Grande variété d’espèces, innombrables détails, transformations et cycles de vie : le monde végétal est une intarissable source d’inspiration pour les photographes depuis les prémices de la discipline. Citons les planches botaniques de Karl Blossfeldt, réalisées à la fin du 19e siècle et devenues, depuis, des références. À Paris, la Maison européenne de la photographie (MEP) accueille jusqu’au 19 janvier prochain une exposition collective dédiée à cette exploration : « Science/Fiction – Une non-histoire des plantes » réunit les images de plus de 40 artistes, depuis les débuts de la photographie jusqu’à nos jours.
Le corpus présenté montre l’étendue des approches artistiques empruntées par ces auteur·e·s – souvent nourries par les évolutions technologiques – en vue de percer les mystères du règne végétal : la vidéo, le cyanotype, le collage ou la céramique font partie des médiums utilisés pour en révéler toute la puissance esthétique et formelle. Voici cinq artistes à ne pas manquer lors de votre visite.
Elspeth Diederix
Si la majorité des photographes se cantonnent au rôle d’observateur·ice·s attentif·ve·s du vivant, Elspeth Diederix endosse une double casquette, faisant de sa pratique botanique l’objet de sa pratique visuelle. Passionnée de la flore, l’artiste horticultrice a créé il y a sept ans son propre jardin public à Amsterdam, The miracle garden, où elle cultive de nombreuses fleurs et plantes souvent rares dans son pays. Un cabinet de curiosités à ciel ouvert, accessible librement et entretenu par les résident·e·s locaux·ales, et que la photographe sublime dans une série de clichés en gros plan. Révélant les courbes, plis et reliefs des plantes comme leurs couleurs éclatantes, ses images les dévoilent sous un jour plus intimiste, voire sensuel. Devant son objectif, les clochettes des campanules ressemblent étrangement à des bouches tirant la langue, et les tiges qui sortent des bulbes d’allium et de kniphofia jaillissent de tous côtés, comme autant de feux d’artifice.
Gohar Dashti
La pandémie l’a rappelé aux habitant·e·s du monde entier il y a quatre ans : lorsque les humains laissent un lieu à l’abandon, la nature y reprend ses droits, et ce plus rapidement qu’on le croit. Un phénomène particulièrement bien traduit par les photographies de Gohar Dashti, dans lesquelles un champ de coquelicot, un parterre de mousse ou encore un bosquet de sapins envahissent des bâtiments abandonnés et semblent y proliférer, baignés par la lumière du jour. À la fois rassurants et menaçants, les clichés placent ces essaims de plantes au premier plan, laissant les architectures surannées s’éclipser sous le triomphe du monde végétal. Comme l’ensemble du travail de la photographe iranienne, cette série, « Home », raconte les traces laissées par le passage du temps, de la guerre – notamment celle entre l’Iran et l’Irak –, l’impact de celle-ci sur les hommes et les femmes, et son pouvoir de destruction, auquel la nature semble toujours survivre.
Almudena Romero
Peut-on faire parler les plantes ? Celles-ci peuvent-elles être des artistes ? Ce sont les questions qu’adresse l’artiste espagnole Almudena Romero depuis des années, prenant le contrepied de la domination de l’être humain sur la nature. En créant le Museum of Plant Art, espace exclusivement virtuel comprenant une grande variété d’images, Almudena Romero célèbre la capacité d’agentivité et de création des plantes, de leurs transformations liées à leurs cycles de vie et à leurs réactions au monde extérieur, à l’instar de leurs variations de couleurs et de textures liées aux phénomènes naturels de photoblanchiment ou de photosynthèse. Réalisées à l’aide de techniques anciennes comme contemporaines, ses images plongent le·la regardeur·euse dans une mise en abyme où les plantes semblent s’animer.
Miljohn Ruperto & Ulrik Heltoft
La Terre regorge encore de variétés de plantes non identifiées. Le manuscrit de Voynich, ouvrage illustré du 15e siècle où des dessins de plantes côtoient une écriture et une langue cryptiques témoigne de la fascination ancestrale pour cette part d’inconnu. Dans ce livre historique, les photographes Miljohn Ruperto et Ulrik Heltoft découvrent des dizaines d’espèces végétales dont l’existence n’a jamais été prouvée et ont l’idée de les rendre d’autant plus réelles. En assemblant numériquement des fragments de plantes existantes et en les modélisant en 3D, ils donnent naissance à des fleurs et graminées hybrides où l’on reconnaît parfois la forme familière d’un bulbe, d’une racine ou d’un pétale. Photographiées en noir et blanc sur un fond obscur, ces plantes ultra crédibles, bien que totalement imaginaires, font un pied de nez à l’autorité du savoir botanique et à ses modes de représentation classiques. À la MEP, la série, « Études botaniques Voynich », résonne avec le projet de Joan Fontcuberta présenté dans la même salle : un herbier plus vrai que nature, composé uniquement d’espèces fantaisistes créées de toutes pièces.