« J’ai commencé à collectionner il y a 20 ans. Je viens du milieu de la mode et j’ai toujours apprécié l’art contemporain, mais mes connaissances étaient restreintes. Les premières œuvres que j’ai acquises étaient photographiques, mais assez rapidement, je me suis dirigée vers la sculpture avec des artistes de l’esthétique relationnelle comme Pierre Huyghe, Ann Veronica Janssens, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster, Liam Gillick, ou Rirkrit Tiravanija. »

« Lorsque je suis arrivée à Paris il y a cinq ans, j’ai eu un tout nouvel espace auquel adapter la collection. À présent, je conçois ma collection comme divisée en deux parties distinctes : plus conceptuelle à Toronto, et d’un imaginaire éthéré à Paris. Bien que j’aime changer l’accrochage fréquemment, certains piliers ne changeront pas : une cellule de Louise Bourgeois, un aquarium de Pierre Huyghe, et une sculpture en verre de Nairy Baghramian issue de la série de ses « Dwindlers », qu’elle a montrée à la Biennale d’art de Venise en 2019. Je viens tout juste d’accrocher une nouvelle œuvre de Solange Pessoa, une sculpture de bronze garnie de plumes, que je perçois également comme un point d’ancrage. »

« Je change l’accrochage des pièces lorsque j’en reçois une nouvelle ou que l’une d’entre elles part pour une exposition. Par exemple, une peinture de Luc Tuymans provenant de ma collection fera partie d’une grande exposition de son travail [« Luc Tuymans : The Past », 16 novembre 2024 - 16 février 2025, UCCA - Center for Contemporary Art, Shanghai]. Une œuvre que j’ai acquise de Christina Quarles va quant à elle voyager jusqu’à Copenhague pour sa prochaine exposition. »

« J’ai fait l’acquisition d’une sculpture de Sarah Lucas qui a fini par figurer sur la couverture du catalogue raisonné de ses sculptures dites « Bunny ». À présent, elle fait le lien au sein de mon accrochage avec un ensemble d’œuvres qui proposent une autre représentation de la figure féminine. Le « Bunny » est placé près de photographies de Hannah Wilke, et de pièces de Carol Rama, Marisa Merz et Alina Szapocznikow. Je vis également avec des œuvres de Zoe Leonard, l’une de ses photographies des « Wax Anatomical Model » ainsi qu’une petite sculpture de Mária Bartuszová qui faisait partie de sa rétrospective à la Tate Modern à Londres en 2022-2023. »

« Lors de la dernière Biennale de Venise, en 2022, je suis tombée amoureuse de Leonor Fini. Je venais de rentrer de Venise et je me promenais dans mon quartier du 7e arrondissement lorsque j’ai vu son nom sur la porte d’une galerie, ce qui m’a poussée à entrer. La propriétaire, Arlette Souhami, a commencé à me raconter l’histoire de 20 années de relation et elle a fini par me réserver une toile magnifique. Elle représente une femme qui émerge des ruines pour entrer dans la lumière, et fera bientôt partie de sa grande rétrospective au Palazzo Reale de Milan, en 2025. » 

« Les voyages ont influencé ma manière de collectionner. J’ai apprécié le temps que j’ai passé à São Paulo et cela m’a conduit à me plonger dans les travaux de Solange Pessoa et d’Anna Maria Maiolino. En fait, la présence de l’Amérique latine au sein de ma collection s’agrandit, avec l’acquisition récente d’œuvres de Cecilia Vicuña et Rosana Paulino. Mis à part mes voyages, ce sont mes amitiés avec des commissaires d'exposition et des galeristes qui m’inspirent. »

« Il y a deux ans, j’ai créé la Vega Foundation. La fondation est un pendant à ma collection car elle est plus expérimentale et dédiée à des pratiques de l’image en mouvement. Malgré mon amour du médium, je trouve qu’il s’agit souvent de pratiques complexes à collectionner et à présenter dans un espace privé. Vega a pour ambition de travailler au plus près des artistes qui se situent à un moment charnière de leur pratique. La fondation soutient la production de nouvelles œuvres ambitieuses. Il est important pour nous d’amener tous nos projets au Canada et que les artistes avec lesquel·les nous travaillons puissent y être visibles. Il s’agit d’un territoire avec une telle richesse en ce qui concerne le cinéma expérimental et l’image en mouvement que cela permet de s’assurer que le soutien à ces pratiques perdure. »

« Parmi les films soutenus par Vega se trouve le premier long-métrage d’Ali Cherri, The Dam (2022), ainsi que son récent film, The Watchman (2023). Avoir pu apporter mon soutien à un artiste aussi extraordinaire m’a rendue très fière. Durant l’année précédente, nous avons travaillé avec beaucoup d’artistes incroyables parmi lesquel·les Alia Farid, Aria Dean, Charles Stankievech et Tuan Andrew Nguyen. Actuellement, nous travaillons entre autres avec Lap-See Lam, Jordan Strafer, Danielle Dean, Sharon Lockhart ou Stephanie Comilang. Je me suis adjoint le concours de la meilleure directrice possible, Julia Paoli, et nous avons construit une vision puissante pour Vega. Notre site web est en ligne et fonctionnel et permet de voir tous nos chantiers passés et à venir. J’ai le sentiment que la fondation gagne en visibilité, et cela m’excite beaucoup. »

Crédits et Légendes

Ingrid Luquet-Gad est critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Publié le 30 mai 2024. 

Photographies de Laura Stevens pour Art Basel.