peu. Ce serait plutôt le contraire : je suis une peintre qui chante.

Vous avez dit que quand on est en Provence, il est impossible de ne pas peindre.

C’est vrai. Il y a quelque chose de magique dans cet endroit qui fait que, quand on arrive, on a envie de peindre, même si on n’est pas peintre. Tou∙te∙s les grand∙e∙s artistes y ont séjourné, de Van Gogh à Cézanne. Cela fait 40 ans que j’y suis installée.

Qu’est-ce que vous trouvez le plus difficile à peindre ?

Le plus difficile à peindre, ce sont les êtres humains. Je les peins toujours de dos. Les fesses me réussissent plutôt bien. La fesse, c’est quelque chose d’extraordinaire : ça prend bien la lumière, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes.

Ce qui me vient le plus facilement, ce sont les arbres : c’est ce qu’il y a de plus beau. Chez moi en Provence, j’ai beaucoup d’oliviers. Quand vous voyez cet arbre tout tordu, qui vit 2 000 ans et qui fait des petits fruits… Tout cet effort, c’est magique.

Avez-vous des artistes préféré∙e∙s ?

J’ai toujours aimé les fauves – Gauguin, Vuillard, Bonnard, les peintres qui savent manier les couleurs vives. Malheureusement, quand j’ai rencontré Dalí, il me les a complètement sabotés. Il disait que c’était épouvantable, mal peint, et qu’il n’y avait que trois artistes qui comptaient : Vélasquez, Raphaël et Vermeer… et bien sûr lui-même.

Je suis restée avec Dalí pendant 15 ou 16 ans, donc j’écoutais bien entendu tout ce qu’il me disait. Je n’allais pas me disputer avec un génie de la peinture ! Peu à peu, je me suis rendu compte que j’étais victime d’une sorte de tyrannie, de crétinisation. Quand il a disparu, j’ai redécouvert mon propre goût.

Qui a le mieux peint Paris, d’après vous ?

Paris n’est pas facile à peindre. Certain∙e∙s ont réussi, un peu académiquement, mais beaucoup se sont raté∙e∙s. Le Paris de Maurice Utrillo, par exemple, c’est naïf, pas joli. J’aime le Paris de Raoul Dufy, un Paris joyeux, très stylisé, avec plein de couleurs.

Quelle personnalité incarne le mieux Paris ?

La Parisienne, évidemment. La vraie Parisienne, c’est une femme toujours élégante, avec quelque chose en plus. Le dessinateur de mode René Gruau, qui faisait toutes les campagnes publicitaires pour Dior, savait la représenter, il capturait parfaitement le chic parisien. Mais bon. Maintenant, quand vous regardez les gens dans la rue, tout le monde est en doudoune, en baskets, en jogging…

Quelle est la chose la plus folle que vous ayez vue à Paris ?

Il y en a beaucoup – certaines sont choquantes, d’autres tout simplement idiotes. En ce moment, je passe tous les jours devant le bouquet de tulipes de Jeff Koons. Je trouve ça totalement absurde ! Qu’est-ce que ça fout au milieu de Paris ? Il m’a contactée récemment en me disant que nous nous étions rencontré∙e∙s à New York il y a quelques années, que je l’inspirais… Alors je lui ai répondu : je pense à vous tous les jours quand je passe devant vos tulipes !

Que ne peut-on faire qu’à Paris ?

Voir la tour Eiffel. Je suis actuellement logée à Passy, et je m’extasie tous les jours devant cette construction extraordinaire. C’est un chef-d’œuvre. Il y a d’autres lieux uniques dans cette ville – Montmartre, la Concorde –, mais pour les gens, Paris, c’est la tour Eiffel.

Quels lieux affectionnez-vous particulièrement à Paris ?

J’ai toujours aimé le quartier de Saint-Germain-des-Prés. J’aurais aimé y habiter, mais impossible d’y trouver un appartement. Pour moi, c’est le quartier des artistes, des étudiant∙e∙s, où l’on trouve notamment la place de Furstemberg, qui est très jolie. Un de mes musées préférés est le Musée Gustave Moreau. Dalí m’y emmenait. 

On vous attribue souvent le statut d’icône : que faites-vous de ce mot ?

Il me dérange. Une icône, c’est quelque chose de très figé, une image religieuse, devant laquelle on fait des prières. Moi, je bouge tout le temps. Je préfère les termes « muse » ou « inspiratrice ». Les couturiers m’aiment bien. Il y a en ce moment une mode des femmes plus âgées, sûres d’elles, épanouies – par exemple, je viens de faire la dernière campagne de Jacquemus.

Qui seraient les invité∙e∙s de votre dîner idéal, si vous pouviez choisir ?

Des gens drôles, qui ont de l’esprit. Oscar Wilde, peut-être Truman Capote… et une grande actrice, comme Bette Davis. Et pour faire joli, un beau garçon, disons Jacob Elordi. Il vaut mieux avoir quelque chose à regarder quand on mange. L’esthétique, ça compte.

Crédits et légendes

Karim Crippa est Directeur de la Communication d’Art Basel Paris et Senior Editor à Art Basel.

Photographies d’Aliki Christoforou pour Art Basel.