Patrick Steffen : J’aimerais commencer par retracer ton aventure avec Art Basel. En 2022, tu avais relevé le défi extraordinaire de lancer la première édition de la foire à Paris en l’espace de seulement huit mois. Qu’est-ce qui t’avait le plus marqué cette année-là ?
Clément Delépine : C’était le sentiment enivrant de participer à une symphonie collective. C’était réjouissant de percevoir non seulement les attentes enthousiastes, voire les fantasmes, mais aussi le soutien bienveillant qui nous a accompagnés. À la clôture de la foire, j’étais à la fois épuisé et très excité, immensément joyeux et déjà nostalgique. Avec le recul, je mesure la confiance, la solidarité et la folie nécessaires pour aboutir à un tel succès.
Tu as encore cette audace en 2024, à la veille de l’inauguration de la troisième édition ?
Cette audace persiste car, in fine, nous sommes toujours dans une phase inaugurale. Cette année, nous avons réinventé la foire. La configuration change considérablement avec un nouveau nom, Art Basel Paris, un nouveau lieu, le Grand Palais, et le nombre de galeries qui augmente dans différentes typologies d’espaces. C’est donc un nouvel exercice pour nous. Parmi tous ces changements, tout de même une constante : notre équipe. C’est pour moi une grande fierté.
Cette année, la foire est rebaptisée Art Basel Paris, ce qui représente un changement significatif.
Le nom Paris+ par Art Basel nous avait initialement permis de prendre des libertés, de lancer plusieurs ballons d’essai et d’être plutôt expérimentaux. Aujourd’hui, la marque Art Basel est aussi un label d’excellence pour les galeries, pour qui il est important de pouvoir revendiquer cette appartenance. Sans renier sa dimension expérimentale, nous étions attentifs à ce que Paris+ par Art Basel soit perçue comme une foire Art Basel de plein droit. Nous avons donc engagé cette conversation avec nos partenaires de la Ville de Paris et du ministère de la Culture. La marque Art Basel est puissante et peut se mettre au service de la Ville bien plus efficacement si elle se déploie dans toute son ampleur.
L’édition 2024 d’Art Basel Paris sera la première foire à ouvrir au public au Grand Palais entièrement rénové.
Projeter Art Basel au Grand Palais offre une perspective véritablement enthousiasmante. Il n’y a peut-être pas de plus bel endroit au monde pour organiser une foire d’art moderne et contemporain. Le privilège esthétique est indéniable. La rénovation intelligente du Grand Palais permet également une configuration plus adaptée aux événements accueillant du public. Nous disposerons donc d’un confort accru dans un espace plus vaste, nous porterons ainsi une attention particulière aux espaces d’hospitalité, à commencer par le Collectors Lounge, pour mieux répondre aux attentes générées par un événement de la stature d’Art Basel. Nous accueillerons cette année 195 galeries issues de 42 pays et territoires, dont 64 disposant d’espaces en France. Comparativement à 2023, nous avons pu ajouter 40 galeries au parcours, dont Goodman Gallery, Kiang Malingue, Labor, Standard, Landau Fine Art, Yares Art, et créer un nouveau secteur, Premise, qui regroupe neuf galeries aux propositions atypiques, parmi lesquelles Bombon, Galerie Dina Vierny ou The Pill.
Le Programme public 2024 présente de grandes différences par rapport aux éditions précédentes. Tu peux nous en dire plus à ce sujet ?
Cette année, nous avons cherché à offrir plus de liberté aux galeries, en évitant de les contraindre dans un cadre narratif trop rigide. Ainsi, nous avons repensé l’articulation de notre Programme public. Le Palais d’Iéna présentera le projet spécial « Tales & Tellers », conçu par l’artiste Goshka Macuga et convoqué par la directrice du MACBA [Musée d’art contemporain] de Barcelone. Ce projet extraordinaire est possible grâce au soutien de la maison Miu Miu, fondée en 1993 par Miuccia Prada, qui sera cette année Partenaire Officiel du Programme public d’Art Basel Paris.
Le Petit Palais accueillera un projet de Jesse Darling, présenté par Arcadia Missa, Chapter NY, Molitor et Sultana, ainsi que le volet discursif du programme public, y compris le programme des Conversations conçu par Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou, avec une proposition qui examine et interroge les postures militantes.
Nous avons eu à cœur de faciliter les échanges entre le Grand Palais et le Petit Palais en piétonnisant l’avenue Winston-Churchill, où seront exposées une œuvre de Yayoi Kusama présentée par la galerie David Zwirner, une œuvre de John Chamberlain présentée par la galerie Mnuchin, ainsi qu’une maison démontable de Jean Prouvé présentée par la galerie Patrick Seguin.
