De Sète à Nice en passant par Marseille, un vent de renouveau souffle sur le bassin méditerranéen. Les lieux d’art, toujours plus nombreux, y forment un réseau avec lequel il faut désormais compter. Cap sur le Sud.

Soizic Pineau

Direction Méditerranée

« Il y a 15 ans, tout le monde allait à Berlin. Aujourd’hui, les jeunes artistes s’installent à Marseille », constate Éric Mangion, directeur du centre d’art de la Villa Arson, à Nice. En effet, depuis 2015, 10 000 jeunes de moins de 34 ans déferlent chaque année sur la cité phocéenne – et les artistes ne sont pas en reste. Forte d’un passé industriel, la ville offre de nombreux espaces vacants à des prix encore abordables, et a vu fleurir de nombreux ateliers, artist-run-spaces et autres projets expérimentaux dédiés à la création émergente. Parmi ces lieux, Artagon Marseille, installé depuis 2021 dans l’ancienne usine de pastis Ricard, qui propose des résidences de 18 mois à une cinquantaine de jeunes artistes et porteur∙euse∙s de projets culturels. Couronnée de succès, l’expérience se dédouble dans la banlieue parisienne, à Pantin, à la rentrée 2022.

	Loin de s’arrêter aux portes de Marseille, cette effervescence embrasse tout le pourtour méditerranéen : « On a tout vu changer, ces dernières années. Marseille capitale européenne de la culture comme coup d’envoi, l’ouverture du Mucem, de Luma à Arles, l’arrivée de fondations comme Carmignac à Porquerolles ou CAB à Saint-Paul-de-Vence&hellip; On sent une envie et une appétence », observe Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles, à&nbsp;Hyères, et fondateur du festival international de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères.&nbsp;

Cette ébullition, Jean-Pierre Blanc et Anne Racine, directrice de la Villa Carmignac, ont su la saisir au vol en créant le réseau Plein Sud, en 2020, autour d’une vingtaine de lieux. Iels étaient alors déterminé∙e∙s à aiguiller les vacancier∙ère∙s contraint∙e∙s de passer en France un été marqué par la Covid. Depuis, le réseau a largement dépassé ces premières ambitions et regroupe désormais 75 espaces d’art contemporain sur un territoire s’étendant de Sète à Monaco.

	« La pandémie nous a aidé∙e∙s à comprendre qu’on pouvait développer une carrière d’artiste, de commissaire ou de critique sans être à Paris, tout en jouissant d’une qualité de vie et d’un réseau plus fort et plus soudé », reconnaît Vincent Honoré, directeur des expositions du MO.CO. à Montpellier.

	Due à une complémentarité du public et du privé comme de l’institutionnel et de l'associatif, cette récente décentralisation s'articule autour de différentes identités artistiques et culturelles. Plein Sud regroupe des Frac, des centres d’art et des fondations privées, mais aussi des lieux hybrides, à l’instar de la Cabane Georgina, juchée sur les hauteurs du 8e arrondissement de Marseille. Autrefois cabanon de pêcheur, désormais lieu d’exposition et résidence d’artistes, l’habitation d’une centaine de mètres carrés surplombe la mer et accueille des expositions qui débordent souvent dans le quartier. La Cabane Georgina est cogérée par Dimitri Arcanger et Jérémy Chabaud, président de Jeune Création, une association d’artistes dont la Cabane constitue l’antenne marseillaise.

Mustapha Bouhayati, le CEO de Luma Arles, pointe que « les institutions privées permettent d’aller au-delà des découpages administratifs induits par le public ». Et le sud de la France regorge de fondations, de l’historique Fondation Maeght, inaugurée dans les années 1960 à Saint-Paul-de-Vence et rejointe récemment par la Fondation CAB, à la Fondation Blachère à Apt et la Fondation Villa Datris à L'Isle-sur-la-Sorgue. Le secteur public a aussi beaucoup à offrir : à Marseille, le centre d’art Triangle-Astérides, lieu de résidences artistiques, est reconnu d'intérêt national.


	Victorine Grataloup, récemment nommée à la direction de Triangle, voit une évidente complémentarité entre les nombreuses scènes méditerranéennes françaises : « Il y a un dynamisme commun à plusieurs villes – Marseille, Nice, Montpellier, Nîmes, Sète&hellip; On voit une densité de lieux de formation et des institutions de plus en plus dynamiques. Ces villes attirent un public important. »



	À Nice, le centre d’art de la Villa Arson doit son identité si particulière à sa proximité avec l’école d’art. Celles et ceux qui ont la chance d’étudier dans l’imposant bâtiment à l’architecture brutaliste y sont d’ailleurs exposé∙e∙s une fois leur diplôme en poche. Pour Éric Mangion, « cela crée des relations d’un autre niveau avec les jeunes artistes, humainement et professionnellement ».

