<p>Entre Chicago et Paris, les collectionneur∙euse∙s et co-fondateur∙rice∙s du Prix SARR s’inspirent des lieux où iels ont vécu</p>

Propos recueillis par Ingrid Luquet-Gad

Catherine et Mamadou-Abou Sarr se livrent

<p><strong>Mamadou-Abou Sarr :</strong> La collection a commencé il y a de nombreuses années. Comme mon père possédait un appareil photographique russe de marque Zenit, nous avions toujours à la maison des clichés en noir et blanc ou de studio. Ils évoquaient la nostalgie du pays et je les regardais toujours avec un grand intérêt. C’est ce qui m’a attiré dès le début : interpréter la photographie, cultiver un attachement émotionnel. Par la suite, je me suis familiarisé avec le médium en allant à des foires ou en feuilletant Revue Noire. Les premier∙ère∙s artistes que j’ai acquis∙e∙s ont donc été des photographes, comme Samuel Fosso, Mama Casset, Seydou Keïta et Malick Sidibé, ou encore Toshio Shibata, Denis Darzacq, et Andreas Müller-Pohle.</p><p>À l’époque, [mon épouse] Catherine avait du mal à imaginer que d’autres portraits que ceux de la famille puissent être accrochés sur les murs. Puis, sa sensibilité artistique de joaillière s’est alliée à la mienne, et nous avons élargi notre approche à d’autres médiums. C’est ensemble que nous avons continué à collectionner. Nous étions porté∙e∙s par un attrait pour les arts au sens large, sans pour autant être dans l’optique de présenter un jour l’ensemble de la collection.</p><p><strong>Catherine Sarr : </strong>J’ai rejoint Mamadou dans sa passion pour l’art lorsque j’ai pleinement appréhendé l’intérêt historique, sociologique et culturel que pouvait représenter l’art, et la photographie africaine en particulier. Ce vecteur mémoriel et introspectif a toujours été important pour nous, englobant la France, que nous avons quittée dans les années 2000, mais également l’afro-descendance.</p>

<p><strong>Mamadou-Abou Sarr : </strong>Un second axe de notre collection concerne le soutien à la jeune création française. Mon épouse et moi sommes tous les deux né∙e∙s en France, de parents respectivement sénégalais&nbsp;et béninois, mais cela fait une vingtaine d’années que nous vivons à l’étranger. Aujourd’hui, nous sommes basé∙e∙s à Chicago, après être passé∙e∙s par Londres et le Moyen-Orient. Il y a environ quinze ans, nous avons commencé à suivre de jeunes artistes tout juste sorti∙e∙s des Beaux-Arts, comme une manière de maintenir un lien avec cette partie de notre identité multiple. À chaque fois que nous étions de passage en France, nous leur rendions visite.</p><p>À un moment nous avons cherché le moyen de pérenniser notre soutien. Nous avons pensé à un prix. L’idée d’un partenariat avec les Beaux-Arts de Paris a fait son chemin, car la plupart des jeunes artistes français∙e∙s avec qui nous avions noué des liens en étaient issu∙e∙s : Joël Degbo, Julien Creuzet, Abdelhak Benallou, Halida Boughriet, Bilal Hamdad, Juliette Green ou Jérémie Danon. Nous avons établi un cahier des charges assez précis, dont le principal point concernait la constitution d’un jury international. Depuis 2021, le Prix SARR distingue trois artistes, et attribue en sus une résidence d’un mois à Chicago, en partenariat avec les Beaux-Arts de Paris et la Villa Albertine.</p>

<p><strong>Catherine Sarr :</strong> En réalité, il s’agissait de formaliser les activités que nous menions naturellement. Nous faisions déjà venir des artistes à Chicago pour leur permettre de découvrir la scène et gagner en visibilité, et nous organisions également des accrochages chez nous, auxquels étaient convié∙e∙s des commissaires d’exposition et des collectionneur∙euse∙s. Pierre-Alexandre Savriacouty, le premier lauréat du Prix SARR, a effectué sa résidence en octobre 2022. Le second sera Abdelhak Benallou, qui viendra en septembre 2023. Le∙la prochaine sera annoncé∙e en juin 2023.</p><p><strong>Mamadou-Abou Sarr :</strong> Lorsque nous nous levons le dimanche, nous pouvons nous dire que ces activités ont un impact : sur les individus et les communautés, sur une narration qu’il faut revisiter également, et enfin, sur une conception de l’identité que nous entendons dans toute sa pluralité. Or via les arts, il devient possible de donner forme à cette identité-là. Ce qui nous a aidé∙e∙s à concrétiser notre vision est en partie lié à notre arrivée aux États-Unis. Nous avons réalisé combien les artistes afro-américain∙e∙s ont été laissé∙e∙s en marge de l’histoire des arts aux États-Unis, et à quel point il était important d’apprécier leur contribution et la plénitude de son impact. Nous collectionnons aujourd’hui de grands noms de l’art afro-américain comme <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6949/Carrie-Mae-Weems">Carrie Mae Weems</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8327/Kara-Walker">Kara Walker</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/10414/Lorna-Simpson">Lorna Simpson</a> ou <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/19770/Lorraine-O-Grady">Lorraine O’Grady</a>.</p>