Un nouveau partenariat avec le Centre des monuments nationaux se déploiera sur trois sites : la cour de l’Hôtel de la Marine, où la galerie White Cube présentera une éolienne de l’artiste grec Takis, un parcours d’œuvres dans le Domaine National du Palais-Royal, ainsi qu’une exposition d’œuvres majeures du sculpteur britannique Lynn Chadwick à l’hôtel de Sully, présentée par la galerie Perrotin sous le commissariat de Matthieu Poirier.
Nous poursuivons également avec nos partenaires historiques : la chapelle des Petits-Augustins des Beaux-Arts de Paris accueillera des œuvres du sculpteur Jean-Charles de Quillacq présentées par la galerie Marcelle Alix, tandis que le Musée National Eugène-Delacroix proposera une exposition d’Ali Cherri présentée par la galerie Almine Rech. À proximité, au centre du parvis de l’Institut de France, trônera une sculpture de Niki de Saint Phalle présentée par la galerie Mitterrand.
En 2022 et 2023, les galeries plus jeunes étaient placées au cœur physique de la foire. Cette année encore, au Grand Palais, le secteur Émergence aura-t-il aussi un emplacement particulier ?
Au Grand Palais Éphémère, nous avions délibérément choisi de positionner ce secteur au cœur géographique du parcours. L’enjeu était de le mettre en valeur de manière spectaculaire. Une des nouveautés structurantes de la rénovation du Grand Palais est la réouverture des coursives, permettant ainsi un parcours continu sur les balcons. Nous avons vu là une possibilité de maintenir la centralité d’Émergence en y positionnant les galeries de sorte qu’elles surplombent la nef et soient visibles depuis l’entrée de la foire. Cet emplacement offre une vue panoramique, créant une dynamique visuelle captivante, et permet aux projets artistiques du secteur, qui nécessitent souvent une mise en contexte supplémentaire, de bénéficier d’une visibilité stratégique.
On a observé un véritable flux de galeries émergentes qui ont ensuite intégré le secteur principal. Citons par exemple Emalin, LC Queisser, Marfa’ Projects et sans titre qui en font partie cette année.
Oui, c’est remarquable. Chez Art Basel, nous tenons beaucoup à soutenir le développement des galeries. Je tiens à saluer l’engagement du comité de sélection envers les structures souvent les plus vulnérables et qui prennent beaucoup de risques. Cette année, en fin de compte, la position du secteur Émergence dans l’équilibre général de la foire est même renforcée, puisque nous passons de 14 à 16 exposants. Ces galeries, qui avaient auparavant un espace de 20 m², disposent désormais de 30 m² pour présenter le projet artistique pour lequel elles ont été choisies.
Une autre grande nouveauté est le secteur, inédit au sein de la famille Art Basel, nommé Premise, consacré à la présentation d’œuvres créées avant 1900. Pourrais-tu expliquer sa genèse ?
Il m’est apparu nécessaire de créer, à l’intérieur de la foire, un espace de liberté curatoriale qui répond à ce vieux tropisme de l’histoire de l'art : c’est parfois l’exposition même qui fait œuvre d’art. Plusieurs galeries opèrent dans ces marges, à Paris et au-delà, et nous souhaitions leur offrir une plateforme contextuelle pour présenter des projets thématiques intéressants, précis, choisis, qui ne trouveraient pas nécessairement leur place dans les autres secteurs de la foire. J’avais envie d’inviter les visiteur∙euses∙s à s’arrêter un moment sur des projets forts, originaux, et de prendre le temps d’écouter les histoires que ces galeries nous racontent.
Considères-tu que la présence d’Art Basel à Paris depuis 2022 ait stimulé le marché français ?
Le marché de l’art est ancré dans le réel. Dans un contexte d’incertitude globale, le marché français se consolide tout de même à la quatrième place mondiale. C’est avant tout le fruit du travail continu des galeries françaises, sur tous les segments du marché, qui a construit cette scène. En complément, plusieurs grandes galeries internationales continuent de chercher des espaces à Paris, et celles qui en trouvent font généralement le choix d’ouvrir en grande pompe. Leurs programmes témoignent du sérieux de leur démarche, puisque ces galeries montrent des artistes et présentent des œuvres rarement vu∙e∙s à Paris. Je crois donc qu’il y a une confiance réelle dans le marché français et dans ce qu’il peut absorber. Il faut rappeler que 50 % des transaction en art dans l’Union européenne se font en France, c’est conséquent. Cela témoigne d’une résilience et d’un dynamisme du marché.
Parmi tes objectifs principaux, il y a toujours eu le désir de toucher un très large public. Tu as l’impression d’y parvenir ?
Oui. Pour moi, c’est quelque chose qui compte beaucoup. La foire n’est pas en elle-même un musée, mais je crois qu’elle porte une responsabilité institutionnelle. Rendre l’art accessible à toutes et tous, gratuitement, c’est un enjeu institutionnel. Nous avons à cœur de nous adresser à des publics au-delà de la verrière du Grand Palais et de permettre un dialogue sur l’art au-delà de la foire.