De la campagne flamande au cœur du Marais, la galeriste revient sur sa trajectoire hors du commun

Emmanuelle Lequeux

Chantal Crousel, une icône parisienne se raconte

Respectée par ses confrère∙sœur∙s, adulée des artistes, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1098/Galerie-Chantal-Crousel">Chantal Crousel</a> règne sur le Marais et sur la scène artistique française depuis plus de 40 ans. Et pourtant, qui la connaît vraiment ? À la veille de la deuxième édition de Paris+ par Art Basel, la grande dame a accepté de se confier, pour évoquer son parcours et sa passion pour l’art. 
Elle commence par son enfance, dans sa Belgique natale. « Vers mes 11 ans, je rêvais d’être chorégraphe, ballerine ou chef d’orchestre », se souvient-elle. « Puis je me suis passionnée pour l’archéologie, inspirée par les Larousse illustrés dans le bureau de mon père. Cela répondait à mon envie de regarder vers le ciel ou vers la terre, dans ma plate campagne flamande. » 
Celle qui parle aujourd’hui sept langues – « flamand, français, anglais, allemand, espagnol, suédois par amour, italien par plaisir » – se confronte d’abord au latin et au grec, à la guerre des Gaules de César et aux philosophes d’Athènes. Cette passion imposée guide ses premiers pas dans l’art. D’Ostende à Gand, d’un pensionnat à l’autre, elle peine déjà à se conformer aux cadres, préférant le flamenco à la prière. « Un jour, j’ai dessiné une femme nue, inspirée par la statuaire antique. La mère supérieure a convoqué mes parents et leur a dit que ma place était aux Beaux-Arts. » Mais sa sœur y étant déjà, c’est bien assez pour la famille.

Renvoyée, donc, Chantal Crousel se tourne vers les langues et la comptabilité. Secrétaire de direction à Gand, puis à Bruxelles, elle suit bientôt son fiancé suédois, futur père de ses deux enfants, à Paris. Elle y continue ses études en histoire de l’art, commencées par correspondance depuis Bruxelles. « Comme sujet de mémoire, j’avais choisi le mouvement Cobra, car tou∙te∙s ses acteur∙rice∙s vivaient autour de la Belgique – notamment l’artiste Christian Dotremont, qui est devenu l’un de mes mentors. » « Jure-moi de jouer » : elle a fait de ce « logoneige » (logogramme tracé dans la neige) son mantra, et elle ne dérogera pas à ce programme, qui donne son titre à l’ouvrage célébrant les 40 ans de sa galerie, publié en 2021.
Sa première acquisition d’une œuvre d’art est aussi l’occasion d’un tournant radical. C’était une gravure de <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7171/Man-Ray">Man Ray</a>, qui avait retenu son attention dans une galerie bruxelloise : « J’étais fascinée par cette petite chose qui remplissait à elle seule la vitrine, avec un impact si grand. La galeriste m’a reçue, et j’ai été tellement émue par cette dame qui expliquait tout à la jeune personne que j’étais et qui n’y connaissait rien ! » C’est décidé, voilà ce qu’elle veut faire : « Transmettre quelque chose dont on tombe amoureux∙se, qui donne un sens à la vie. » Pour faire ses armes dans le métier, elle entre en stage à la galerie Alexandre Iolas, boulevard Saint-Germain à Paris. « Iolas était d’origine grecque, il voyageait beaucoup et représentait plusieurs artistes étranger∙ère∙s à Paris, en dialogue avec <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8847/Niki-de-Saint-Phalle">Niki de Saint Phalle</a>, Jean-Pierre Raynaud et d’autres artistes français∙es majeur∙e∙s. J’ai trouvé naturel de faire découvrir des artistes inconnu∙e∙s en France et de ne pas me mettre en concurrence avec des galeries parisiennes qui défendaient des artistes nationaux∙ales. »

Elle ouvre sa première galerie, La Dérive, en 1976, avec l’un de ses comparses étudiant∙e∙s en histoire de l’art, Jacques Blazy, spécialiste des arts premiers. « Nous proposions un dialogue entre l’art primitif et l’art contemporain, mais cela n’a pas pris », raconte-t-elle. « Cela a surtout été un flop pour le contemporain. Le public français était peu curieux. » Fin de La Dérive deux ans après son ouverture. Alors elle voyage, elle apprend, avant de se lancer dans un projet autonome : la galerie Chantal Crousel, au 80, rue Quincampoix, en 1980. « Jan Hoet, directeur du Musée municipal pour l’art actuel (S.M.A.K.) de Gand et complice, me présente <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7420/Tony-Cragg">Tony Cragg</a>. Six mois plus tard, Tony installe sa première exposition hors Grande-Bretagne dans ma galerie : une révolution dans le domaine de la sculpture, toutes les œuvres étant composées d’objets ramassés dans les rues de Paris et assemblés la nuit précédant le vernissage. » Iels feront ainsi sept expositions ensemble.

