On ne présente plus Edward Enninful. Figure emblématique du monde de la mode, le styliste et rédacteur britannique exerçait une influence considérable avant même de prendre la tête de British Vogue, en 2017. Aujourd’hui Global Creative and Cultural Advisor pour le magazine iconique, il se lance dans le commissariat d'exposition.
Pour sa première exposition, qui s’ouvre à la galerie Thaddaeus Ropac dans le Marais le 2 mars, Edward Enninful a été invité à explorer les archives de la Fondation Robert Mapplethorpe. Il les a abordées comme le ferait un rédacteur de mode et a choisi de composer des diptyques comme pour des doubles pages. Les tandems qui en résultent – tantôt d’une délicate harmonie, tantôt d’une audace troublante – pétillent du glamour radical qui caractérise à la fois la production créative de Robert Mapplethorpe et celle d’Edward Enninful. Ils résument aussi parfaitement leur esthétisme sensuel, leur humour mordant et leur profonde conviction que la beauté peut prendre de multiples formes.
« J’ai découvert Mapplethorpe dès que j’ai commencé à travailler dans la mode, à l’âge de 16 ans. J’ai l’impression que son travail m’accompagne tout au long de ce chemin que je suis depuis plus de 30 ans. Je me souviens avoir été saisi par la beauté de ses images. C’est le Black Book (1986) qu'il m'a été donné de voir en premier ; j’étais fasciné par la façon dont Robert Mapplethorpe manipulait l’éclairage et les ombres. Lorsque je regardais son travail, je me reconnaissais dans certains des sujets qu’il choisissait de photographier, ce qui était nouveau pour moi. Je ne pouvais tout simplement pas refuser l'invitation de devenir commissaire de cet ensemble d’œuvres extraordinaires. Je me sentais très confiant dans ma connaissance de son œuvre. J’ai senti que je pouvais m’identifier à lui en tant qu’homosexuel et en tant qu’homme dans ce monde. »
« Le travail de Robert Mapplethorpe est très réfléchi. Tout est très méticuleux. C’est ce que j’aime vraiment dans son œuvre : rien n’est laissé au hasard, chaque détail d’une fleur ou d’un arrangement floral est pensé. Je m’identifie beaucoup à cela. On voit les mois et les semaines – et le processus de réflexion – qui ont été nécessaires à chaque photographie. »
« Lorsque j’ai commencé à sélectionner les images, j’ai choisi des photos qui résonnaient en moi, des images si puissantes qu’elles devaient absolument figurer dans l’exposition. Ce n’est que lorsque je me suis rendu à la galerie Ropac à Paris et que je les ai vues toutes ensemble que j’ai réalisé qu'elles racontaient une histoire par paires – que lorsqu’on les associait par deux, on accédait à un autre niveau de narration. Ce n’est pas comme ça que cela a commencé, mais dès que j’ai eu une vision de l’ensemble et de la puissance de ces images, j’ai su que c’était ça. J’ai travaillé toute ma vie dans des magazines et je vois toujours les choses par paires. Cette idée était donc très instinctive et propose, je l’espère, une nouvelle façon de voir son travail. »
« Il y a énormément d’humanité dans les portraits de Robert Mapplethorpe, ce qui m’attire beaucoup. Et quelle que soit le modèle qu’il photographie, j’ai l’impression que quelque chose de palpable transparaît dans l’image. Ce n’est pas juste une surface. Dans les photos que nous avons sélectionnées, nous avons adoré celles où Lisa Lyon est à moitié nue, mais où elle porte un chapeau magnifique, avec une petite rose d’ornement. Il y a beaucoup de petits moments très tendres : quand elle porte la robe de mariée, un peu mal à l’aise, et puis le voile qui joue magnifiquement sur son corps nu. Ce sont aussi ces moments-là que j’aime dans son travail. Ce sont des instants calmes, mais ils s’accordent très bien avec les instantanés flamboyants qui font également partie de son travail. »
« J’ai travaillé dans des magazines toute ma vie, il était donc très important pour moi d’explorer le côté mode de l’exposition. C’est ce que j’ai appris à aimer. Et dans son travail, j’aime ses images de mode parce qu’elles ne sont pas conventionnelles. Même dans ce domaine, il traite ses sujets à la manière d’un portrait. Les meilleur∙e∙s photographes avec lesquel∙le∙s j’ai travaillé ressemblent beaucoup à Mapplethorpe. Il∙elle∙s construisent l’image, Il∙elle∙s font de leurs sujets des personnages. Donc pour moi, il fallait que l’exposition comprenne ces éléments-là. »
« Comme on peut l’imaginer, les archives de Robert Mapplethorpe sont énormes – j’ai littéralement regardé des milliers d’images. J’ai passé des jours et des jours à les sélectionner pour obtenir le nombre idéal de photographies présentées dans l’exposition. Ce que je voulais vraiment montrer, c’est que Mapplethorpe n’avait pas qu’une facette. Je m’intéresse toujours à l’idée de beauté, à ce que les gens considèrent comme beau et à ce qu’ils ne considèrent pas comme tel. Nous avons tout étalé sur le sol, et nous avons commencé à associer certaines des images les plus troubles à des images de mode, des images de mode à des images de fleurs presque sauvages, et c’était comme un puzzle. Tout s’est mis en place assez rapidement et, comme chez tout véritable artiste, il y a un fil conducteur dans son travail – un fil dont je ne soupçonnais même pas l’existence jusqu’à ce que je commence à tout regarder et que je me rende compte de la façon dont telle image fonctionne avec telle autre en termes de couleur, de forme ou d’histoire. »
« Ce projet m’a rappelé à quel point l’œuvre de Robert Mapplethorpe est variée et étendue. Je pense que l’on croit souvent, et à tort, qu’il n’y a qu’un seul aspect dans son travail, mais sa gamme est tellement vaste… Je voulais vraiment montrer qu’il y avait plus que cela, et j’espère que c’est ce que j’ai réussi à faire avec ce commissariat. »