L’un des points forts du secteur Galeries Émergentes de Paris+ par Art Basel, ses installations immersives fonctionnent comme des portails vers des réalités alternatives

Juliette Desorgues

L’artiste Joey Holder trace les contours d’un nouveau monde

Quelle est l’origine de la vie ? Que nous réserve l’avenir ? L’humanité serait-elle liée à de mystérieuses créatures non humaines ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions soulevées par le travail de l’artiste britannique Joey Holder, basée à Helsinki. Présentée en France à Paris+ par Art Basel, l’œuvre Cryptid
(2023) sera exposée en solo par la galerie londonienne <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/3755/seventeen">Seventeen</a>. Elle s’inscrit dans la continuité de l’intrigante pratique multimédia de l’artiste, à la croisée de l’architecture, de la sculpture, du son et du cinéma.
L’art de Joey Holder repose sur des recherches approfondies dans les domaines de la technologie numérique et de la science. « Enfant, je voulais devenir biologiste marin, mais j’ai décidé d’étudier l’art à la place », me dit-elle via Zoom. « Il m’a semblé que cela me permettrait également d’explorer mon intérêt pour les sciences. » Au Goldsmiths College de Londres, où elle a étudié à la fin des années 2010, son art s’est ancré dans le langage esthétique et conceptuel du Net Art des années 1990, et s’est investi dans le mouvement post-internet de la fin des années 2000 et du début des années 2010, qui reflétait l’impact de l’internet sur la société. « L’idée que l’art puisse muter à travers les réseaux numériques et ne pas être uniquement exposé dans un white cube m’a fascinée », explique-t-elle en faisant référence à ses premières expériences. « Cette possibilité de briser les hiérarchies – le fait qu’une œuvre d’art puisse, en fait, être une image trouvée, par exemple – m’a donné un sentiment de liberté dans ma pratique. »

Dans l’ensemble de son œuvre, Joey Holder démonte les stratifications établies dans la forme ; sur le plan conceptuel, ses installations immersives créent des réalités spéculatives qui remettent en question et sapent les structures occidentales techno-capitalistes. L’artiste considère que ces forces prennent forme dans le domaine de la science, et ses environnements synesthésiques abordent des questions telles la migration des anguilles, la reproduction animale et la biologie synthétique : les poncifs sont révélés et exposés pour former un point de vue plus complexe, plus fluide et plus hybride, qui vide de leur sens les divisions communément admises entre nature et culture. 
Composée d’une série de gravures, de sculptures, de sons et d’une vidéo à six canaux, la nouvelle installation de Joey Holder explore ces idées en se concentrant sur les cryptides du titre de l’œuvre. Définis comme une espèce, les cryptides – le monstre du loch Ness et le Yéti, par exemple – sont des créatures issues de la culture populaire dont l’existence est contestée par la science traditionnelle. Après la première à Paris, l’œuvre sera présentée au X Museum à Pékin et au Two Queens à Leicester, qui s’ajoutent à la liste toujours plus longue des lieux prestigieux où l’artiste a exposé ces dernières années, parmi lesquels le Harvard Museum of Natural History, le festival transmediale et la Biennale de Venise.

En brouillant les frontières entre réalité et fiction, les cryptides permettent d’examiner, comme l’explique Joey Holder, « le projet scientifique occidental qui a cherché à catégoriser, taxinomiser et systématiser le reste du monde ». Elle ajoute que la science n’a toujours pas classé nombre d’animaux et de plantes. « On dit que 86 % des plantes et 91 % des [créatures] marines n’ont encore été ni nommées ni cataloguées. Notre relation aux autres espèces animales, née de la croyance en la suprématie de l’humanité sur la nature, est réévaluée comme étant enracinée dans les mécanismes violents du colonialisme, qui a débuté au 15e siècle, lorsque ces théories ont vu le jour. »
En contrepoint, Joey Holder explore notre inextricable interconnexion avec le monde qui nous entoure : « Je voulais étudier l’idée que ces espèces apparemment étrangères sont en fait très liées à nous ; sans elles, nous ne serions pas là », explique-t-elle. « Elles sont probablement plus proches de nous que jamais. » Pour approfondir cette question, Joey Holder évoque également diverses théories sur les origines de la vie, l’un des fils rouges de son travail. Les réflexions sur la possibilité que l’homme soit né de l’eau – la théorie du singe aquatique, par exemple, suggère que notre premier ancêtre était une créature ressemblant à un amphibien qui parcourait les anciens océans – tandis que la théorie de la cymatique pose la question de savoir si la vie est née d’un son remettent en question la position anthropocentrique occidentale.

