<p>À la veille de l’inauguration, le directeur de Paris+ par Art Basel partage sa vision</p>

Coline Milliard

Clément Delépine : « Les galeries émergentes sont le centre de gravité de la foire »

<p><strong style="background-color: initial;">Coline Milliard : En quoi Paris+ par Art Basel sera-t-elle une foire différente ?</strong></p><p><strong style="background-color: initial;"></strong><strong>Clément Delépine :</strong> Il faut travailler avec humilité. C’est très important que l’on prenne conscience de notre contexte d'implantation : on est tributaires d’une histoire qui n’est pas la nôtre, d’un contexte que nous n’avons pas créé, mais les attentes, les projections, les habitudes sont assujetties à ce qu’a fait la Fiac (Foire Internationale d’Art Contemporain) à Paris pendant 47 ans. Je ne prétendrais jamais qu’on apporte le feu sacré ; on profite d’un moment parisien. Ce moment parisien, on peut l’amplifier grâce à l’infrastructure d’Art Basel. Et tout cela se fait au service d’une communauté de galeries et d’une communauté institutionnelle.</p><p>J’aimerais bien, à terme, que ça soit différent, dans le sens où j’aimerais bien qu’on élargisse un petit peu le rayonnement de cet évènement dans la ville. Que Paris+ par Art Basel devienne une foire qui permette aux collectionneur∙euse∙s de découvrir des endroits où iels n’auraient pas pensé aller. Dans le futur, j’aimerais vraiment élargir le programme Sites au-delà de l’hypercentre parisien.</p><p><strong>Qu’en est-il du « + » de Paris+, qui fait référence à un côté multidisciplinaire, l’un des fondements de cette nouvelle foire ?</strong></p><p>Plutôt que du pluridisciplinaire, ce qui m’intéresse, c’est le décloisonnement. On ne peut plus apprécier en silo les champs des arts visuels et de la mode ou de la musique. Énormément d’artistes travaillent à l’intersection de ces champs. Je pense par exemple à Bendik Giske ou Laurie Anderson, qui utilisent la musique comme médium. Il y a des cinéastes, comme Apichatpong Weerasethakul, qui a eu une Palme d’or à Cannes en 2010 et un show solo au New Museum de New York en 2011. On peut également penser à Steve McQueen, Chantal Akerman ou Alain Guiraudie – les exemples sont nombreux.</p><p>C’est cette friction-là qui m'intéresse, et Paris est un terreau fertile pour ce genre d’échanges. Pour moi, l’art, c’est une forme d'espéranto. Toi et moi, on ne parle pas le même langage, on n’est pas la même personne, mais on peut être ému∙e avec la même puissance par une même œuvre d’art. Il y a une forme de métalangage, d’universalité dans l’émotion que peut susciter l’art. J’aime l’idée d’utiliser cet alphabet-là pour faire intervenir d’autres champs créatifs.&nbsp;</p>

<p><strong>Nous sommes à deux semaines de la première édition de Paris+ par Art Basel, qu’est-ce que tu attends avec le plus d’impatience ? </strong></p><p><strong></strong></p><p>Mercredi 19 octobre à 10 heures, je serai devant la porte, je vais voir les gens rentrer, et je vais me dire : « Waouh, on l’a fait ! » Cette foire est sortie de terre en neuf mois, et je m’en réjouis beaucoup. Le programme Sites, c’est aussi quelque chose qui me tient à cœur, ainsi que le programme des Conversations. C’est dans les programmes satellites qu’on peut produire du discours et mettre la foire en récit. C’est là aussi que l’on s’engage auprès de tous les publics : ce sont des programmes gratuits, accessibles à&nbsp;tou∙te∙s, indépendamment du fait que l’on ait ou non un billet pour accéder à la foire.</p><p>Je suis particulièrement fier du programme des Conversations. Je trouve que Charles Teyssou et Pierre-Alexandre Mateos – sous ta supervision, ta gouvernance – ont fait un travail formidable. C’est tout ce qu’un programme de Conversations doit être : c’est <em>witty</em>, c’est intelligent, c’est généreux, c’est inclusif, c’est pertinent, c’est sexy, c’est drôle – c’est un peu foutraque aussi, je suis hyper fier de ça. </p><p>Le programme Sites, c’est-à-dire le parcours dans le jardin des Tuileries et le musée Delacroix, curaté par Annabelle Ténèze, ainsi que la place Vendôme, avec un projet curaté par Jérôme Sans, est aussi exceptionnel. Je suis également très content qu’Alexia Fabre nous ait laissé∙e∙s utiliser la chapelle des Petits-Augustins, aux Beaux-Arts de Paris,&nbsp;le premier musée de France à ouvrir au public en 1795.&nbsp;C’est un site supplémentaire, mais ça nous permet aussi de parler aux écoles d’art.</p><p><strong>La foire s’est montée en neuf mois, quel a été le plus gros challenge ?</strong></p><p><strong></strong></p><p>Le plus gros challenge, ça a été de faire en sorte qu’une équipe de 22 personnes, qui, pour la plupart d’entre elles, ne se connaissaient pas il y a encore trois mois, travaillent ensemble, les un∙e∙s pour les autres, solidaires, et portent ce projet collectivement. Je suis ému, époustouflé – et, évidemment, infiniment reconnaissant – de la manière dont cette équipe fait corps. Il y a des gens de la Fiac, de Christie’s, de Paris Photo, d’institutions muséales, des indépendant∙e∙s, des gens qui ne travaillaient pas dans l’art. En si peu de temps, on a monté une équipe de rêve. Il n’y a rien qu’iels ne peuvent pas faire. Ça invite à l’humilité.</p>

