<p>L’artiste gallois, actuellement à l’affiche chez Marian Goodman Gallery à Paris et New York, rend hommage à Frank Stella, Alexander Calder et Marcel Duchamp</p>

Matthieu Jacquet

Les ballets lumineux et poétiques de Cerith Wyn Evans

<p>En&nbsp;collaboration avec&nbsp;<em>Numéro art</em></p><p>Milan, fin octobre 2019. Les visiteur∙euse∙s de la fondation Pirelli découvrent dans l’immense enceinte du HangarBicocca sept colonnes lumineuses s’élevant sur 20 mètres de haut. Composées de tubes fluorescents, ces sculptures impressionnantes évoquent immédiatement l’architecture antique et notamment l’ordre dorique des temples grecs. Mais le spectacle ne s’arrête pas là : dans la pénombre du hangar, les œuvres s’allument et s’éteignent progressivement, à leur rythme, créant un ballet visuel captivant la∙le spectateur∙rice. C’est avec cette installation cathédrale que&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9870/Cerith-Wyn-Evans">Cerith Wyn Evans</a>&nbsp;introduisait alors sa grande exposition personnelle dans l’institution italienne, rappelant d’emblée les enjeux de sa pratique : l’exploration des liens entre la lumière, le son et l’espace pour écrire une poésie multisensorielle.</p><p>Plus de trois ans plus tard, l’artiste gallois présente à nouveau ces colonnes – mais réduites en hauteur cette fois – au sous-sol de la galerie&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1198/Marian-Goodman-Gallery">Marian Goodman</a>&nbsp;à Paris, qui lui consacre jusqu’au 25 février 2023 une exposition personnelle, comme son antenne à New York. À travers les nouveaux travaux qu’il y dévoile, sa pratique s’enrichit de nombreuses références explicites à des artistes qui l’ont marqué, de&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7557/Frank-Stella">Frank Stella</a>&nbsp;à&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7356/Marcel-Duchamp">Marcel Duchamp</a>.</p>

<p>Cerith Wyn Evans dessine avec la lumière depuis maintenant bientôt trente ans. Si le discret Britannique né en 1958 a fait ses armes dans les années 1970 avec des courts-métrages expérimentaux, les néons sont devenus par la suite l’un de ses principaux supports d’expression, et, à ce jour, le plus notoire. Fasciné par les enseignes lumineuses, l’artiste a utilisé au fil de sa carrière le néon pour tracer des lignes abstraites dans le vide de la salle, écrire des phrases poétiques aux airs d’aphorismes ou bien allumer plus littéralement des lustres imposants. Dans la première salle de l’exposition à la galerie Marian Goodman, plusieurs de ses nouveaux assemblages lumineux se répondent. Mais sur ces œuvres entamées en 2021, les néons sont alignés sur une surface plane, formant des tableaux lumineux suspendus en quinconce. Droites, obliques et géométriques, les lignes qui les composent, ainsi superposées, semblent alors vibrer aux yeux du∙de la spectateur∙rice. Le décor est planté : derrière ce cadre d’apparence aride et ce matériau industriel, Cerith Wyn Evans insuffle son âme dans l’abstraction, laissant les dizaines de néons s’animer selon les points de vue et leurs variations d’intensité et de couleurs.</p>

<p>Les visiteur∙euse∙s les plus familier∙ère∙s avec la peinture du 20<sup>e</sup> siècle l’auront sans doute remarqué : les motifs dessinés par ces structures lumineuses citent explicitement les « Black Paintings » de Frank Stella, série de toiles réalisées par l’Américain entre 1958 et 1960. Dans ses œuvres inédites, Cerith Wyn Evans transpose en néons les lignes blanches séparant les bandes noires présentes sur les tableaux de l’artiste expressionniste. La toile opaque de jadis devient désormais une surface ouverte et poreuse à son environnement où, entre les fins cylindres luminescents, la∙le spectateur∙rice est incité∙e à explorer du regard l’espace d’exposition, ainsi que la cour intérieure du bâtiment, visible à travers les hautes fenêtres voûtées. Par cet habile pastiche, l’artiste gallois embrasse l’œuvre d’origine autant qu’il la réadapte.</p><p>On retrouve ce parti pris dans la première salle du sous-sol, où flottent une dizaine de pare-brises fissurés, maintenus par des fils autour des colonnes lumineuses. Ces « mobiles », qui ne sont pas sans rappeler les sculptures du même nom, devenues la signature d’Alexander Calder dès 1932, troquent ici les pièces de métal aux couleurs unies pour ces éléments automobiles en verre feuilleté récupérés dans une décharge en région parisienne. À l’image du <em>Grand Verre</em> de Marcel Duchamp, œuvre inachevée de l’artiste français réalisée entre 1915 et 1923, Cerith Wyn Evans tient à conserver la brisure du fragile matériau. Ainsi détournés, ces nouveaux « ready-made » évoquant des écrans de télévision par leur forme rectangulaire et leur couleur bleutée, rencontrent les canons architecturaux de l’Antiquité, jouant joyeusement des anachronismes.</p>

