<p>Exposée au Carré d’Art à Nîmes, <em>Unstuck</em> assemble des motifs traditionnels et contemporains</p>

Propos recueillis par Louise Darblay

Rosalind Nashashibi revisite sa peinture commencée à l’aube du conflit en Ukraine

<p>« J’ai commencé à peindre cette toile le jour où la Russie a envahi l’Ukraine : un évènement qui était prévisible, mais auquel je ne voulais pas croire. C’était comme le retour d’une certaine version de la mort, celle de deux États souverains en guerre. À l’origine de chacune de mes œuvres, il y a un motif, et ici, j’ai commencé par peindre le crâne qui est à l’arrière-plan et l’abeille qui semble drainer la vie d’une fleur noire – à moins que ça ne soit la fleur qui draine celle de l’abeille. Puis c’est devenu cette scène d’extérieur, avec la table et l’assiette, qui fait référence aux natures mortes et scènes de jardin de la fin du 19<sup>e</sup> siècle et du début du 20<sup>e</sup>, avec une certaine captation de la lumière pouvant évoquer les impressionnistes et postimpressionistes. »</p>

<p>« Mais après avoir passé beaucoup de temps sur cette toile, je me suis sentie assez frustrée. Même s’il y avait encore de la fraîcheur dans le traitement, j’avais l’impression qu’elle était trop travaillée. J’ai donc décidé de faire un geste par-dessus qui serait rapide, soudain – et c’est là que les cygnes sont entrés dans la composition. Ce motif est basé sur un bibelot en cristal des années 1980 représentant deux cygnes aux cous entrecroisés, que j’ai trouvé dans un <em>charity shop</em> [boutique caritative de type Emmaüs] à Londres. C’est un objet très kitsch, mais également assez tendre et délicat, un objet qui aurait dû compromettre toute la composition du tableau mais qui, pour moi, lui a donné tout son sens. »</p>

<p>« J’ai appelé cette œuvre <em>Unstuck</em> [« décollé » en anglais] parce qu’elle me rappelle le processus d’un collage, ce moment où vous déplacez toutes les pièces découpées au-dessus du papier jusqu’à ce qu’elles trouvent leur place, d’une manière souvent inattendue. J’aime les choses qui jouent avec la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, et cet élément de transgression qu’il y a, par exemple, dans le fait d’utiliser ce bibelot et de tenter de le proposer comme un motif sérieux. Donc ce n’est pas tant une œuvre à propos du kitsch en soi qu’une tentative de créer quelque chose d’authentique, tout en utilisant un chemin qui me force à contourner mes propres définitions d’authenticité et de sens en tant que peintre. »</p>

<p>« Les cygnes sont réapparus dans plusieurs œuvres de cette série, au point de devenir une sorte de cachet ou de monogramme, et c’est pourquoi j’ai appelé les deux expositions&nbsp;“Monogram”. Le monogramme, c’est une tentative d’exprimer quelque chose de façon très réduite, comme l’entrelacement d’initiales ou un emblème, et qui finit par avoir bien plus de pouvoir et de signification qu’il ne devrait. Cette idée d’un signe qui représente à lui seul tout un système est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Quelle différence faisons-nous entre un signe et une image, et comment puis-je jouer sur cette hiérarchie ? »</p>

<p>« Pour moi, peindre, c’est apprendre à distiller les motifs ou les images qui m’habitent, ce qui est assez similaire à ma manière de faire des films, même si les outils et le processus sont très différents. Je suis toujours en train de suivre une intuition. Celle-ci peut se manifester sous la forme d’un motif ou d’un élément de composition, ou bien d’un personnage si c’est un film, mais il s’agit toujours pour moi de m’autoriser à la poursuivre et de faire confiance au processus créatif. C’est un cheminement intuitif dans le sens où en fait, l’œuvre ne naît jamais à partir de et n’est pas non plus à propos de quelque chose de tangible – elle émerge plutôt d’un manque de quelque chose. C’est simplement moi qui essaye de sonder et de comprendre les choses qui m’interpellent et m’intéressent, que ce soit en peignant ou en réalisant des films. Mais avec la peinture, on a la possibilité de travailler d’une manière tellement directe et immédiate, je trouve ça magique. »</p>

<p>Rosalind Nashashibi est représentée par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/2055/Grimm">Grimm</a> (Amsterdam, Londres, New York).</p><p>«&nbsp;Monogram&nbsp;»<br />Carré d’Art, Musée d’art contemporain<br />Nîmes<br />Jusqu’au 26 mars 2023.</p><p>Louise Darblay est critique d'art, rédactrice et traductrice. Elle vit à Londres.</p><p>Publié le 14 février 2023.</p>

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Exposée au Carré d’Art à Nîmes, Unstuck assemble des motifs traditionnels et contemporains

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Currently on view at Carré d’Art in Nîmes, Unstuck combines traditional and contemporary motifs

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