De la frontière belge aux plages de la côte d’Opale, la région des Hauts-de-France semble parcourue par une formidable dynamique artistique. lille3000 – association qui organise depuis 2004 des saisons culturelles emblématiques d’une approche inclusive et populaire – prépare l’anniversaire de ses 20 ans. Installé dans un bâtiment visionnaire, le LaM (Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut), à Villeneuve-d’Asq, a fêté l’an dernier ses 40 ans. Le Louvre-Lens, pôle nordiste du grand musée parisien, ouvert en 2012, poursuit l’aventure collective qui lui a permis de nouer un lien unique avec ses publics. Créée en 2019, la Triennale Art & Industrie, à Dunkerque, vient de clôturer une deuxième édition qui a confirmé son rayonnement transfrontalier. Enfin, de fructueuses collaborations entre acteur∙rice∙s public∙que∙s et privé∙e∙s, comme celle portée notamment par le Fonds régional d’art contemporain (Frac) Picardie, à Amiens, contribuent à irriguer un territoire en pleine ébullition culturelle.
La métamorphose durable de la métropole lilloise
Avec près de deux millions de visiteur∙euse∙s pour son édition Utopia, qui s’est tenue en 2022, le succès populaire de lille3000 ne se dément pas. Alors que la France entre dans la dernière ligne droite avant les JO, programmés en juillet, dans les bureaux de l’association, on a en tête un seul mot d’ordre : fiesta ! Et une date : avril 2025. Afin de ne pas se trouver en porte-à-faux avec le calendrier sportif, la septième édition de la manifestation, déclinée sur 95 communes de la métropole lilloise, a en effet été repoussée d’un an. Invoquant l’esprit de convivialité et de partage, elle offrira de célébrer, avec un léger décalage, les 20 ans de cette saison culturelle pensée dans la continuité de Lille 2004, capitale européenne de la culture.
La capitale des Flandres, dont l’histoire industrielle se traduit par la magnificence de ses luxueux hôtels particuliers, mais aussi par la présence de nombreuses usines désaffectées, a été métamorphosée par cette labellisation, d’autant que lille3000 a fait le choix d’aménager et de créer des équipements culturels pluridisciplinaires – les fameuses maisons Folies – en pariant sur des équipements de proximité. Le Tripostal, reconverti en lieu d’art contemporain, compte parmi les legs notables de cette période fondatrice : des invitations à découvrir de grandes collections y ont donné lieu à quelques expositions remarquables (telle « Passage du temps » en 2007, une sélection de la collection d’art de François Pinault). Jean-François Chougnet a repris la direction de lille3000 depuis la rentrée dernière. L’ancien directeur général de la manifestation culturelle Marseille-Provence 2013 (qui s’est déroulée à Marseille et dans le département des Bouches-du-Rhône, à l’occasion du titre de capitale européenne de la culture), relève la dimension participative unique de ce rendez-vous lillois à forte connotation régionale, mais dont les expositions et l’incontournable parade attirent en outre une part croissante de visiteur∙euse∙s étranger∙ère∙s, notamment de Belgique. Jean-François Chougnet est également frappé, depuis son arrivée, par le principe de coopération qui prévaut ici entre les différents acteur∙rice∙s culturel∙le∙s. « Le Nord est une des rares régions françaises où il existe une structure de dialogue entre les musées », s’enthousiasme-t-il.
« Depuis Lille 2004, les musées ont aussi appris à travailler avec les structures du spectacle vivant », renchérit Benoit Villain, responsable de la programmation culturelle du LaM qui, à titre personnel, se dit ébloui par la transformation culturelle de la ville où il a grandi. Ce musée de premier plan a franchi le cap des 40 ans l’an dernier avec trois superbes expositions (consacrées à Isamu Noguchi, Mohamed Bourouissa et Anselm Kiefer), ainsi qu’un nouvel accrochage de ses collections, unique par le dialogue qu’il instaure entre l’art moderne, l’art brut et l’art contemporain. Le LaM prépare à présent la suite, avec notamment une grande rétrospective de Kandinsky en partenariat avec le Centre Pompidou, prévue en 2026.
Les ambitions d’Amiens Métropole pour les arts visuels
À mi-chemin entre Paris et Lille, Amiens, dans la vallée de Somme, est connue pour ses jardins et ses canaux. Riche de plusieurs infrastructures universitaires dynamiques, elle mise depuis peu sur de futurs atouts prometteurs. La capitale historique de la Picardie qui, en matière de politique culturelle, avait jusqu’à récemment concentré ses efforts sur le spectacle vivant et les arts de la rue, entend désormais se doter d’un pôle dédié au cinéma d’animation. Celui-ci verra le jour dans l’ancien tri postal et réunira le festival de bande dessinée On a marché sur la bulle, le département d’art numérique de l’école supérieure d’art et de design (ésad) d’Amiens et, enfin, le Frac Picardie. Le fonds régional d’art contemporain est en effet doté d’une fantastique collection d’art graphique (de Marlene Dumas à William Kentridge), souligne son directeur, Pascal Neveux, emballé par ce nouveau projet autour des « écritures dessinées » associant structures publiques et privées. « C’est toute une filière qui va s’incarner à travers ce lieu », affirme-t-il – avec l’ambition de créer un pendant au nord de la région, où, entre Lille, Roubaix et Tourcoing, un écosystème fécond s’est développé autour de l’audiovisuel (avec Pictanovo, la Plaine images, Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, le festival Séries Mania…). Confié à l’architecte Alexandre Chemetoff, le chantier de réhabilitation du site de l’ancien tri postal, en plein centre-ville d’Amiens, doit être lancé cette année, pour une livraison prévue à l’été 2026.
