Selon ses propres mots, l’écrivain, artiste et collectionneur new-yorkais Kenny Schachter s’habille avec une « uniformité religieuse ». Depuis des années, on le voit invariablement vêtu d’un t-shirt à manches longues, d’une chemise à manches courtes et, parfois, d’un pull ; de baskets ASICS ou New Balance avec des lacets rouge et or faits sur mesure ; et, surtout, d’un pantalon de survêtement Adidas vintage. Depuis les années 1990, sa collection s’est enrichie d’environ 75 modèles. « J’opte généralement pour des associations ou des juxtapositions inhabituelles de rayures, de pantalons et de logos classiques », a-t-il récemment déclaré à Art Basel Stories. « Un peu comme une théorie personnelle des couleurs. »
Kenny Schachter est parvenu à créer ce que nous appellerons un « uniforme », un ensemble optimisé de vêtements si routinier et si fiable que l’on n’a même plus à penser à s’habiller. Dans le contexte d’une foire d’art, moment aussi stimulant qu’épuisant où l’on est à la fois très visible et très occupé·e, l’uniforme est une excellente stratégie pour économiser du temps et de l’énergie mentale.
« Il s’agit en fait de la confiance que donne une tenue dans laquelle on se sent bien », explique Brandy Carstens, art advisor basée à Londres, qui vante les mérites d’un « bon uniforme ». « Trouvez-en un dans lequel vous êtes bien et ne vous cassez plus jamais la tête pour vous habiller. »
Quel est donc le secret du parfait uniforme pour une foire d’art ? Tout dépend de vos aspirations personnelles. Pour Kenny Schachter, le mot clé est « confort ». Brandy Carstens le rejoint sur ce point, tout en y ajoutant le terme « polish » – un aspect soigné, impeccable. Sa méthode consiste à composer cinq tenues que l’on peut porter tout au long de la saison avec différentes combinaisons. « J’essaie de rester monochrome afin que tout puisse être associé. » Les marques varient : elle a récemment acheté trois chemises à manches longues, trois hauts sans manches et trois pantalons chez Uniqlo. La jeune femme est également fan de vintage et de Rachel Comey. Plus que la marque, c’est la coupe qui est importante, précise-t-elle : « La vraie clé de l’élégance, elle est là. »
La vérité sur les foires d’art, c’est que ceux·celles qui y participent n’ont d’autre choix que de réfléchir à leur apparence. « C’est une activité tellement personnalisée, et quand on est galeriste, votre nom est partout », déclare Mariane Ibrahim, qui accorde une attention particulière à sa présentation, qu’elle considère comme une extension de la galerie. Lorsqu’on a une telle proximité avec tant de client·e·s potentiel·le·s, « tout doit être parfaitement aligné – vos ongles, votre coiffure et votre maquillage doivent être impeccables. » Ces facteurs sexospécifiques exigent davantage des femmes, mais Mariane Ibrahim chérit la liberté qu’offre la mode féminine : « Les hommes sont limités, alors que nos possibilités sont infinies. » Citant les mots clés « élégant, accessible et confortable », ainsi que « propre, impeccable et confiant », elle préconise des pièces de vêtements coordonnées, et notamment une veste associée à une jupe pour féminiser le costume standard, des petits talons ou des chaussures plates, et un pantalon large.
En tant que marchand·e, « vous ne pouvez pas rivaliser avec votre art en matière de centre d’attention », souligne-t-elle, mais des détails subtils comme un nœud papillon (« pour le look institutrice ») ou une matière fine comme le cachemire ou le velours rendent une tenue plus marquante. Afficher des marques est à proscrire. « Les gens ne devineront jamais ce que je porte, à moins qu’ils ne connaissent le design », dit-elle. « C’est là tout l’intérêt : si vous savez, vous savez. » Au-delà des vêtements, Mariane Ibrahim a également un conseil précieux : il est important de prendre soin de ses mains, et les manucures s’adressent aussi bien aux hommes qu’aux femmes. « Vous montrez des documents avec vos mains, vous ne pouvez pas cacher vos doigts. »
Osman Can Yerebakan, journaliste basé à New York, considère les vêtements comme un moyen d’affirmer son image de marque. « En tant que pigiste, je me représente », explique-t-il. « Dans l’environnement visuellement encombré d’une foire d’art, avoir un look identifiable est un moyen que l’on se souvienne de vous. » Et d’évoquer avec émotion la fois où, à Dhaka, il a entendu une amie l’appeler de loin. Elle lui a fait remarquer : « Évidemment ! ça ne pouvait être que toi avec ce short ! »
Osman Can Yerebakan décompose son uniforme de foire artistique en deux éléments : « un truc sexy et un sujet de conversation. » Parmi les variations qu’il propose sur ces thèmes, on trouve des vêtements avec des découpes, des fentes, des trous et d’autres ouvertures improbables, des shorts parfois trop courts et son portefeuille circulaire Jacquemus, extrêmement petit et peu pratique, qu’il porte autour du cou et qui ne contient guère plus qu’une carte de métro et une pièce d’identité. Il est fan de ses nouvelles baskets Martine Rose : elles sont peut-être les moins confortables de sa collection, mais il adore les compliments qu’elles attirent. « Mettre quelque chose qui m’excite est une bonne façon de commencer la foire », dit-il.
L’une des recommandations pratiques d’Osman Can Yerebakan ? Les pièces coordonnables Pleats Please d’Issey Miyake : elles sont très fonctionnelles, légères, infroissables et polyvalentes pour le jour et la nuit. Dans la même veine, Fred Yeries, directeur adjoint du Hammer Museum, à Los Angeles, a déclaré que les bottines en cuir Tod’s peuvent facilement être portées de façon plus ou moins chic : « Elles conviennent parfaitement pour un cocktail avec un jean habillé d’un blazer et elles s’accordent également avec des vêtements de soirée. »
Alors que les galeristes et les conseiller·ère·s sont généralement contraint·e·s d’être en tenue d’affaires, les collectionneur·euse·s jouissent d’une bien plus grande marge de manœuvre créative. Oscar Villanelle, marchand d’art indépendant basé à Paris (dont les mots clés sont « classe », « confort » et « confiance »), affirme qu’il·elle·s ne doivent pas être jugé·e·s sur leur aspect vestimentaire. « Quelqu’un qui porte des vêtements décontractés peut être un·e très bon·ne collectionneur·euse, tandis que quelqu’un de très bien habillé n’est pas forcément celle·celui qu’on pense. Supposer que quelqu’un n’est pas intéressant·e parce qu’il·elle n’est pas bien habillé·e est une erreur. »
La critique Linda Nochlin, aujourd’hui décédée, a décrit la création artistique comme « un langage formel cohérent », que l’on trouve souvent grâce à « une longue période d’expérimentation individuelle » – une description qui correspond parfaitement au développement d’un style personnel. Le vêtement est un mode d’expression comme un autre, selon Kenny Schachter. « Il est important d’avoir sa propre voix, qu’il s’agisse de ce que l’on dit, de ce que l’on fait, de ce que l’on fabrique ou de l’apparence que l’on adopte », déclare-t-il. « Je ne suis pas naïf quant à l’image que je donne, et il m’arrive souvent d’être décalé, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais finalement, ce n’est pas si calculé. J’aime simplement ce que je vois et ce que je ressens. »