Pour cette 55e édition titrée « Sous la surface », les Rencontres internationales de la photographie d’Arles plongent le∙la spectateur∙rice dans un monde où s’entremêlent récits, traces et esprits. C’est la photographe espagnole Cristina de Middel qui en a réalisé l’affiche. On y voit, immergée dans un plan d’eau en montagne, une femme de dos, à la chevelure tressée comme surmontée des deux branches d’un arbre mort. Comme toujours avec cette artiste, la fiction se mêle à la réalité. L’image est tirée de sa série « Un voyage au centre » (2021), exposée à l’église des Frères-Prêcheurs, qui s’inspire du célèbre livre de Jules Verne Voyage au centre de la terre et dépeint la traversée migratoire du Mexique vers la Californie comme une expédition héroïque.
Comme chaque été depuis 1970, il y aura à Arles, du 1er juillet au 29 septembre, de la photographie aux quatre coins de la ville, d’une rétrospective de l’immense photographe américaine Mary Ellen Mark aux images de plongeuses japonaises d’Uraguchi Kusukazu. Au programme, des expositions bien sûr, mais aussi des rencontres professionnelles et plusieurs soirées de projection au théâtre antique et dans la cour du palais de l’Archevêché. On note aussi le retour très attendu du festival OFF, dirigé cette année par un duo : l’association La Kabine et le magazine Fisheye.
Pour guider les lecteur∙rice∙s dans ce méandre d’images, Art Basel a sélectionné cinq photographes émergent∙e∙s à ne pas manquer. Entre les visites, n’oubliez pas de faire une incursion à la pâtisserie-chocolaterie Masaki Yamamoto pour déguster un macaron framboise coquelicot – et de réserver votre table chez Inari pour goûter la savoureuse cuisine du marché de Céline Pham.
Tshepiso Mazibuko
« Ho tshepa ntshepedi ya bontshepe »
Espace Monoprix
Cette année, le Prix Découverte Fondation Louis Roederer quitte le centre-ville et ses monuments historiques pour s’installer dans l’Espace Monoprix, à l’étage du supermarché dont la façade incurvée, typique de l’architecture commerciale des années 1960, se répère dès la sortie de la gare. L’un∙e des neuf finalistes de cette édition est Tshepiso Mazibuko, une photographe sud-africaine née en 1995 dans le township de Thokoza, près de Johannesburg. Formée par le programme Of Soul and Joy et l’école de photographie Market Photo Workshop, elle présente ici « Ho tshepa ntshepedi ya bontshepe » (2017-2018), un proverbe sesotho qui signifie « croire en quelque chose qui ne viendra jamais » – tout un message. À travers une galerie de portraits frontaux et serrés Thsepiso Mazibuko raconte les born free, la première génération noire née après la fin de l’apartheid. Photographié∙e∙s dans leur quotidien, sans jamais en évacuer la violence latente, ces garçons et filles apparaissent tantôt fier∙ère∙s, tantôt frustré∙e∙s. La photographe livre un témoignage sans concession sur une jeunesse désabusée, dans un pays qui reste encore fondamentalement inégalitaire.
Randa Mirza
« Beirutopia »
Maison des peintres
Née en 1978 à Beyrouth, au Liban, et basée aujourd’hui à Marseille, Randa Mirza était lauréate du prix Photo Folio Review 2023. Dans son exposition monographique « Beirutopia », elle livre un essai visuel mêlant éléments biographiques prémonitoires, et regard critique sur la transformation du pays et de la ville, dont la violence est inhérente à son histoire. On y découvre sept travaux réalisés entre les années 2000 et 2022 – parmi lesquels la série éponyme, Beirutopia (2010-2019), son projet phare : réalité et utopie s’y confondent, créant une vision cynique d’une ville pensée et régie par des projets immobiliers de luxe. Pour dénoncer le mythe de la ville glamour à la jonction de l’Orient et de l’Occident, Randa Mirza utilise les codes publicitaires, projetant les images de futurs immeubles dans leur espace réel actuel. À travers ce renversement, la photographie devient un espace critique de la politique du pays.
Stephen Dock
« Échos »
Croisière
L’exposition « Échos » du photographe autodidacte français Stephen Dock est l’un des points forts de cette édition, tant elle résonne avec l’époque – et les questions – actuelles. Comment raconter en images les conflits d’aujourd’hui en refusant d’en nourrir la mythologie visuelle traditionnelle ?
Depuis 2011, Stephen Dock photographie les guerres, et la crise humanitaire et migratoire qui en résulte, du Moyen-Orient à la Macédoine. L’exposition, dense, propose un essai d’un registre nouveau : une image générique de la guerre moderne. Ici, on plonge avec l’auteur dans ses archives accumulées depuis 15 ans, composées de milliers d’images. Mais la temporalité a changé : le temps semble arrêté. Et le sujet s’est transformé : Stephen Dock ne tente pas de raconter les guerres photographiées mais d’en faire une matière ; le traitement documentaire, le sensationnel ou le spectaculaire sont mis de côté. L’enjeu n’est plus là. Le photographe manipule les images, numériques ou argentiques, jouant avec les pixels autant qu’avec le papier. Leur réfutant le statut de preuves, il les étire, les recadre, proposant ainsi une autre vision d’un sujet iconique de la photographie.
Diego Moreno
Exposition collective « L’Engagement »
Fondation Manuel Rivera-Ortiz
La Fondation Manuel Rivera-Ortiz (MRO) présente, dans le cadre de son exposition collective « L’Engagement », un artiste inclassable : Diego Moreno. Né en 1992 au Mexique, ses œuvres sont comme des contes incisifs où il explore, à travers la photographie, le collage et la peinture, la religion catholique, l’inconscient, la famille. Dans la série intitulée « Malign Influences » (2020-), l’artiste manipule les images tirées de ses albums photo pour livrer aux visiteur∙euse∙s une réalité alternative composée d’êtres monstrueux. Il affuble de masques diaboliques des portraits anciens, dont les sujets deviennent alors des personnages maléfiques. Son travail dérange, percute et perturbe l’iconographie traditionnelle familiale pour en détruire les codes. Au mur, les êtres représentés proclament leur différence, refusant d’être condamnés au silence imposé par l’Église et les normes sociales.
Adrien Bitibaly
Mirage, 12, rue de Vernon
À ne pas manquer pour les passionné∙e∙s du livre photo, une foire au doux nom de Mirage, présentée par la Librairie du Palais. Son but : offrir une plateforme aux photographes qui choisissent l’édition et le livre pour véhicules. Au sein de deux lieux, la librairie et le 12, rue de Vernon, une programmation de signatures, de discussions et de projections, mais aussi deux expositions : Maria Stamenković Herranz et Adrien Bitibaly. Ce dernier présente sa série en noir et blanc « Quatre yeux », qui a donné lieu à un livre édité par Palais Books (2023). On y découvre la pratique de la sorcellerie dans son pays d’origine, le Burkina Faso. Pour revenir sur la genèse de cette croyance populaire, Adrien Bitibaly a arpenté le territoire à la rencontre des prêtres traditionnels et des femmes désignées arbitrairement comme des « sorcières ».