Un élément retient l’attention dans la biographie de Salimata Diop, la directrice artistique de la nouvelle édition de la Biennale de Dakar : elle n’est pas seulement critique d’art et commissaire d’exposition, mais aussi compositrice et pianiste. Et c’est justement le fil rouge de la composition musicale qu’elle a tiré pour son projet de Biennale, intitulée « The Wake: Awakening, Xàll wi’». « Dans ma façon de concevoir la Biennale, les notes de musique sont apparues avant les mots », raconte-t-elle.

Son parcours résonne avec un principe d’éclectisme. « Le plus important pour moi est de faire des liens entre des œuvres, des lieux et des artistes. », dit-elle. De père sénégalais et de mère française, tous deux linguistes, Salimata Diop est née à Dakar et a grandi à Saint-Louis au Sénégal, avant de se former à la littérature à la Sorbonne et à l’histoire de l’art à l’université de Warwick. Elle a commencé par réaliser des portraits filmés d’artistes pour la série « African Masters » (El Anatsui, Mary Sibande…). Puis elle a successivement dirigé l’Africa Centre de Londres, et la foire AKAA à Paris. En 2017, elle crée le Musée de la photographie de Saint-Louis (MuPho) avec le collectionneur Amadou Diaw ; une institution qu’elle dirigera jusqu’en 2018.

Ce 7 novembre, la Biennale de Dakar ouvre après un report inédit dû aux tensions politiques : « Nous avons eu très peur pour la démocratie au Sénégal. À présent, nous sommes revenu·e·s à un fonctionnement démocratique. Les élections législatives à venir sont un enjeu considérable pour le nouveau régime. Quant à la Biennale, nous la défendons pour qu’elle conserve son statut, son budget, et les lieux dont elle dispose aujourd’hui », explique encore Salimata Diop.

Le principal d’entre eux est l’ancien Palais de justice. « Ce “palais monstre’’, à l’architecture majestueuse, a été inauguré en 1957 pour la capitale de l’Afrique Occidentale Française. Pour la Biennale, j’ai imaginé un naufrage lié à la situation internationale politique et environnementale. De là est née l’idée qu’il faut se réveiller. Avec Clémence Farrell, la scénographe, nous avons conçu un parcours un peu punk, avec des installations inédites dans la salle des pas perdus, et quatre chapitres dans les espaces plus restreints des étages :  Nager dans le sillage, Plonger dans la forêt, Flotter dans le nuage, Brûler. »

Pour Art Basel, Salimata Diop met en avant quatre artistes à suivre de près.

Ghizlane Sahli
Née en 1973 à Meknès, Maroc. Vit et travaille à Marrakech.

« Il y a plusieurs années que j’avais envie de travailler avec Ghizlane Sahli, une artiste marocaine dont le magnifique travail sur les matériaux, souvent recyclés, emprunte parfois à des pratiques ancestrales comme la broderie. Je suis très sensible aux techniques et aux matières que choisissent les artistes. Les textures de ses œuvres, faites de tissus et de perles, font penser aux coraux et aux fonds marins. Pour la biennale, le·la visiteur·euse est invité·e à explorer un jardin de fleurs comme on le verrait entre des lamelles sous la lentille d’un microscope. On se promène dans un labyrinthe, où des pistils minuscules dans la réalité sont portés à deux mètres de haut. On a l’impression d’entrer dans la fleur dont on voit à la fois la perfection et la complexité. C’est un projet sur les changements de perspective, de dimensions, d’échelles, influencé par l’architecture et le design, et qui force le sentiment d’humilité. »

Laeïla Adjovi
Née en 1982 au Bénin. Vit et travaille à Dakar.

« Journaliste de formation, Laeïla Adjovi a développé une œuvre plastique qui s’inscrit dans les nouvelles écritures photographiques. Je travaille avec elle depuis longtemps : elle a notamment fait partie de plusieurs expositions dont j’ai été commissaire, comme l’exposition inaugurale du MuPho à Saint-Louis, « Champs invincibles » dans le off de la biennale de Dakar en 2022. En 2018, elle a reçu le Grand Prix Léopold Sédar Senghor de la Biennale de Dakar : cette nouvelle édition de la biennale marque donc son retour dans l’ancien Palais de justice. Elle présente Cotton Blues, un projet au long cours pour lequel elle a documenté la culture du coton au Burkina Faso et au Niger.  Puis elle a développé ses photos en cyanotype sur des cotonnades du Bénin avec de l’indigo, et à la lumière du soleil. Quand on arrive dans son espace, on entre dans un cocon, entre la toile d’araignée et le nid d’oiseau. Des fils de coton entrelacés dessinent l’entrée d’une grotte. On voit le coton sous toutes ses formes. »

Dalila Dalléas Bouzar
Née en 1974 à Oran, Algérie. Vit et travaille à Bordeaux, France.

« Dalila Dalléas Bouzar est l’une des artistes avec lesquelles j’ai le plus parlé pour la Biennale, car son projet a beaucoup évolué. Elle va montrer un corpus varié de tapisseries, de dessins et de peintures qui parlera d’injustice de façon musclée, combattive et puissante. Ce sera une série de visages encore plus poignants que ce qu’elle fait d’habitude : des portraits d’enfants qui meurent sous les bombes, image de l’injustice primordiale. Elle a également inséré des textes dans ces œuvres, ce qui m’a beaucoup touchée. Dans une grande tapisserie brodée, longue de plus de deux mètres, elle a écrit un poème comme une lettre au monde, accompagné par une silhouette dans laquelle elle a inséré des pierres et des perles. Quelles que soient ses formes, on reconnait toujours son écriture. »

Tuli Mekondjo
Née en 1982 en Angola. Vit et travaille à Windhoek en Namibie.

« Connue comme peintre, brodeuse et performeuse, Tuli Mekondjo est une artiste autodidacte, née de parents namibiens en exil dans les camps d’Angola, puis rentrée en Namibie après l’indépendance en 1990. Elle montre une vidéo réalisée à partir d’une performance sur la conversion de la Namibie au christianisme. À travers ces images, elle réfléchit sur la façon et les raisons pour lesquelles ses ancêtres se sont converti·e·s, et à l’impact de la perte des croyances ancestrales, effacées par la colonisation, sur leurs rapports avec la nature dans leur pays d’origine. Le jour de l’ouverture de la Biennale, elle fera une performance rituelle par laquelle elle va chercher à se reconnecter aux esprits de ses ancêtres en utilisant les outils du présent comme la vidéo. »

Crédits et légendes

« The Wake: Awakening, Xàll wi »
Du 7 novembre au 7 décembre 2024
Dakar

Anaël Pigeat est critique d’art, editor-at-large du mensuel The Art Newspaper, journaliste pour Paris Match et commissaire d’exposition.

Légende de l’image d’en-tête : Vue de Dakar, photographie de Prince Debiz N’kouka Bizenga aka Bizengabiz pour Art Basel, 2022.

Publié le 6 novembre 2024.