Les compositions de Djabril Boukhenaïssi ont la couleur des souvenirs. Les espaces de toile vierge, entre des violets, des bruns et des bleus, sont comme des traces d’oubli ou de lointaines réminiscences. À l’âge de 14 ans, Djabril Boukhenaïssi rêvait déjà de l’École des Beaux-Arts, qu’il avait visitée avec sa famille de passage à Paris. Il en sort diplômé il y a six ans, après avoir étudié auprès de Djamel Tatah, dont les images de solitude ont probablement marqué l’atmosphère de ses œuvres. Dans ces années-là, c’est aussi au Musée du Louvre qu’il se forme en copiant les maîtres. Aujourd’hui, il peint en intégrant pleinement la gravure à ses recherches en peinture.
Djabril Boukhenaïssi est un artiste lecteur. Lorsqu’il commence à parler de ses toiles, composées en général de quelques traits de peinture légèrement appliqués comme en un geste, il ne tarde pas à citer Joris-Karl Huysmans ou Virginia Woolf qui le nourrissent autant que ses pairs artistes. Le récit fait même souvent partie de ses expositions ; non pas un récit fixe ni fermé, mais un champ narratif ouvert par les images. À l’occasion d’un projet récent, il s’inspire d’une scène du roman de Virginia Woolf Les Vagues (1931), à laquelle il emprunte un phalène faisant irruption la nuit dans une maison à la campagne. Cette année, au cours d’une résidence à Arles à l’occasion du Prix Art & Environnement créé par Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain dont il est le premier lauréat, il s’intéresse de nouveau aux ténèbres et à leur effacement par les lumières de la ville – qui donne lieu à la disparition de nombreux insectes. Les Poèmes à la nuit (1916) de Rainer Maria Rilke, tout comme les mots de Nicolas Gogol et Mikhaïl Boulgakov, apparaissent dans ses phalènes devenus paysages. Les lumières qu’il évoque sont aussi celles du 18e siècle.