En ce sens, les installations complexes de Joey Holder transportent le∙la spectateur∙rice du microscopique au cosmique, où le temps et l’espace s’effondrent dans un processus de remise en question. L’installation sert de passerelle pour échapper au système dans lequel elle est présentée. « Je m’intéresse à l’idée de transcendance et à la création d’un espace total et immersif qui sort le∙la spectateur∙rice du contexte du monde de l’art », explique-t-elle. « La structure au centre de l’installation et les gravures sur le mur fonctionnent comme une sorte de portail. »
Le processus de Joey Holder remet également en question la notion courante de l’artiste en tant que paria dont le « génie » dépasse les limites de la société. « Le point de départ de mon travail est toujours une conversation », dit-elle. « Du stade de la recherche à la production de l’œuvre elle-même, ma pratique s’appuie sur des discussions avec un large éventail d’individus issus de différents domaines, tels des scientifiques et des chercheur∙euse∙s, ainsi que d’autres artistes et concepteur∙rice∙s. »

La collaboration qui sous-tend son travail se manifeste également dans les efforts collectifs qu’elle a déployés ces dernières années. Des projets comme Chaos Magic, un espace d’exposition qu’elle a mis en place à Nottingham en 2017, et SPUR, une plateforme éducative en ligne qui soutient les pratiques numériques, s’articulent autour de la constitution d’une communauté. Cette approche rhizomatique donne lieu à des approches inattendues et évolutives, et définit sa pratique comme cherchant à former de nouveaux mondes, ancrés à la fois dans le réel et le fictif, qui offrent de nouvelles possibilités de sens et de vie.

Joey Holder est représentée par <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/3755/seventeen">Seventeen</a>, à Londres. Cryptid&nbsp;sera exposée dans le secteur Galeries Émergentes à Paris+ par Art Basel.
Juliette Desorgues est commissaire d’exposition et auteure. Elle vit et travaille à Paris.
Publié le 19 septembre 2023.&nbsp;
Légende des vidéos : extraits du trailer de&nbsp;Joey Holder, Cryptid, 2023 (détails). Avec l’aimable autorisation de Seventeen.

title_style_2

À quelques semaines de Paris+ par Art Basel, Théo Casciani dissèque le travail de l’artiste marseillais

Stories

Aurélien Potier, autopsie d’une œuvre

Besoin d’un GPS ? Voici un itinéraire pour explorer ce riche écosystème

À la découverte des galeries de l’Est parisien, du Marais au Bourget

Pour sa co-fondatrice Sandra Terdjman, et la directrice de l’espace parisien Julia Morandeira Arrizabalaga, le rapport entre mécénat et marché gagne à être réinventé

Rencontre avec une fondation atypique : KADIST

L’un des points forts du secteur Galeries Émergentes de Paris+ par Art Basel, ses installations immersives fonctionnent comme des portails vers des réalités alternatives

Artists

BNM - Banner Module

PARAG1+2

image

PARAG3+4

PARAG5+6

PARAG 7+8

Image Module

PARAG9

banner

Credits

H2 - Headline title

Information module

A highlight of Paris+ par Art Basel’s Galeries Émergentes sector, her immersive installations function as portals to alternative realities

Welcome,

Recommandé :