« J’ai grandi entouré d’art, dans une famille d’architectes. Mon père, Alami Lazraq, promoteur immobilier, collectionne depuis plus de 40 ans. Notre maison était remplie d’art, et nos voyages tournaient souvent autour de cette passion. J’ai étudié l’architecture en Suisse, puis travaillé à New York. J’ai aussi beaucoup voyagé, ce qui m’a permis de me faire ailleurs ma propre idée de ce qu’est l’art contemporain. Malgré tout, j’ai toujours gardé un lien fort avec l’Afrique et le Maroc, qui occupent une place très importante pour moi. »

« En rentrant au Maroc après mes études et mon travail à l’étranger, j’ai rejoint le Groupe Alliances, fondé par mon père en 1994. J’ai travaillé avec lui et son équipe pendant plusieurs années sur des projets de développement immobilier. J’ai également pris la direction de la Fondation Alliances, créée par mes parents en 2009 pour structurer et valoriser leur collection, qui comptait déjà plus de 2 000 œuvres. La Fondation avait aussi pour mission de développer des programmes culturels et éducatifs. Je me suis rendu compte que les artistes manquaient de soutien au Maroc et qu’il∙elle∙s devaient souvent partir à l’étranger, comme à Berlin ou Paris, pour pouvoir travailler. Ce constat m’a fait réfléchir à mon rôle en tant que collectionneur. L’acte de collectionner consiste avant tout à aider les artistes à exister, à être reconnu·e·s, à gagner en confiance et à ne pas tomber dans l’oubli. »

« À l’origine, je souhaitais compléter la collection familiale. Celle-ci réunit des œuvres d’artistes marocain·nes et maghrébin·e·s, et s’est enrichie au fil des voyages de mon père à travers toute l’Afrique, qui lui ont permis d’acquérir des œuvres d’artistes du Sénégal, du Congo, du Cameroun ou encore du Ghana. Aujourd’hui, la collection compte plus de 2 500 œuvres. Elle garde une forte identité africaine avec des artistes de tout le Continent, mais s’est aussi ouverte à d’autres régions du monde comme l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Europe, incluant même des œuvres majeures d’artistes modernes tels que Jacques Majorelle, Fernando Botero, Roberto Matta, Antoni Tàpies, César et Liu Baomin. La collection va des pionnier·e·s comme Albert et Antoinette Lubaki (RDC), aux figures emblématiques de la modernité marocaine, comme Farid Belkahia et Mohamed Melehi, jusqu’à des artistes contemporain·e·s comme Abdoulaye Konaté (Mali), Kwame Akoto-Bamfo (Ghana), Sammy Baloji (RDC), Billie Zangewa (Malawi/Afrique du Sud), Josèfa Ntjam (France) ou encore les Marocain·e·s Hassan Hajjaj et Amina Agueznay. Elle reflète une grande diversité d’époques, de mouvements artistiques et de médiums. »

« En 2012, Meriem Berrada, aujourd’hui directrice artistique du MACAAL, a rejoint notre fondation. Avec une équipe de professionnel·le·s, nous avons inventorié et organisé la collection. En 2016, nous avons inauguré à Marrakech le Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden (MACAAL), qui est rapidement devenu une référence pour l’art contemporain. »

« Créer un musée en Afrique présente de nombreux défis, parmi lesquels le fait qu’au Maroc peu de personnes ont déjà eu l’occasion de visiter un musée. Nos expositions doivent donc être accessibles à toutes et à tous. Nous avons dû faire preuve de créativité pour attirer un large public et bâtir une communauté autour du musée. Pour cela, nous avons lancé des initiatives visant différentes catégories de la société, assoupli les codes traditionnels du musée et déconstruit l’idée qu’il s’agit d’un lieu élitiste. Le musée est devenu une plateforme de dialogue. »

« Au départ, le musée avait pour objectif principal de présenter la collection. Mais rapidement, les expositions temporaires ont pris une grande importance. Depuis l’inauguration, nous en avons réalisé plus de 15, presque toutes entièrement produites localement. Marrakech occupe une place centrale dans nos projets. Comme le dit mon père, c’est la ville qui nous a tout donné. C’est aussi un carrefour culturel, le centre du rayonnement de la culture marocaine et, selon moi, un hub incontournable pour l’art et la culture en Afrique aujourd’hui. »

« Certain·e·s artistes internationaux·les que nous avons présenté·e·s au musée ont souvent été invité·e·s en résidence pour produire leurs œuvres au Maroc, souvent en collaboration avec des artistes ou artisan·ne·s basé·e·s dans la région. Ce pays riche en savoir-faire artisanal met en valeur l’importance du travail manuel. Ainsi, les œuvres et expositions créées s’intégraient pleinement au contexte marocain. Des artistes comme le colombien Daniel Otero Torres, la française Gaëlle Choisne, le brésilien Maxwell Alexandre, la britannique Rahima Gambo ou le malgache Joël Andrianomearisoa ont ainsi réalisé des installations particulièrement marquantes au MACAAL. »

« Le musée rouvre en ce moment avec l’exposition “Seven Contours, One Collection”, qui présente 150 œuvres issues de la collection. L’exposition est organisée en sept salles thématiques et explore des enjeux aujourd’hui majeurs pour l’Afrique comme la décolonisation, la cohabitation, la globalisation et l’environnement. Cette exposition, prévue pour durer trois ans, marque une période où nous souhaitons prendre du recul, nous recentrer sur la collection, l’éducation et la médiation. Ce musée est avant tout une histoire de transmission entre un père et un fils. Désormais, je souhaite me consacrer pleinement au dialogue entre le musée et son public. »

Crédits et légendes

« Seven Contours, One Collection »
Exposition permanente
MACAAL, Marrakech 

Florence Derieux est une historienne de l’art et commissaire d’exposition.

Légende de l’image d’en-tête : Othman Lazraq. Photographie de Saad Alami.

Publié le 3 février 2025.