Pour sa première édition lors de la prochaine édition d’Art Basel Paris, le nouveau secteur Premise pourra se targuer de neuf présentations hautement singulières, qui défient les frontières et questionnent les normes. La sélection rassemble une intense variété d’artistes qui explorent les complexités de l’identité, du pouvoir et de la résistance. Qu’il s'agisse de réexaminer le rôle de la mode dans l’oppression ou de mettre à bas les conventions sociétales par le biais d’une bande dessinée underground, voici cinq expositions exceptionnelles qui illustrent la manière dont l’art peut créer une brèche dans la société, ouvrant la voie à l’émergence d’idées nouvelles.
Nazario (né en1944, Espagne)
Présenté par Bombon (Barcelone)
Détective transgenre en talons aiguilles, Anarcoma n’était pas une héroïne de bande dessinée ordinaire lorsqu’elle a fait ses débuts sur la scène de l’édition underground, dans les années 1970. L’artiste espagnol Nazario a créé cette figure anarchiste de la BD pendant la transition démocratique postfranquiste en Espagne, utilisant des images résolument osées pour briser le moule traditionnel du roman noir. La présence audacieuse d’Anarcoma a non seulement permis à la communauté LGBTI+ d’être visibilisée, mais elle a également touché un public plus large, peu familiarisé avec l’identité transgenre, suscitant des conversations essentielles sur le genre, la sexualité et la liberté. Sur le stand de Bombon, des dessins originaux offrent un aperçu rare et tangible de cette œuvre révolutionnaire, qui éclaire son rôle dans la refonte de l’art et du discours social en Espagne à un moment charnière de son histoire.
Wally Hedrick (1928–2003, États-Unis)
Présenté par Parker Gallery (Los Angeles)
Les Black Paintings (« peintures noires ») de Wally Hedrick ne se contentent pas d’être accrochées au mur – elles protestent. Enracinées dans sa désillusion croissante à l’égard des interventions militaires américaines, ces toiles austères sont devenues la rébellion silencieuse de Wally Hedrick. Vétéran lui-même, l’artiste a commencé à recouvrir ses œuvres plus anciennes d’épaisses couches de peinture à l’huile noire en 1957, effaçant ses créations pour symboliser son retrait des structures toxiques de la société. L’acte de négation est devenu une forme puissante de protestation – pleurer les cycles sans fin de la violence tout en résistant à la complicité. Au fil des décennies, Wally Hedrick a continué à « noircir » ses peintures, superposant parfois du noir sur du noir, dans l’expression d’un désespoir toujours plus grand face à la guerre. Ses œuvres exposées sur le stand de Parker Gallery témoignent du pouvoir durable de la protestation, exprimée non pas par des mots, mais par l’ombre et le silence.
Chico Tabibuia (1936–2007, Brésil) et Tomie Ohtake (1913–2015, Japon)
Présenté par Nara Roesler (São Paulo, New York, Rio de Janeiro)
À première vue, l’association des œuvres de Tomie Ohtake et de Chico Tabibuia paraît audacieuse, mais les deux artistes brésilien·ne·s trouvent une harmonie étonnante dans leur intérêt commun pour les formes organiques. Les peintures abstraites de Tomie Ohtake, imprégnées de philosophie zen et de traditions japonaises, transmettent un sentiment de contemplation sereine, tandis que les sculptures viscérales de Chico Tabibuia puisent dans l’énergie spirituelle de son héritage afro-brésilien. Les formes fluides de la première oscillent entre rêve et réalité, tandis que les figures primitives et fragmentées du second évoquent d’anciens symboles africains. Réunies sur le stand de Nara Roesler, ces œuvres créent un dialogue puissant entre les mondes spirituel et matériel, offrant une vision nuancée du modernisme, profondément influencée par les traditions et les perspectives non occidentales.
Nil Yalter (née en 1938, Turquie)
Présentée par The Pill (Instanbul)
Le lien entre la beauté et la brutalité peut être ténu. Dans The AmbassaDRESS (1978) de Nil Yalter, le pouvoir, les privilèges et la mode s’entremêlent pour explorer cette dynamique troublante. L’installation multimédia retrace l’histoire semi-fictive d’une femme d’ambassadeur qui aurait dansé avec des officiels nazis pendant la Seconde Guerre mondiale vêtue d’une robe Lanvin haute couture de 1928. Pour Nil Yalter, cette robe est un puissant symbole de privilège et d’ignorance volontaire face à l’atrocité. À l’aide de documents d’archives, de vidéos, de photographies et de dessins, l’artiste examine la manière dont l’élite s’est distanciée de la violence qui l’entourait. En mêlant faits historiques et fiction, elle révèle comment le pouvoir opère – subtilement ou ouvertement – à travers des symboles culturels tels que la mode, tout en s’interrogeant sur le rôle de l’art et du design dans le maintien de systèmes oppressifs et la définition de la vérité.
Gerhard Richter (né en 1932, Allemagne) et Sigmar Polke (1941–2010, Pologne)
Présenté par Sies + Höke (Düsseldorf)
En 1962, deux étudiants de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf se lient d’amitié. Ces jeunes hommes – Sigmar Polke et Gerhard Richter – deviendront deux des peintres les plus emblématiques du pays. Présentées ensemble sur le stand de Sies + Höke, leurs expérimentations photographiques révèlent un aspect moins connu de leur pratique. Les deux artistes considèrent la photographie comme un terrain d’expérimentation où ils peuvent jouer avec le hasard et l’illusion. Gerhard Richter, connu pour ses peintures floues, a utilisé la double exposition et la superposition pour créer des portraits fantomatiques – ici, du duo d’artistes Gilbert & George – qui semblent osciller entre présence et absence. Quant à Sigmar Polke, alchimiste quel que soit le support, il a manipulé la surexposition et les produits chimiques pour créer des images kaléidoscopiques et surréalistes.