Dunkerque irriguée par l’énergie de sa Triennale
Face à la mer du Nord, Dunkerque est bordée par un paysage de dunes nimbées d’une lumière qui fascine depuis toujours peintres, photographes et cinéastes. Depuis plus de 10 ans, le Frac Grand Large y est installé dans un bâtiment monumental hérité des anciens chantiers navals de la ville portuaire. C’est là que s’est en partie déroulée, en 2023-2024, la deuxième édition de la Triennale Art & Industrie, dont l’intitulé « Chaleur humaine » se rapportait à la thématique des énergies. Initiée conjointement par le Frac Grand Large et le Lieu d’art et action contemporaine (LAAC), la manifestation bénéficie d’un important maillage de partenaires privé∙e∙s et de mécènes. L’autre caractéristique de cette triennale, selon Keren Detton, directrice du Frac Grand Large, est qu’elle « valorise une démarche de recherche autour des collections publiques d’art, grâce à un double partenariat avec le Centre national des arts plastiques (Cnap) et le Centre Pompidou, qui se traduit par de nombreux prêts d’œuvres. Son positionnement revendique clairement un propos sur la création contemporaine ».
L’évènement, qui draine un public régional, mais aussi transfrontalier, venu de Belgique et du Royaume-Uni, s’articule autour d’une exposition magistrale, vue cette année par plus de 50 000 visiteur∙euse∙s. Mais pour Keren Detton, la triennale, qui comporte aussi plusieurs productions spécifiques, ne se limite pas à son calendrier d’ouverture, du mois de juin au mois de janvier. « La dynamique tient aussi à tout ce qui se passe avant, tous les rendez-vous territoriaux menés en amont, et tout ce qui se déroule en aval. » Ainsi cette deuxième édition a-t-elle débouché sur un accord de coopération avec ses voisines frontalières : les triennales de Bruges, de Courtrai et de Beaufort. Le but ? Partager des bonnes pratiques pour concevoir des expositions de manière plus durable et mutualiser ce qui peut l’être, de la production au transport d’œuvres.
Le Louvre-Lens, une utopie culturelle enracinée dans un ancien bassin minier
Sous la direction de Marie Lavandier jusqu’en mars 2023, la décennie écoulée a valu au Louvre-Lens un public fidèle, familial, et en bonne partie de proximité (plus d’un∙e visiteur∙euse sur quatre). Depuis, Annabelle Ténèze a repris les rennes de l'institution nordiste. La période actuelle est charnière pour le musée, qui se fond dans le paysage environnant tel un grand parallélépipède de verre et de métal. Offrant d’embrasser 5 000 années d’histoire de l’art, son emblématique Galerie du temps entame en effet un nouveau chapitre. Au terme d’un chantier inédit de médiation, cet espace unique – et gratuit ! – sera renouvelé à la fin de l’année 2024, grâce à une scénographie entièrement repensée et à l’installation de 200 nouvelles pièces majeures issues des collections. Quant au parc du Louvre-Lens, il réservera à ses visiteur∙euse∙s, dès le printemps prochain, l’opportunité d’une rencontre contemplative avec une œuvre de Kapwani Kiwanga (l’artiste représentera le Canada à la 60e Biennale de Venise).
Face au musée, la résidence Pinault a pour sa part valeur d’exemple dans un territoire où les programmes et les structures d’accueil en résidence, encore trop rares, commencent à se développer. Diplômée du Fresnoy – Studio national des arts contemporains en 2021, Céleste Rogosin a ainsi mené des recherches d’octobre à décembre 2022 autour de Boulogne-sur-Mer et de Calais, grâce au programme de résidence Archipel destiné à des artistes émergent∙e∙s, qui relie quatre écoles d’art de pratique amateur des Hauts-de-France (Le Concept - École d’art du Calaisis, l’École municipale d’art de Boulogne-sur-Mer, l’École d’arts plastiques de Denain - Espace VillAr(t)s et le Centre d’arts plastiques et visuels de Lille). Depuis octobre dernier, sa résidence à la Pinault Collection permet à cette cinéaste franco-américaine de poursuivre son exploration des paysages nordiques – qu’elle dit avoir découvert dans les films de… Bruno Dumont, natif du Nord. La suite de ce projet se donnera à voir prochainement au Frac Grand Large – preuve que les bonnes énergies circulent dans la région.