Nous sommes à Milan en 1970. Dans les cercles artistiques de la ville, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre : la Galleria Apollinaire accueille une installation tout à fait insolite. Il faut dire que la vision a de quoi marquer les esprits : en poussant la porte du lieu, le·la visiteur·euse se retrouve face à une grande structure entièrement tapissée de fausse fourrure violette.

L’installation cubique est armaturée de métal, ce qui lui permet de se tenir au centre de l’espace. Elle est également percée d’ouvertures ovales qui révèlent l’intérieur au regard et sont zébrées d’orifices dessinés par des fermetures éclair, comme autant d’invitations à une action collective encore mystérieuse. Cette structure pelucheuse, c’est La Chambre en fourrure (ou Fur Room) de Nicola L.

L’artiste française, née Nicola Leuthe au Maroc en 1932 (ou 1937, selon les sources), avait réalisé, l’année précédente, cette installation qui reste comme l’une des plus emblématiques de sa carrière. Au micro du journaliste Jean-Pierre Van Tieghem, elle la décrivait comme « une maison faite de figures vides au sein de laquelle vous pouvez entrer, des enveloppes de corps humains vides que vous pouvez pénétrer ». La particularité de La Chambre en fourrure est en effet d’être activable. Chacun·e est invité·e à pénétrer les murs en ouvrant les zips pour endosser l’un des 14 habits de fourrure violette intégrés aux parois. Ceux-ci, semblables à des combinaisons de protection, pendent mollement. Ce sont des personnages en attente d’être animés, dénués des signes distinctifs qui ont cours dans la société : il·elle·s n’ont ni genre, ni sexe, ni race, ni classe.

La présentation initiale de l’œuvre à Milan eut lieu dans la galerie qui, en 1960, voyait naître le Nouveau Réalisme tel que défini par le critique Pierre Restany et l’artiste Yves Klein. Dix ans plus tard, le premier invente également un nom pour les structures interactives qu’affectionne Nicola L. dès cette époque : les « pénétrables ».

En 1966, l’artiste a gagné New York, aimantée par la liberté créative de la ville. Sur le continent américain, sa terre d’adoption jusqu’à sa mort en 2018, elle découvre le pop art. Elle se met alors à réaliser des œuvres-meubles en bois (La Femme Commode, 1969) ou des canapés-pieds en vinyle (Brown Foot Sofa, 1969). Au contact d’artistes comme Carolee Schneemann ou Claes Oldenburg, son engagement anti-patriarcal se teinte d’une subversion à la fois loufoque et BDSM.

Lorsque l’esprit contestataire de mai 68 déferle, l’œuvre de Nicola L. devient plus explicitement politique. Elle défend la cause d’une action collective, amicale, parfois orgiaque et résolument holistique. Dans le contexte des années hippies, La Chambre en fourrure se lit avant tout dans ce contexte. Aujourd’hui, elle reste une œuvre représentative de l’art activiste des années 1970, à travers laquelle l’artiste déconstruit les normes sociales et politiques par le prisme de l’expérience collective. Un véritable appel à la transformation, à l’unité et à l’expérimentation radicale.

Crédits et légendes

« Nicola L. : Chelsea Girl »
Jusqu’au 18 mai 2025
Frac Bretagne

Ingrid Luquet-Gad est critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Légende de l’image d’en-tête : Vue d’installation de la Chambre en fourrure (1969) dans l’exposition « Nicola L., I am the Last Woman Object » Camden Art Centre, Londres, 2024. Photo : Rob Harris.

Publié le 6 février 2025.