<p>Le directeur du département des peintures du Louvre discute le rapprochement entre les deux artistes, proposé par la Fondation Louis Vuitton à Paris&nbsp;</p>

Sébastien Allard

Impressionnisme abstrait ? La rencontre inédite entre Joan Mitchell et Claude Monet

<p>La rétrospective consacrée par la Fondation Louis Vuitton à Joan Mitchell, tout comme le volet qui propose une confrontation de son œuvre avec les <span style="background-color: initial;">dernières peintures de Claude Monet, offrent un moment d’éblouissement. La surprise de la (re)découverte d’une artiste, Joan Mitchell, trop longtemps sous-estimée au profit de ses collègues – et parfois amis – masculins, est décuplée par l’exceptionnelle qualité des prêts et l’intelligence du parcours qui relie les deux projets.</span></p><p><span style="background-color: initial;"></span></p><p>Entre la violence, l’intensité du geste et l’éclat des couleurs de Mitchell, et l’aspect contemplatif des <em>Nymphéas</em>, il y a, pourtant, parfois, quelque chose qui heurte, comme deux univers dont on sent les correspondances mais qui peinent à se (re)trouver. Mitchell elle-même n’a guère manifesté une reconnaissance claire de la filiation avec Monet, lui préférant Van Gogh et Cézanne. La rencontre se fait essentiellement autour de Vétheuil – le village où les deux artistes ont longtemps séjourné et travaillé – et de la question du paysage qui sert de fil directeur aux expositions. En rapprochant Mitchell de Monet, non seulement les commissaires nous posent la question des rapports entre abstraction et impressionnisme, mais surtout ils nous invitent à nous interroger sur la place que nous accordons aujourd’hui à l’abstraction et sur la lecture que nous en faisons.&nbsp;</p>

<p>Lire l’œuvre de Mitchell à l’aune de l’impressionnisme conduit à valoriser ce qu’elle qualifiait de « feeling », ce sentiment qui semble enclencher, chez elle, l’acte de peindre. Pourtant, le « feeling » ne peut pas être complètement associé à celui de l’impression. Le trouble que la∙le visiteur∙euse qui vient de parcourir les galeries monographiques peut percevoir lorsqu’iel est confronté∙e, pour la première fois, à la rencontre entre les toiles de Monet et celles de Mitchell, le trahit : la solidité, la puissance chromatique des tableaux de Mitchell semble submerger le caractère « flottant », quasi évanescent des nymphéas et il faut quelques instants pour que l’œil s’habitue à passer de l’un à l’autre. « L’impression », de l’ordre du psychophysiologique, relève principalement de la perception, ici celle d’un Monet affaibli et devenu presque aveugle qui, par le monumental, par certains empâtements spectaculaires, tente de reprendre corps dans sa peinture. Au contraire, le « feeling » est de l’ordre de l’affect ; il se traduit plastiquement chez l’Américaine par la visibilité du geste, les coulures rappelant la rapidité de l’action, l’explosion des couleurs qui doivent tant à Van Gogh et par-delà au romantisme d’un Delacroix. Le fait que le « feeling » a pris forme dans cette peinture corporelle signale qu’il ne peut plus être considéré seulement de l’ordre de « l’état d’âme », dont le paysage serait la surface de projection.</p>

<p>Aussi en vient-on à s’interroger sur l’importance de l’interprétation biographique, bien souvent adoptée pour éclairer – sinon expliquer – l’œuvre de Mitchell (les séparations, le deuil, le voyage&hellip;). Il y a un paradoxe à voir la surdétermination biographique se déployer dans l’interprétation d’un travail avant tout abstrait. On se demandera si l’on en aurait usé à ce point si l’artiste avait été un homme – d’autant que la plupart du temps, nous sommes renvoyées à des passions tristes, entre deuil et mélancolie. Bien sûr, avec beaucoup des titres qu’elle donne à ses peintures, Mitchell en joue (<em>La Grande Vallée</em> ou <em>No Room at the End</em>). Mais, d’une part, certains d’entre eux ont été donnés après qu’elle a commencé à peindre, parfois dans ces « soirées titres » évoquées par son amie, l’artiste, compositrice et pédagogue Gisèle Barreau. D’autre part, jusqu’à quel point peut-on faire de son jeu à elle un élément fondamental de l’interprétation ? Pris trop littéralement, le filtre interprétatif que le titre impose, tout signifiant qu’il est, étouffe quelque peu l’ironie, voire l’auto-ironie, qui anime bien de ses compositions. Lorsqu’après sa rupture avec le peintre Jean-Paul Riopelle, elle commence à peindre <em>La Vie en rose, </em>elle le fait à grands coups de pinceau noir<em>. </em>Allusion à Edith Piaf peut-être, mais aussi manière de liquider l’affect sur la toile. </p>

<p>À l’inverse, en relisant l’impressionnisme du dernier Monet à la lumière de la peinture de Joan Mitchell, on comprend mieux la fugue qui s’est jouée tout au long du parcours de l’exposition où Mitchell semblait vouloir rattraper Monet et Monet Mitchell. La grande leçon de ce rapprochement n’est pas tant de souligner les influences en introduisant de la continuité, mais de donner à voir autrement et Mitchell et Monet, en éclairant l’un par l’autre et en bousculant les classifications. Car ce qui se joue d’essentiel dans le dialogue, c’est l’appréciation de la rupture fondamentale introduite par l’abstraction. « Ma peinture est abstraite, mais c’est aussi un paysage » se plaisait à dire Mitchell, comme si elle tentait, malgré tout, de ramasser la mise en recollant les morceaux d’une histoire de la peinture. Le point d’orgue final, celui où les deux artistes se rencontrent pleinement, elle avec <em>Edrita Fried</em> (1981), lui avec <em>Les Agapanthes </em>(1914-1926<em>)</em>, se déploie dans le registre du monumental, voire de la démesure, lorsque le spectateur est renvoyé à sa sensorialité et que la subjectivité s’immerge tout entière dans la peinture. </p><hr /><p>Sébastien Allard est directeur du département des peintures du musée du Louvre.</p><p>Joan Mitchell Foundation&nbsp;est représentée par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1103/David-Zwirner" target="_blank">David Zwirner</a> (New York, Londres, Paris, Hong Kong).&nbsp;</p><p>« Dialogue Claude Monet – Joan Mitchell »<br />« Rétrospective Joan Mitchell »<br />Jusqu’au 27 février 2023<br />Fondation Louis Vuitton, Paris</p><p>Légendes des images en pleine page :<br />1. Claude Monet, Nymphéas, 1916 – 1919. Avec l'aimable autorisation du&nbsp;Musée Marmottan Monet, Paris.<br />2. Joan Mitchell, Plowed Field, 1971. Fondation Louis Vuitton, Paris &copy; The Estate of Joan Mitchell<br />3.&nbsp;Joan Mitchell, Minnesota, 1980.&nbsp;Fondation Louis Vuitton, Paris&nbsp;&copy; The Estate of Joan Mitchell</p>

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Le directeur du département des peintures du Louvre discute le rapprochement entre les deux artistes, proposé par la Fondation Louis Vuitton à Paris

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PARAG1+2

agapanthes / la grande vallée

PARAG3

plowed field

PARAG4

no room at the end

maison de l'artiste

PARAG5+credits

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The director of the Louvre’s painting department explores the dialogue between the two artists presented at the Fondation Louis Vuitton

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