Des pans de verre composent des paravents armaturés de métal, comme de grandes fenêtres posées au sol : à leur surface, des silhouettes évanescentes, des feuillages tout juste incrustés ou des lettrages énigmatiques s’assemblent pour murmurer des récits tus trop longtemps.
Ces paravents, qui révèlent tout autant qu’ils oblitèrent, sont l’une des formes caractéristiques de la pratique d’Euridice Zaituna Kala, née en 1987 à Maputo. En 2020, ils faisaient une apparition remarquée dans l’exposition « Je suis l’archive » organisée à la Villa Vassilieff à Paris. Pour ce projet, l’artiste, photographe de formation et lauréate de la bourse de recherche Marc Vaux, avait travaillé autour du fonds du même nom, qui documentait la scène artistique du Montparnasse des années 1920-1930. Elle y avait traqué des figures chères : celle de Joséphine Baker, de James Baldwin ou de son père, l’archiviste Getulio Mario Kala. Face aux lacunes documentaires, elle avait fini par convoquer l’interprétation et l’invention, qu’elle nomme une « archéologie affective ». Artistes, poètes, icônes et modèles noir·e·s vinrent alors se déposer sur le verre, qui leur offrait une surface transitoire d’apparition.
Euridice Zaituna Kala donne une voix à celles·ceux qui n’en ont pas ou plus. Dans son exposition personnelle « Daylighting : mais c’est l’eau qui parle », qui se tient ce printemps à La Criée à Rennes, elle fait bruire les présences enfouies de la ville : son fleuve endigué, ses graines anciennes, ses récits murmurés et ses luttes vacillantes. Elle s’inspire, dans sa démarche, de l’expression anglaise daylighting rivers, qui désigne l’excavation de cours d’eau recouverts par des infrastructures urbaines. Au sein d’un paysage-installation, l’artiste connecte ces existences distillées entre les différents lieux de son histoire personnelle : Rennes est reliée à New York, Maisons-Alfort, Maputo ou La Réunion. Dans l’espace résonnent les voix mêlées de l’artiste, de sa mère et de sa grand-mère.
Euridice Zaituna Kala semble ainsi effectuer des fouilles dans les zones de flou du passé pour en exhumer les non-dits et révéler au grand jour ces pans d’histoire effacés. Comme dans la théorie du « regard du jaguar » d’Eduardo Viveiros de Castro, l’artiste rappelle l’importance de tenir compte de l’ensemble des perspectives.
Euridice Zaituna Kala est représentée par la Galerie Anne Barrault (Paris).
« Daylighting : mais c’est l’eau qui parle »
La Criée - centre d’art contemporain, Rennes
Jusqu’au 27 avril
Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et une doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Légende de l’image d’en-tête : Vue d’installation de l’exposition d’Euridice Zaituna Kala « Daylighting : mais c’est l’eau qui parle », La Criée centre d’art contemporain, Rennes, 2025. Photographie d’Aurélien Mole.
Publié le 25 février 2025.