Valentin Noujaïm brouille les frontières entre cinéma et art vidéo. Né en 1991 en France dans une famille égypto-libanaise, il enchevêtre vies réelles et imaginaires pour créer des récits subtils peuplés de créatures énigmatiques. Ses œuvres servent de miroir aux complexités du pouvoir et de la domination – notamment raciale – à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines. Il s’agit ici d’un cinéma de la mémoire, collective et individuelle, qui mêle l’histoire du colonialisme avec celle, plus intime, de la famille et du quotidien. Ses œuvres filmiques reflètent un récit politique, celui de la révolte sourde des corps dominés et des voix marginalisées. Dans Saturnalia (2023) par exemple, un banquet romain décadent sert de décor à la rébellion de trois servantes racisées contre les humiliations qu’elles subissent. De manière similaire, To Exist Under Permanent Suspicion (2024) présente les rêves de destruction et de révolte d’une femme d’affaires noire promouvant un nouveau gratte-ciel de bureaux.
Son expérimentation avec les formats vidéo, du 16 mm au numérique, ainsi qu’avec les effets spéciaux et la performance, lui permet de s’affranchir du récit linéaire et de donner relief à des personnages évoluant dans un univers imaginaire parallèle – refuge idéal ou safe space pour les minorités, comme dans Daughters of Destiny (2021), où trois amies se retrouvent propulsées dans un cabaret queer habité par des personnages éblouissants et surnaturels, évoquant le défilé emblématique de Thierry Mugler au Cirque d’hiver en 1995. Ce monde fantastique se déploie souvent dans des décors urbains bien identifiés, ceux de la banlieue parisienne. Pacific Club (2023) se déroule dans le quartier d’affaires de La Défense, érigé dans les années 1960 au nord-ouest de Paris, et retrace la mémoire de la boîte de nuit du même nom, réputée pour avoir été le premier établissement à accueillir les habitants de banlieue d’origine nord-africaine.
Valentin Noujaïm explore aussi les histoires fracturées de sa famille confrontée à l’exil, comme dans The Blue Star (2019-2020), où il retrace, à l’aide d’archives personnelles, la vie d’un homme immigré en France en quête d’une échappatoire où sa langue pourrait être comprise. Dans Avant d’oublier Héliopolis (2019), le cinéaste se tourne vers sa grand-mère pour lui demander de lui raconter sa jeunesse au Caire, mêlant ainsi héritage postcolonial et mythologie familiale. Son œuvre, empreinte de résistance collective et d’émancipation radicale, nous rappelle que luttes et rêves, révolutions et imaginaires restent intimement liés dans l’histoire comme dans le présent immédiat.