<p>Une référence dans le domaine, le galeriste parisien est, à l’instar de ses artistes, autodidacte</p>

Yamina Benaï

Christian Berst : « L’art brut constitue une forme de synthèse entre l'intime et l'universel »

<p><a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/35958/christian-berst-art-brut">Christian Berst</a> porte une ambition : faire en sorte que l’art brut – ainsi nommé par l’artiste&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6734/Jean-Dubuffet">Jean Dubuffet</a> – ne soit plus simplement considéré comme « l’art des fous ». Le galeriste, par son travail de fond, souligne chaque jour que cette forme d’art dit « naïf » embrasse une réalité bien plus vaste, celle d’une création générée par des personnes inscrites dans l’altérité, qu’elle soit d’ordre mental ou social. Après avoir établi sa galerie dans le quartier de la Bastille, à Paris, en 2005, il migre cinq ans plus tard au cœur du Marais. À l’automne 2020, il y inaugure un nouveau lieu, The Bridge. Avec cet espace, Christian Berst entend ménager de nouvelles passerelles entre l’art brut et d’autres formes de création. </p><p>Alsacien, né en 1964, Christian Berst ne passera pas son bac. Pas de formation à l’université ni en grande école, donc, mais quelques 18 mois à l’usine, à répéter le même geste à la chaîne pour assembler des objets en plastique. Nourri de lectures, tant littéraires, historiques, politiques que d’histoire de l’art, il arrive au mitan des années 1980 au service audiovisuel du ministère de la Santé à Paris, sans y connaître personne. Il s’arrime ensuite pendant de nombreuses années aux éditions Actes Sud et met au point la librairie numérique chapitre.com.</p>

<p>L’accès à l’art brut s’opèrera non par l’œuvre, mais via le livre, grâce à <strong>Adolf Wölfli</strong> (1864-1930), qu’il découvre il y a plus de 30 ans dans une libraire de Saint-Germain-des-Prés. <span style="background-color: initial;">Figure centrale du domaine au XX<sup>e</sup> siècle, le Suisse est l’auteur de plus de 1 500 dessins et d’une autobiographie imaginaire de 25 000 pages. Dès lors, Christian Berst n’aura de cesse d’explorer ce pan fondamental de la création, cette sensibilité intrigante, parfois dérangeante, qu’est celle des marges. Le cheminement qui l’a mené à l’art brut est, somme toute, assez naturel, bien que non linéaire. « J’ai passé toute mon enfance et ma jeunesse à dessiner », indique-t-il. Aussi, l’« épiphanie », comme il aime à nommer l’instant de sa découverte de l’art brut, a-t-elle tout d’abord nourri une passion privée, un itinéraire personnel. Puis elle a généré une indignation face aux manquements de l’institution et de l’histoire de l’art qui n’étaient, alors, pas parvenues à inscrire l’art brut dans un continuum. Il explique : « </span>J'ai toujours été convaincu du fait que pour donner à penser, il faut donner à voir. Malheureusement, l’art brut souffrait d'un manque de visibilité, car les institutions n’arrivaient pas à se saisir de cet objet et à le penser. »</p>

<p>Christian Berst prône une définition rigoureuse de l’art brut, né de l’altérité, subie ou volontaire, et à l'intérieur de laquelle, selon lui, « réside le terreau d’éclosion d’une production plastique qui est absolument nécessaire à ces artistes, et dont l’objectif n’est pas d’entrer en dialogue avec l’histoire de l’art, ni avec leurs pairs et prédécesseur∙e∙s, de viser une reconnaissance par les institutions muséales ou encore d’exposer et de répondre aux attentes du marché. C'est le déploiement d'une mythologie individuelle qui va rencontrer la mythologie collective ». Le peu d’écho qu’il trouve auprès des institutions durant ses premières années de galeriste et son tropisme d’éditeur a amené Christian Berst à solidement documenter ses expositions : à ce jour, il a publié plus de 100 catalogues. « Une publication, c’est ce qui survit à l’espace et à la temporalité d’une exposition, mais en même temps la dépasse par sa capacité à approfondir les questions qu’elle pose. Elle permet à l’exposition d'être réinterrogée et débattue dans le futur. »</p>

<p>Comment explique-t-il la fascination de nombreux∙ses&nbsp;collectionneur∙euse∙s pour l'art brut ? « Il constitue une forme de synthèse entre l'intime et l'universel. Cela représente ce que chacun∙e&nbsp;désire trouver dans une œuvre d'art, c'est-à-dire quelque chose qui, à un moment donné, opère sur la fréquence qui est la sienne, la transformant en émotion et en réflexion. » Les modalités qui permettaient la monstration de l’art brut étaient très embryonnaires quand Christian Berst a commencé à s’y intéresser, mais au fil du temps, elles se sont renforcées, « à la fois par l'action de galeristes, de quelques institutions – dont le musée LaM –, de l'intérêt croissant de collectionneur∙euse∙s et d’historien∙ne∙s de l’art visionnaires. À Paris, on a ainsi eu la Maison Rouge, voulue par un collectionneur, Antoine de Galbert. Il était engagé non pas exclusivement dans la défense et la promotion de l'art brut, mais avait le souci de montrer l'intégralité du spectre et, finalement, de la création moderne et contemporaine ».</p>

<p>Autant d’initiatives qui, à partir du milieu des années 2010, imprègnent le paysage artistique et les programmations, favorisant la capillarité entre les genres. C'est ce que Christian Berst souhaite incarner à travers The Bridge. « Ce qui me passionne également est de tendre la plume à des auteur∙e∙s, des critiques, des historien∙ne∙s de l'art, des écrivain∙e∙s afin qu’ielles s'emparent du sujet de l’art brut et apportent leur propre pierre à l'édifice. C'est la suite logique des choses : publier, mais également organiser des tables rondes, des rencontres, des symposiums, et essayer de penser ce champ collectivement. Parce que c'est là que l’on a, finalement, le plus failli. Je suis prêt à entendre toutes les nuances, même les oppositions, dès lors que la personne a véritablement pensé le sujet. »</p>

<p>Yamina Benaï est la fondatrice et la rédactrice en chef du trimestriel <em style="background-color: initial;">Geste/s</em> (Groupe Beaux Arts &amp; Cie), premier magazine consacré aux métiers d'art, aux savoir-faire d'excellence et à la création contemporaine. Journaliste spécialisée en art contemporain et en art de vivre, ancienne rédactrice en chef de <em style="background-color: initial;">L'Officiel Art</em>, elle est contributrice du <em style="background-color: initial;">Quotidien de l'art</em>.</p><p>Légendes des images en pleine page : 1. Le galeriste dans son espace, Paris, 2022. 2. Joaquim Vicens Girondella, <em style="background-color: initial;">The Spirit of The Old Castle</em>, 1948, inclue dans l'exposition&nbsp;« brut treasures&nbsp;»&nbsp;à The Bridge, 8 décembre 2022 - 22 janvier 2023. 3. Berst à son bureau, Paris, 2022. Photos par Manuel Obadia-Wills pour Paris+ par Art Basel.</p>

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Une référence dans le domaine, le galeriste parisien est, à l’instar de ses artistes, autodidacte

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A staunch supporter of outsider art, Paris gallerist Christian Berst is self-taught, like the artists he represents

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