Paris bénéficie d’une véritable renaissance artistique. Malgré un contexte géopolitique marqué par l’incertitude, galeries et artistes s’y installent en nombre, redonnant à la capitale française une place incontournable sur le marché international. La France est aujourd’hui le quatrième marché de l’art dans le monde – et le pays où ont lieu la moitié de toutes les transactions d’art en Europe, comme le rappelle The Art Basel and UBS Art Market Report 2024. Analyse sous forme d’entretien avec Romain Chenais, directeur général de la galerie High Art, Laurence Dreyfus, conseillère en acquisition en œuvres d’art et commissaire d’exposition, et Bettina Wohlfarth, correspondante à Paris pour le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung – et parisienne d’adoption.

Romain Chenais

Le marché de l’art parisien connaît un véritable essor. L’annonce du remplacement de la Fiac par Art Basel a créé un petit séisme. C’est une prise de position stratégique pour Art Basel, largement portée par l’attractivité croissante de Paris. Et cela ne concerne pas seulement les foires : les artistes avaient déjà ouvert la voie, soit en venant pour des résidences, soit pour s’installer à Paris à plus long terme. Cela a contribué à enrichir les discussions et à amorcer beaucoup de dialogues entre les pratiques – et, de fait, à désenclaver un peu Paris. Par ailleurs, pour les collectionneur·euse·s, la ville a aussi de nombreux atouts : une offre culturelle riche, une gastronomie reconnue et une qualité exceptionnelle des œuvres visibles dans les institutions publiques et privées.

L’implantation de nouvelles galeries, notamment d’importants acteur·rice·s internationaux·ales, renforce encore cet attrait de la capitale. Cependant, effervescence artistique et dynamisme du marché ne sont pas forcément corrélés. Quand un marché en pleine expansion se ralentit – comme on l’a vu pendant la pandémie et comme on peut le voir peut-être en ce moment –, on retrouve peut-être plus de temps pour ce qui est le fondamental, le long terme de l’art – une sorte de retour à l’essentiel : la pratique, les idées, les nouvelles façons de voir et de faire. Galeristes et artistes dédient leur vie à une mission particulière : pour les galeristes, c’est faire entendre des voix singulières, leur donner la liberté d’exister et les promouvoir autant que possible. Cela demande du temps et de la passion. Aujourd’hui, plus que jamais, nous cherchons ce qui va nous passionner professionnellement, non seulement dans l’immédiat, mais aussi dans 10 ans.

Laurence Dreyfus

Le Brexit a œuvré en faveur de Paris. On a pu observer un effet vertueux sur l’ensemble des galeries au profit de la France : des enseignes internationales comme David Zwirner ou Hauser & Wirth s’y sont installées, et j’ai l’impression d’un réel transfert de Londres vers Paris. C’est un phénomène urbain, une mutation qui s’est produite sur plusieurs années. À cela s’ajoute la présence de grandes maisons de vente aux enchères, la grande qualité des expositions proposées dans les musées parisiens, des foires d’art prescriptrices, d’excellentes galeries, des fondations privées pilotes comme celles de Pernod Ricard, Lafayette Anticipations, la Bourse de Commerce, la Fondation Louis Vuitton… La perte de vitesse du marché de l’art londonien a simplement révélé à quel point Paris était devenue une place majeure. 

Et ce n’est pas que le marché de l’art qui la rend si attrayante : Paris est une destination à part entière, c’est une destination glamour avec une importante offre de restauration et d’hôtellerie. C’est aussi une ville de créativité et d’audace, et les artistes adorent venir y exposer. Il n’est pas surprenant que la marque Paris, mélangée à la marque Art Basel, soit devenue très vite incontournable. Par ailleurs, j’observe que ces dernières années, l’art et le marché de l’art sont davantage entrés dans le quotidien et le mode de vie des gens. Lorsqu’on regarde 30 ans en arrière, les professionnel·le·s de l’art faisaient un peu figure de pionnier·ère·s. Puis les foires ont grandi et se sont multipliées. Le public a suivi et nous avons tous bénéficié de cet engouement.

Bettina Wohlfarth

Dans les années 2013-2014, Paris ne jouissait pas d’une excellente réputation pour l’art en comparaison à d’autres villes comme New York, Londres, ou Berlin. Le Brexit a été un déclencheur : les galeries internationales implantées à Londres se sont retrouvées dans une grande incertitude, et certaines ont commencé à réfléchir à s’installer ailleurs sur le territoire de l’Union européenne. Plusieurs ont ainsi posé leurs valises dans la capitale française dans les années qui ont suivi. Mais ce n’est pas uniquement pour cette raison que Paris a pris de l’ampleur et est devenue une place centrale pour le marché de l’art européen. En parallèle, le quartier Matignon, non loin du Grand Palais, est devenu un nouveau pôle pour les galeries. Des fondations et des institutions importantes ont ouvert leurs portes. Elles seront suivies, en 2025, par l’inauguration d’un nouveau bâtiment phare pour la Fondation Cartier près du Louvre. Il y a aussi d’autres lieux qui ont ouvert, comme Komunuma à Romainville, qui a commencé en 2019 avec la Fondation Fiminco, et des galeries tel qu’Air de Paris, Jocelyn Wolff et In Situ - Fabienne Leclerc. Il est important de souligner que la capitale française foisonne aussi de musées importants.

C’est grâce à ces évolutions, et à cet environnement devenu très prometteur en quelques années, qu’une foire comme Art Basel s’est intéressée à Paris. Maintenant, c’est la présence même d’Art Basel qui fonctionne comme un aimant supplémentaire pour le marché de l’art à Paris dans son ensemble : artistes, expositions, institutions, professionnel·le·s, collectionneur·euse·s convergent vers la capitale, alors que les maisons de vente aux enchères organisent, elles, leurs plus belles ventes parallèlement à la foire. L’attente est grande : voir Art Basel Paris pour la première fois dans un Grand Palais fraîchement restauré, avec plus d’espace donc plus d’exposants, et un programme hors-les-murs encore plus riche et foisonnant réjouit nombre de professionnel·le·s. À Paris, les possibilités d’organiser des résonnances entre la foire et la ville sont prodigieuses, et des expositions en galerie, dans des musées ou dans tant de lieux divers prolongent ce que l’on peut voir sur les stands de la foire. Je pense par ailleurs qu’un nouvel engouement est apparu pour la ville avec les spectacles d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques cet été. Je suis très optimiste pour l’avenir de Paris en tant que ville pour le marché de l’art en Europe, mais aussi en tant que destination pour l’art contemporain, et plus largement pour les arts de toutes les époques et de tous les genres.

Crédits et Légendes

Art Basel Paris aura lieu au Grand Palais du 18 au 20 octobre 2024. Plus d’informations ici.

Légende pour l’image d’en-tête : Vue du Grand Palais. Photographie de Aliki Christoforou pour Art Basel.

Publié le 11 octobre 2024.