<p><strong>Ton parcours professionnel oscille entre l’institutionnel (Swiss Institute, New York), le quasi-associatif (CACBM, Paris) et le commercial (Paris Internationale). Mais il y a toujours un parti pris pour la création émergente. Selon toi, qu’est-ce que cela apporte à ton rôle ? </strong></p><p>Pour moi, c’est très important. Nous avons fait le choix, politique, non seulement d’augmenter la taille du secteur de galeries émergentes, mais aussi de le repositionner au cœur du Grand Palais&nbsp;Éphémère. On a aussi doublé la taille du secteur par rapport à la Fiac 2021. Ce secteur, c’est le centre de gravité de la foire. Pour moi, ça dit quelque chose. Nous voulons soutenir les galeries qui défendent des positions émergentes, c’est-à-dire de très jeunes artistes ou des artistes d’un certain âge dont les carrières ont été invisibilisées, ou dont les pratiques ont été tardivement reconnues. Les positions liminales, à la marge, sont toujours les plus vulnérables, mais in fine, c’est là que le travail de défrichage se fait. C'est aussi là que l’art reflète le plus la société.</p><p><strong>Est-ce que tu te souviens de la première œuvre qui t’a ému ?</strong></p><p><strong></strong></p><p>L'œuvre de Chris Burden, <em>Shoot : </em>la documentation de la performance où il se fait tirer dessus. J’ai appris plus tard que c’était une erreur, mais sur le coup, ça m'a bouleversé. C’est une pièce sur laquelle on peut projeter toutes les formes de révolte, de contestation, en dehors même du discours de Chris Burden. On en revient au langage universel dont je parlais plus tôt. C’est une œuvre qui continue de me hanter. </p><p>Quand je faisais mes études, j’étais à Lausanne, et la bibliothèque universitaire était contiguë au Musée cantonal des beaux-arts. Au début des années 2000, il y a eu une exposition Olivier Mosset, avec des peintures maximalistes. Je n’avais jamais vu de peintures aussi grandes, donc ça m’a évidemment beaucoup impressionné. La peinture minimale, le BMPT, ça m’a obsédé pendant longtemps : ce qu’on peut dire avec un long geste, ce qu’on peut dire en creux, ce qu’on peut dire sans rien dire. La puissance de l’art est là. </p><p><strong>Et plus récemment ?</strong></p><p>Je suis assez impressionné par les artistes qui utilisent le long format en vidéo, comme Melanie Gilligan ou Arthur Jafa, à certains égards. À la dernière Biennale de Venise, il y a un film de Tourmaline que j’ai trouvé captivant. J’ai continué d’y penser longtemps. </p>

<p><strong>Qu’est-ce qui rend Paris unique à tes yeux ?</strong></p><p><strong></strong></p><p>Ce qui rend Paris unique, c’est que c’est une ville de contrastes, plus que New York. C’est une ville qui déjoue complètement le fantasme que l’on peut s’en faire. C’est une ville que l’on pense hostile alors qu’elle est très accueillante. C’est une ville que l’on pense sublime alors qu’elle peut être très laide. C’est une ville que l’on croit endormie alors qu’elle est hyper éveillée, c’est une ville dure et tendre. C’est une ville que j’aime beaucoup, où je suis né mais où je n’ai pas vécu. Où je vis maintenant sans pour autant me sentir d’ici. C’est une ville qui, je trouve, pour qui choisit d’y vivre, pour qui prend le temps de la comprendre, est très accueillante.</p><p><strong>Qu’est-ce que tu recommanderais à ceux</strong><strong>∙elles</strong><strong> qui viendraient ici pour la première fois ?</strong></p><p><strong></strong></p><p>Je leur recommanderais de ne pas parler tout de suite en anglais au serveur, de dire au moins « bonjour ». Je leur recommanderais d’aller manger chez Georges. Je leur recommanderais de ne pas projeter trop de leurs fantasmes sur la ville, parce que, inévitablement, iels seront déçu∙e∙s. C’est une ville où les gens vivent, une ville qui transpire, une ville qui vaut plus que les clichés que l’on entretient sur elle.</p><p><strong>Qu’espères-tu que les visiteur</strong><strong>∙euse∙</strong><strong style="background-color: initial;">s retiennent de la première édition de Paris+ par Art Basel ?</strong></p><p>J’aimerais que tout le monde se sente accueilli∙e. On va faire des tours pour des enfants, pour des patrons du CAC 40, pour tout le monde. Et on va essayer d’accueillir tout le monde de la même manière.</p><p><strong>Où est-ce qu’on peut te trouver le dimanche ?</strong></p><p>Au parc des Buttes Chaumont, en train de promener mon fils. Avec ma poussette Yoyo.</p><hr id="horizontalrule" /><p>Coline Milliard est Executive Editor d’Art Basel.&nbsp;</p><p>Légende des images en pleine page : photographies par Aliki Christoforou pour Paris+ par Art Basel.</p>

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