Les œuvres de Doris Guo possèdent une élégance énigmatique. L’artiste, aujourd’hui basée à Oslo, naît en 1992 à San Francisco de parents chinois, eux-mêmes artistes avant de fuir leur pays durant la Révolution culturelle. Ces premiers éléments biographiques posent l’appartenance à une génération qui perçoit le monde selon des perspectives multiples, entre la richesse du métissage culturel et l’anxiété de l’absence de repères. Devenir artiste est l’une des réponses possibles à cette désorientation : transformer les interrogations en installations conceptuelles, poétiques et quasi-psychanalytiques.
L’exposition « XO » à la galerie Derosia, à New York (2019), était emblématique des enquêtes que mène Doris Guo autour des histoires symboliques d’objets du quotidien. L’artiste avait sélectionné des sièges typiques de restaurants chinois qu’elle avait sectionnés en deux avant de les accrocher au mur dans des caissons en bois. L’installation semblait être une relecture du One and Three Chairs (1965) de Joseph Kosuth, ajoutant une réponse extra-occidentale à l’œuvre emblématique du conceptualisme américain.
Il y a deux ans, Doris Guo initie son projet le plus personnel. « Shanghai San Francisco Richmond Seattle New York Oslo (TRACE) » est une série de diptyques montrés à la galerie Victoria à Seattle (2022-2023), puis, sous le titre « Back », à Empty Gallery à Hong Kong (2024) lors de la première exposition de l’artiste en Asie. Les œuvres placent en vis-à-vis des peintures de sa mère et des photographies réalisées au sténopé, un dispositif optique qui crée des images en négatif Tout se joue dans les interstices d’une histoire écartelée entre les continents et les époques, rapprochée sur un mur à défaut de pouvoir être rapiécée.
Doris Guo brouille les pistes entre l’objet, sa représentation et ses reproductions. Les enfants issu·e·s de la migration le savent : aucun récit n’est exclusivement vrai.
Doris Guo aura une présentation solo dans le secteur Emergence avec la galerie VI, VII, à Art Basel Paris 2024, du 18 au 20 octobre.
Ingrid Luquet-Gad est critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Légende de l’image d’en-tête : Doris Guo et Weili Wang, A Corner of Shanghai (détail), 2022. Vue d’installation de l’exposition de Doris Guo « Shanghai San Francisco Richmond Seattle New York Oslo (TRACE) », Veronica Project Space, Seattle, 2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Veronica Project Space.
Publié le 28 août 2024.