Mais les premières années sont difficiles. En 1981, elle organise la première rétrospective en France d’<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7350/Alighiero-Boetti">Alighiero Boetti</a> : aucune vente. Elle dévoile <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8291/Cindy-Sherman">Cindy Sherman</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7373/Richard-Prince">Richard Prince</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/10047/Jack-Goldstein">Jack Goldstein</a> et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7431/Robert-Longo">Robert Longo</a> au public français : peu d’intérêt. Heureusement, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8967/Richard-Long">Richard Long</a> et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6768/Gilbert-George" target="_blank">Gilbert & George</a> attirent davantage. Et d’éminent∙e∙s collectionneur∙euse∙s belges la soutiennent : Anton Herbert ou Herman Daled sont des piliers pour sa jeune structure. « Mais ce n’était pas suffisant. À cette époque, le conceptuel n’avait pas de place. »
Quelques soutiens fervents en France la rassurent : Pontus Hultén, qui dirigeait alors le Centre Pompidou, Bernard Ceysson, directeur du musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, ou Bernard Blistène, directeur des musées de Marseille, constituent un noyau de fidèles des plus influents. L’écho en France reste timide, « mais à la documenta de Cassel, à la Biennale de Venise, nos artistes étaient reconnu∙e∙s et fêté∙e∙s, cela me convainquait de persévérer ».

Très vite, la galerie participe à Art Basel à Bâle en 1983 : « D’abord au fond, près des escaliers, et puis de plus en plus vers le centre ». Sa situation économique restant fragile, Chantal Crousel doit cependant chercher des alliés. Ce sera Ghislaine Hussenot, d’abord, avec qui elle travaille de 1983 à 1987, puis Ninon Robelin, qui donne une assise à la galerie. Mais avec la crise de la guerre du Golfe, la voilà seule à nouveau. Elle n’en fourmille pas moins d’idées. Pour sa première exposition en solo, elle met en dialogue des œuvres faites de briques : <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8101/Marcel-Broodthaers">Marcel Broodthaers</a>, Tony Cragg, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/20251/Robert-Filliou">Robert Filliou</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6868/Thomas-Sch%C3%BCtte">Thomas Schütte</a> et <a href="Gabriel Orozco">Gabriel Orozco</a>. « La rencontre avec ce dernier a été un autre choc ». Il est présent à la Biennale de Venise et elle l’invite en résidence à Paris pour deux mois pour réaliser une exposition, si inspiration. Installé dans un garage, il produit sa fameuse DS coupée en deux. Le succès est au rendez-vous.
<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7033/Mona-Hatoum">Mona Hatoum</a>, Hassan Khan, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7084/Melik-Ohanian">Mélik Ohanian</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/6776/Anri-Sala">Anri Sala</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7088/Rirkrit-Tiravanija">Rirkrit Tiravanija</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8498/Wade-Guyton*">Wade Guyton</a>,<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7089/Danh-Vo">&nbsp;Danh Vo</a>, puis Tarek Atoui ou <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7643/Pierre-Huyghe">Pierre Huyghe</a>, entre autres, elle les défend et protège depuis avec une fidélité à toute épreuve.

« Nos artistes ne fabriquent pas des produits, chacune de leurs œuvres apporte quelque chose d’unique. J’aime qu’on traverse les frontières, qu’on aide à construire une conscience universelle. Notre galerie n’est pas tournée vers le marché de consommation, mais vers ce désir de préserver un regard d’explorateur∙rice. Tou∙te∙s partagent un même esprit, une même intégrité – c’est vraiment une famille », assure-t-elle.
« Cette idée de communauté est tout aussi importante pour mon fils Niklas, qui dirige désormais la galerie. C’est pourquoi jamais la galerie Chantal Crousel n’a cherché à s’installer ailleurs qu’à Paris. Mon fils et moi – avec notre équipe, qui est notamment présente à Beijing et à Séoul – tenons beaucoup à partager nous-même ce que nous apprenons de nos artistes. Notre présence dans neuf foires dans le monde, ainsi que la présence régulière de nos artistes dans les principales manifestations artistiques internationales permettent la continuité et un dialogue sans cesse élargi. Les artistes apprécient ce cadre, qui leur permet de rester eux∙elles-mêmes, de grandir à leur propre rythme – et de s’inscrire durablement dans l’histoire de l’art », conclut-elle.
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<a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/1098/Galerie-Chantal-Crousel" target="_blank">Galerie Chantal Crousel</a> participera à la prochaine édition de&nbsp;Paris+ par Art Basel, du 20 au 22 octobre 2023.
Emmanuelle Lequeux est une journaliste basée à Paris.
Publié le 28 septembre 2023. 
Légende des images, de haut en bas&nbsp;:&nbsp;Vues de l’installation d’Anri Sala,&nbsp;Galerie Chantal Crousel, Paris, 2023. Photographie de Martin Argyroglo. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel.&nbsp;© Anri Sala/ADAGP, Paris (2023).

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Thomas Hirschhorn

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Anri Sala

Melik Ohanian

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Tony Cragg

Chantal, Eva, Niklas

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From the Flemish countryside to the heart of the Marais, the gallerist looks back at her extraordinary journey

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