<p><strong>Catherine Sarr : </strong>Nous nous nourrissons des endroits où nous avons vécu, et il est vrai que Chicago a été un contexte déterminant. Pour cette raison, les artistes de Chicago font également partie de notre collection, avec par exemple, Amanda Williams,&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/29466/Dawoud-Bey">Dawoud Bey</a>&nbsp;ou Nate Young. Je rajouterais également qu’à Chicago, l’art n’est pas mondain, il est civique : c’est la ville de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9868/Theaster-Gates">Theaster Gates</a>&nbsp;ou de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8633/Kerry-James-Marshall">Kerry James Marshall</a>.</p>

<p><strong>Mamadou-Abou Sarr : </strong>Notre action philanthropique nous permet d’avoir une place à la table des institutions : je fais partie, en tant que trustee, de la fondation Andy Warhol, de l’Art Institute de Chicago et de FACE (Villa Albertine), tandis que Catherine est membre du board de la Terra Foundation For American Art et de plusieurs committees de l’Art Institute de Chicago. Nous avons ainsi pu faire des acquisitions pour certains musées, en vue d’enrichir leurs collections et leur permettre d’élargir leur récit. Nous sponsorisons également certaines expositions, à l’instar de la première grande exposition dans un musée aux États-Unis de la photographe kenyane Mimi Cherono Ng’ok « Closer to the Earth, Closer to My Own Body », 2021-2022, à l’Art Institute of Chicago&hellip;</p><p><strong>Catherine Sarr :</strong> &hellip; qui était la première femme photographe africaine à avoir une exposition personnelle dans un musée Nord-Américain. </p>

<p><strong>Mamadou-Abou Sarr</strong> : Je passe souvent mes dimanches à conseiller de jeunes artistes. Je leur dis de vivre leur carrière avec passion et patience. Lorsque l’on regarde la carrière d’un∙e artiste sur le long terme, il peut y avoir certains moments, ou certaines séries spécifiques, qui leur permettent de prendre leur envol. Le second conseil serait de veiller à se créer un réseau, car nous vivons dans ce monde-là : un monde où les plateformes digitales internationales ont remplacé les anciens circuits du bouche à oreille.</p><p><strong>Catherine Sarr :&nbsp;</strong>En effet, je conseillerais surtout de la patience. Je m’inspire d’un conseil qui revient très souvent de la part des commissaires américain∙e∙s à propos de l’importance des résidences. Elles constituent un moment important de réflexion et permettent aux jeunes artistes d’étoffer leurs pratiques.&nbsp;</p>

<p><strong>Mamadou-Abou Sarr : </strong>Le marché de l’art a énormément évolué. Il s’est démocratisé, digitalisé et fragmenté, en même temps que la spéculation a pris une grande place. Je pense également aux questions récentes soulevées par les NFTs. Peut-on acheter une fraction d’une œuvre d’art ? Quelle est sa valeur ? Son prix provient avant tout d’une attache sentimentale. Certes, il y a une valeur de marché, définie par les enchères et les historiques de ventes, mais tout cela peut être très relatif. Puisque nous n’avons de notre côté jamais vendu d’œuvres, notre collection est aujourd’hui devenue conséquente. Avec d’autres questions qui en découlent désormais : quel en sera l’héritage ? Faudra-t-il un musée un jour ? Pour l’instant, le plus important pour nous reste de faire vivre ces pièces-là et de continuer à soutenir la création.</p>

<p>Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle est en charge de la rubrique art des <em>Inrockuptibles</em>, membre du comité de rédaction de <em>Spike Art Magazine</em> et correspondante pour <em>Flash Art</em>.</p><p>Légendes des images en pleine page, de haut en bas :&nbsp;1. Dhewadi Hadjab, <em style="background-color: initial;">Sans titre</em>, 2019.&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection Sarr.&nbsp;2. Alexandre Diop, <em style="background-color: initial;">Give me Respect, </em>2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection Sarr.&nbsp;3. Carrie Mae Weems, <em style="background-color: initial;">When and Where I Enter - Ancient Rome</em>, 2006.&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection Sarr.&nbsp;4. Lorraine O’Grady, <em style="background-color: initial;">Art is (Cope eyeing a young man), </em>1973/2009.&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection Sarr.</p><p>Publié le 7 mars 2023.</p><p>Catherine Sarr a participé au panel&nbsp;'Journeys across Diasporas: Collecting African Art', dans le cadre des Conversations d'Art Basel Miami Beach 2022.&nbsp;Il est accessible dans son intégralité ci-dessous.&nbsp;</p>

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Entre Chicago et Paris, les collectionneur∙euse∙s et co-fondateur∙rice∙s du Prix SARR s’inspirent des lieux où iels ont vécu

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Catherine and Mamadou-Abou Sarr.

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carrie mae weems

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amanda x nate

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lorraine ogrady

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Dhewadi Hadjab, Sans titre, 2019.

PARAG9+10

alexandre diop

PARAG11

ousmane sow

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‘We are nourished by the places we’ve lived’ say the Chicago and Paris-based collectors and founders of the SARR Prize

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