<p>En bon vidéaste accoutumé à coordonner son et lumière, Cerith Wyn Evans se pose ici en véritable chef d’orchestre de l'éclairage. On pourrait ainsi lire cette exposition comme une partition dans l’espace, où la circulation du∙de la&nbsp;visiteur∙euse&nbsp;minutieusement maîtrisée par l’artiste semble faire écho aux lignes tracées par les œuvres. Les pièces de Cerith Wyn Evans s’apparenteraient ainsi davantage aux installations colorées d’un Jesús-Rafael Soto, invitant à déambuler entre elles, qu’aux néons d’un Dan Flavin, souvent placés immobiles contre un mur.</p><p>Ce sens de la théâtralité se prolonge dans les colonnes les colonnes de LED combinées aux pare-brises mobiles, qui décuplent leur mélodie lumineuse dans leurs reflets propagés à l’infini. La magie de l’artiste va encore plus loin, avec le renversement qu’il opère au fil du parcours : alors qu’au rez-de-chaussée, les lumières des panneaux statiques semblent s’animer à mesure que le visiteur traverse la salle, au sous-sol, ce sont les œuvres elles-mêmes qui s’activent autour du∙de la spectateur∙rice immobile, renversant subitement le centre gravitationnel de l’exposition.</p><p>Comme à son habitude, l’artiste gallois n’hésite pas à semer le trouble en laissant quelques zones d’ombre. Un pin en pot tournant sur lui-même, un gong enveloppé d’une couverture argentée et de chaises transparentes, installation rythmée par la diffusion de compositions jouées au piano. Si l’exposition parisienne s’appelle « no realm of thought&hellip;», son pendant new-yorkais livre une clé de l’énigme en la complétant de son titre «&hellip;no field of vision » : « sans royaume de la pensée, pas de champ de vision. » L’approche phénoménologique de l’artiste est aussi claire qu’assumée. Plutôt qu’enfermer ses œuvres dans un discours, Cerith Wyn Evans les livre, tels des organes autonomes, à la conscience et la perception sensorielle de chacun. Dans l’ici et le maintenant de leur expérience unique. </p>

<p>Cet article fait partie d'une collaboration annuelle avec <em>Numéro art</em>. Retrouvez l'article original&nbsp;<a href="https://www.numero.com/fr/art/cerith-wyn-evans-galerie-marian-goodman-exposition-paris">ici</a>.</p><p>Cerith Wyn Evans est représenté par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1198/Marian-Goodman-Gallery" target="_blank">Marian Goodman Gallery</a> (New York, Londres, Paris),&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1316/White-Cube">White Cube</a> (Londres, Hong Kong, Palm Beach) et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1448/Taka-Ishii-Gallery">Taka Ishii Gallery</a> (Tokyo).</p><p>« no realm of thought...&nbsp;»<br />Jusqu’au 25 février 2023<br />Marian Goodman Gallery, Paris</p><p>«&nbsp;...no field of vision&nbsp;»<br />Jusqu’au 4 mars 2023<br />Marian Goodman&nbsp;Gallery, New York</p><p>Journaliste et critique d’art, Matthieu Jacquet écrit sur l’art et la mode pour <em>Numéro </em>et <em>Numéro art</em>.</p><p>Publié le 7 février 2023.</p><p>Légende des images en pleine page : Vues d’installation de l’exposition de&nbsp;Cerith Wyn Evans&nbsp;« no realm of thought... », Marian Goodman Gallery, Paris, 2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de&nbsp;Marian Goodman Gallery.</p>

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The Welsh artist evokes Frank Stella, Alexander Calder, and Marcel Duchamp in double exhibitions at Marian Goodman Gallery in Paris and New York

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