« Mon premier souvenir est lié à l’écriture d’un livre. J’avais sept ans, j’habitais à Damas. Ma mère voulait que je réussisse mon certificat d’études et me conseillait de ne plus lire de littérature et de me concentrer sur les livres d’école, afin de mieux étudier. Je me suis alors dit que si je ne pouvais pas lire, j’allais écrire mon propre livre. C’est comme ça que j’ai commencé un premier roman. Je m’étais inspirée d’un film tiré du livre Les Quatres Filles du docteur March de Louisa May Alcott, où l’une des petites filles écrit et devient romancière. Un autre souvenir important de ma jeunesse est associé à une autre lecture. Je devais avoir 14 ans, et j’avais lu un roman de Pearl Buck, This Proud Heart, où le personnage féminin était sculptrice. Je suis sûre que cela a eu, inconsciemment, une influence sur mon parcours. »

« Quand j’étais enfant, je brodais quasiment tous les jours pendant la sieste obligatoire. La broderie est une discipline merveilleuse pour qui veut faire de l’art. En elle-même, je la considère comme un art majeur. Nous avions une gouvernante qui faisait du découpage et nous en faisait faire. Cela a aussi eu une énorme influence sur moi. Je pense que tous mes collages viennent de là. »

« J’ai commencé à peindre à l'âge de 25 ans. D’une façon didactique, toute seule et non pas dans une école d’art. Je devais donc me persuader qu’il n’était pas trop tard, et que je devais me faire confiance. J’ai appris ce langage très sérieusement et en m’y attelant tous les jours, et toute la journée. Cela s’accompagnait de grandes lectures, les écrits des peintres, mais aussi de visites dans les musées de Paris ou de Londres. »

« L’appartement de mes parents à Damas était un musée du tapis. Mon père était collectionneur et des tapis ornaient les murs, les fauteuils et les canapés, aussi bien que les sols. Aucun espace n’était laissé vide, et l’influence de cet art à la fois si parfait et si abstrait a donc a été déterminante. L’art abstrait, sobre, sans fioritures ni détails inutiles, rien que de la sobriété. Tout dire avec des moyens simples et clairs. »

« Tout ce qu’on rencontre dans la vie a une influence sur nous. Tout ce que l’on fait se retrouve d’une façon ou d’une autre dans notre travail. Moi je garde les yeux ouverts sur tous les détails de la vie, l’art et le reste. Je me promène et je prends des photos. Cela vous apprend à vivre le temps présent et à vivre pour de vrai chaque instant. Je peux dire que les 10 ans de piano que j’ai fait dans mon enfance m’ont énormément aidée, par exemple, dans mon travail d’éditrice. Je ne peux plus jouer de piano, mais je sais que tout ce savoir est en moi et m’est d’une grande utilité. Je ne peux l’expliquer mais je peux le certifier. Les choses s’entrelacent, s’entrechoquent mais d’une façon non-perceptible à l’œil nu. Tout ce que l’on fait et tout ce que l’on voit a de l’importance. »

« Vienne tient une grande place dans ma famille. Mon grand-père était drogman de l’Empire austro-hongrois auprès de l’Empire ottoman. Il avait reçu chez lui, à Damas, l’archiduc de Habsbourg, et aidait tou∙te∙s les ressortissant∙e∙s autrichien∙ne∙s, dont certain∙e∙s étaient célèbres. Iels étaient nombreux∙ses avant la guerre de 1914, car l’Empire ottoman était l’allié de l’Empire austro-hongrois. Mon père avait été éduqué à Vienne et avait succédé à son père dans ses prérogatives. Nous avions le drapeau autrichien sur notre balcon, sur la voiture. Et donc il y a une intimité, si je peux l’exprimer ainsi, avec ce pays. Vienne représente pour moi plus qu’une simple destination. C’est comme si toute ma famille y été associée. Les liens existaient également du côté de la famille de ma mère puisque son grand-père était autrichien. »

« Et puis le palais de la Sécession à Vienne a une telle histoire que je suis particulièrement fière d’y exposer. Ce n’est pas une rétrospective mais j’ai tenu à y présenter certaines de mes sculptures les plus iconiques. J’ai aussi pu exprimer mon amour pour Beethoven dans certains collages. Ils ont été faits pour relier mon travail aux salles qui, au palais de la Sécession, sont consacrées à ce grand génie de l’humanité. »

« Aujourd'hui, mon défi est certainement de continuer dans mon parcours. Les guerres incessantes, et le pessimisme ambiant n'incitent pas à la création artistique. J’ai la chance d'être sollicitée, et cela m’aide beaucoup. J’aime travailler à partir d’un lieu bien précis, de la nouvelle perspective et de la direction qu’il offre. Chaque lieu est une nouvelle chance, une nouvelle histoire. »

Crédits et légendes

Simone Fattal est representée par kaufmann repetto (Milan, New York), Balice Hertling (Paris), Hubert Winter (Vienna), Karma International (Zurich), et Greene Naftali (New York).

« Simone Fattal: metaphorS »
Secession, Vienne
21 juin - 8 septembre 2024

Patrick Steffen est Editor, France d’Art Basel. Il est basé à Paris.

Photographies de Marion Berrin pour Art Basel.