La Contemporaine de Nîmes, nouvelle manifestation triennale de création contemporaine tout juste initiée par la Ville de Nîmes, arrive à point nommé pour rappeler les liens qu’a entretenu de tous temps cette cité, surnommée aussi la Rome française, à la plus grande modernité. En effet, dès les années 1950, Jean Bousquet, ancien maire de Nîmes et fondateur de la marque Cacharel, et Bob Calle, collectionneur et père de Sophie Calle, imaginent un grand musée d’art contemporain et constituent sa collection à partir en 1986. Quatre ans plus tard, ils invitent l’artiste américain Julian Schnabel à créer des œuvres monumentales dans la Maison carrée, l’un des temples romains les plus anciens et les mieux conservés à ce jour, jusqu’alors fermée au public. Parallèlement, de grands architectes et designers, tels Jean Nouvel et Philippe Starck, participent au renouveau de la ville. Norman Foster est sélectionné pour concevoir le Carré d’Art, le musée d’art contemporain de Nîmes, inauguré en 1993. Cet édifice de verre fait face à l’antique Maison carrée, comme pour mieux souligner cet aspect essentiel de l’identité de la cité que sont les liens entre histoire et présent, patrimoine et création.
C’est dans ce contexte particulier que s’inscrit la Contemporaine de Nîmes, présentée du 5 avril au 23 juin. Ses organisateur∙rice∙s ont fait un choix audacieux en confiant la direction artistique des deux premières éditions à un duo de jeunes commissaires français∙e∙s, Anna Labouze et Keimis Henni, connu∙e∙s pour avoir fondé, en 2014, l’association Artagon et créé, en banlieue parisienne, à Marseille et près d’Orléans, trois lieux de résidence, d’accompagnement et de formation à destination d’artistes émergent∙e∙s.
Les commissaires ont choisi de construire la première édition autour d’une thématique qui interroge les jeunes d’aujourd’hui, leurs préoccupations et leurs relations avec les générations qui les précèdent. Intitulé « Une nouvelle jeunesse », le projet explore les notions d’héritage et de transmission. Dans une volonté de créer une dynamique inédite, leur propos s’articule autour d’une grande exposition présentée dans toute la ville – musées, lieux culturels, sites patrimoniaux, mais aussi espace public.
Intitulée « La Fleur et la Force », en référence à la fleur et à la force de l’âge, l’exposition principale réunit 12 projets créés par 12 binômes intergénérationnels : les commissaires ont invité des artistes émergent∙e∙s qui ont à leur tour choisi d’inviter des artistes reconnu∙e∙s, voire historiques représentant des figures fondatrices dans la construction de leur parcours artistique ou des affinités esthétiques et/ou théoriques avec leur travail. Chaque binôme est exposé dans un lieu distinct et a été associé à un groupe d’habitant∙e∙s de Nîmes (élèves, membres d’associations, etc.). Ainsi, au Musée de la romanité, Valentin Noujaïm (France, 1991) présente l’œuvre vidéo Les Trois Visages d’Héliogabale, réalisée avec Ali Cherri (Liban, 1976) et à laquelle ont participé des lycéen∙ne∙s en spécialité cinéma. Un empereur romain effacé de l’histoire, Héliogabale, est le protagoniste de ce film tourné à Nîmes, sur le site archéologique du temple de Diane. Ali Cherri a réalisé les trois masques qui apparaissent dans la vidéo et sont présentés en miroir du dispositif d’exposition. Caroline Mesquita (France, 1989) et Laure Prouvost (France, 1978) ont créé, en collaboration avec les élèves d’une école maternelle, une sculpture monumentale et interactive venant dialoguer avec la fontaine de la place située devant l’école. Bee be mon manège mêle des personnages en laiton patiné réalisés par Caroline Mesquita aux mots de Laure Prouvost, et ne fonctionne qu’à condition que plusieurs personnes l’actionnent.
Anna Labouze et Keimis Henni ont aussi souhaité mettre en lumière une scène artistique moins globale que locale, régionale et nationale, et présenter des artistes de tous horizons. Le Carré d’Art accueille ainsi Oracle Museum, une œuvre conçue par un artiste né à Nîmes et diplômé de son école des beaux-arts, Hugo Laporte (France, 1990), et par Katja Novitskova (Estonie, 1984), avec la participation de jeunes de l’École de la 2e chance. Il∙elle∙s ont imaginé une proposition d’institution muséale et archéologique du futur en rassemblant ce qui pourrait être les artefacts et les traces d’une humanité à venir, aux prises avec des problématiques écologiques, technologiques, géopolitiques et culturelles de plus en plus menaçantes.
Toujours au Carré d’Art, Alassan Diawara (Belgique, 1986) expose une série de photographies réalisées au cours d’une longue résidence à Nîmes et ses environs, qui lui a permis de rencontrer nombre d’individus et de groupes de personnes formant le tissu social local. Ses images donnent à voir des tranches de vie et parviennent à transmettre les réalités, les imaginaires et les aspirations de la jeunesse gardoise et camarguaise. Elles sont présentées en dialogue avec un ensemble d’œuvres de Zineb Sedira (Algérie, 1963), dans lesquelles l’artiste explore le sujet de la transmission familiale et culturelle.
La triennale sera accompagnée par de nombreux événements mettant en valeur les arts vivants et performatifs, et notamment par trois week-ends de programmation avec, entre autres réjouissances, une boum géante dans les arènes avec Aïda Bruyère (Sénégal, 1995) et Barbara Butch (France, 1981), une kermesse artistique organisée par Mohamed Bourouissa (Algérie, 1978) ou encore un jeu à grande échelle avec Dimitri Chamblas (France, 1974) et une trentaine de performeur∙euse∙s et danseur∙euse∙s amateur∙e∙s au sein d’une école élémentaire.
Ainsi, en invitant des artistes de toutes générations, de tous horizons et de tous les champs de la création, et en présentant des œuvres inédites produites dans le cadre de la triennale, souvent dans un temps suffisamment long pour permettre une réelle rencontre avec les habitant∙e∙s de la ville, la Contemporaine de Nîmes offre un modèle intéressant de manifestation pensée pour et avec le territoire.