En créant le MO.CO. en 2017, la ville de Montpellier a également choisi de jumeler son centre de formation à un centre d’art. Avec sept à huit expositions annuelles et des rencontres hebdomadaires, le MO.CO. regroupe l’Hôtel des collections, la Panacée, pensée comme un véritable laboratoire artistique, et l’École des Beaux-Arts. « C’est très poreux », précise Vincent Honoré. « Les commissaires sont invité∙e∙s à intervenir à l’école, faire du suivi et entrer en conversation avec les étudiant∙e∙s. »

	Ville concentrée et bourgeoise, où le prix du mètre carré favorise moins l’installation de jeunes artistes qu’à Marseille, Montpellier est néanmoins bien présente sur l’échiquier de l’art contemporain. Ajoutons sa proximité avec Sète, qui, loin de ses apparences de station balnéaire, cultive une âme artistique et libertaire cristallisée par le Crac Occitanie. Sa façade en béton froide et minimale cache un espace généreux lui permettant de déployer des projets conséquents, et en particulier des monographies. Depuis quatre ans, sa directrice, Marie Cozette, s’emploie à décloisonner les modalités d’approches de la culture, en abordant notamment des questions de genre ou de classe, tout en mettant aussi régulièrement à l’honneur des artistes sétois∙e∙s – un fourmillement qui attire toujours plus de nouveaux∙elles arrivant∙e∙s, et notamment des artistes qui viennent ou reviennent s’y installer.

Dans cette diversité des scènes, l’accueil se dessine comme une notion essentielle. À Triangle-Astérides, cela se caractérise par une ouverture bien au-delà du local : « On a la chance d’être une structure très connectée à des scènes internationales », explique Victorine Grataloup. « On accompagne 24 résident∙e∙s par an, d’origine locale, nationale et internationale, qui se rencontrent : certain∙e∙s viennent d’Algérie, d’autres du paysage français mais sont d’ascendance chinoise... Ce jeu d’échelle, c’est pour moi ce qu’il y a de plus important : notre rôle est dans la mise en relation du plus lointain au plus proche. »

	Cette notion d’accueil est également chère à Luma Arles, qui reçoit continuellement des artistes, chercheur∙euse∙s et écrivain∙e∙s, et offre jusqu’à 2 000 m2 d’espace d’exposition à ses artistes invité∙e∙s : « Luma est entièrement dédié à la production, et donc à l’expérimentation, qui se joue à tous les niveaux », explique Mustapha Bouhayati, en insistant sur l’angle écologique du projet. Pour lui, Luma est l’outil qui manquait à Arles – connue de longue date à travers ses Rencontres, dédiées à la photographie – pour briller totalement.

L’accueil et la générosité, une signature méditerranéenne ? C’est en tout cas l’avis de Jean-Pierre Blanc : « On découvre une nouvelle génération de collectionneur∙euse∙s amatrice de bons restaurants, de beaux hôtels, de jardins soignés... C’est aussi ça, notre marque de fabrique : l’art de vivre méditerranéen à la française, qui est un plus pour les visiteur∙euse∙s. » Celles et ceux-ci seront séduit∙e∙s par des lieux comme la Commanderie de Peyrassol ou Château La Coste, deux domaines alliant le vin à l’art contemporain.

	À la Villa Carmignac, Anne Racine incarne les exigences du collectionneur Édouard Carmignac et de son fils Charles, « deux personnes qui n’aiment pas tant les limites », souligne-t-elle, comme le prouvent l’architecture de verre et d’eau de la Villa, ses 2 000 m2 de salles d’exposition et son parc de plusieurs hectares. C’est aussi sur des questions d’hospitalité que se démarque ce lieu hors du temps, avec des tarifs préférentiels ou la gratuité pour les plus jeunes. « La tisane à l’entrée, le fait d’être pieds nus et la proximité avec les œuvres permettent une intimité assez rare, et attirent des publics qui ne vont pas forcément dans les musées », ajoute Anne Racine.

La présence du public est bien l’indicateur de ce renouveau méditerranéen, qui dépend autant de personnalités et de puissances financières que de contextes immobiliers. Et quand on lui parle de pérennisation du mouvement, Jean-Pierre Blanc conclut : « Chacun fait un effort et tout le monde est heureux de cohabiter. Je crois que dans la période actuelle, on a besoin de générosité et d’enthousiasme. Sans ça, pour moi, la culture n’existe pas. »

Soizic Pineau est une journaliste indépendante basée à Marseille.<hr />Toutes vidéos et photographies de&nbsp;Baptiste de Ville d'Avray pour Paris+ par Art Basel.

De Sète à Nice en passant par Marseille, un vent de renouveau souffle sur le bassin méditerranéen. Les lieux d’art, toujours plus nombreux, y forment un réseau avec lequel il faut désormais compter. Cap sur le Sud.

Destinations

Banner - view

PARAG1

Banner - Andrea Bowers

PARAG2

Carousel - documenta 14 at EMST

PARAG3

Image Module

PARAG4

Banner - EMST

PARAG5

Carousel - Onassis Foundation

PARAG6

PARAG7

Carousel - Kalfayan, Hot Wheels, Citronne

PARAG8

From Sète to Nice via Marseille, a breath of fresh air is blowing. The ever-increasing number of art venues form a network that is now a force to be reckoned with: Plein Sud