« J’ai toujours été intéressée par l’art. Lorsque j’étais étudiante en histoire de l’art à l’université Rice de Houston, j’ai eu la chance de travailler directement avec [la philanthrope] Dominique de Menil, qui est devenue mon mentor. C’était une humaniste profondément intéressée par l’aspect spirituel de l’art. Elle m’a sensibilisée aux énergies que dégagent les œuvres et à la manière dont elles peuvent se renforcer ou s’équilibrer l’une l’autre. Elle invité des professeur·e·s et des historien·nne·s de l’art renommé·e·s, et a fondé un lieu [le Rice Media Center], où elle organisait des expositions avec les grand·e·s artistes de l’époque. Sa passion et son engagement ont été sources d’inspiration pour mon propre parcours. »

« La première œuvre que j’ai collectionnée était une gravure de Jean Cocteau. Après mes études de premier cycle, j’ai fait un petit boulot pour une marchande d’art à Paris. J’étais tellement intriguée par son travail que j’ai préféré être payée avec la gravure plutôt qu’avec de l’argent ! Ce fut ma première véritable pièce. »

« J’ai ensuite obtenu une maîtrise en restauration et en histoire de l’art à l’Institute of Fine Arts à New York. Cela a également joué un rôle considérable dans ma vie, et je continue à soutenir la conservation et de la protection des sites et du patrimoine culturel menacés. En 1998, j’ai cofondé le groupe Friends of Heritage Preservation, dont je suis toujours la directrice. »

« Mon intérêt pour l’art s’est naturellement mué en une volonté de soutenir les artistes contemporain·e·s. Il·elle·s ont besoin d’espace et de temps pour créer, et c’est ce que offre notamment le prix Suzanne Deal Booth/FLAG Art Foundation, doté de 200 000 dollars et d’une exposition individuelle à Austin et à New York. Les lauréat·e·s [Rodney McMillian (2018), Nicole Eisenman (2020), Tarek Atoui (2022), Lubaina Himid (2024)] m’ont souvent dit à quel point le prix avait changé leur vie. Il·elle·s ont pu consacrer toute leur énergie à la création artistique pendant une longue période. Par exemple, Lubaina Himid, lauréate du prix 2024, a fait une pause dans son activité d’enseignante pour se concentrer sur la réalisation de nouvelles œuvres, qu’elle a exposées au Contemporary Austin au printemps dernier. L’exposition est actuellement à la Fondation FLAG à New York. »

« Dans ma propre collection, j’évite les œuvres dont les thèmes sont négatifs ou violents. Bien que j’aie collectionné de telles pièces pour des institutions, chez moi, je préfère éprouver un sentiment de bien-être, de joie, de bonheur. J’aime voir comment les gens réagissent à ces œuvres inspirantes ou intrigantes. Je change souvent celles que je montre, en particulier les œuvres sur papier, que je conserve dans des couloirs sombres pour les protéger de la lumière. »

« En 2010, je me suis vu confier l’intendance d’un vignoble historique de la Napa Valley, Bella Oaks. Là-bas, les œuvres sont très différentes de celles que j’ai chez moi. Le vignoble étant un lieu agricole, je dois faire très attention à l’emplacement de chaque pièce. Les chemins sont poussiéreux et les machines peuvent présenter des risques. C’est pourquoi les œuvres – réalisées par des artistes tels Max Ernst, Joel Shapiro et Solange Pessoa – sont placées le long de l’allée principale plutôt que parmi les cultures elles-mêmes. Cela signifie également que les œuvres peuvent souvent être admirées lorsqu’on arrive dans la propriété ou qu’on la quitte. »

« L’une de mes œuvres en extérieur préférées est Untitled (2015-2019), de l’artiste mexicain Bosco Sodi. Elle est faite de cubes de terre cuite, modelés à la main et cuits dans un four qu’il a construit à Oaxaca, au Mexique. Chaque cube est unique, avec des patines différentes, et ils sont empilés sans mortier. La structure organique semble appartenir au paysage tout en étant totalement contemporaine. »

« Depuis mon bureau à Bella Oaks, la vue sur le vignoble est encadrée par une commande de l’artiste californien Robert Irwin, spécialiste de la lumière et de l’espace. Cette œuvre a l’effet magique de gommer les contours tout en encourageant l’œil à regarder différemment les vignes, transformant ainsi la beauté naturelle en de l’art en soi. »

« Un autre de mes coups de cœur est l’installation de Yayoi Kusama dans mon jardin, qui également encadré par des vignes. La présence du cube recouvert de miroirs est telle qu’il peut être apprécié jour après jour. Il reflète ce qui l’entoure et semble presque serti dans le paysage. On peut aussi pénétrer à l’intérieur pour vivre une expérience totalement différente. Le·la regardeur·euse est alors invité·e à jeter un œil à travers les minuscules ouvertures, ce qui lui permet d’avoir des vues à chaque fois différentes mais aussi intimes du paysage. J’adore voir les réactions d’admiration et d’émerveillement des visiteur·euse·s. L’œuvre porte un titre magnifique : Where the Lights in My Heart Go [Là où vont les lumières de mon cœur] (2016). Comment y résister ? »

« L’art et le vin exigent tous deux que l’on se consacre au patrimoine culturel et à sa préservation. Tout comme je prends soin du vignoble de Bella Oaks et m’efforce de produire le meilleur vin, je veux m’entourer d’œuvres qui m’apportent du bonheur. Toute cette beauté nourrit mon âme. »

Crédits et légendes

Elliat Albrecht est une autrice et une rédactrice basée au Canada. Elle est titulaire d'une licence en Critical and Cultural Practices de l'Emily Carr University of Art + Design et d'une maîtrise en Literary and Cultural Studies de l'université de Hong Kong.

Légende de l’image d’en-tête : Robert Irwin, Untitled, 2015. Photographie de Matt Morris. Avec l’aimable autorisation de Bella Oaks.

Publié le 25 septembre 2024.