Le public français est rarement ébranlé par la subversion, mais il pourrait être surpris de la voir exposée à The Art Basel Shop. Conçue par Sarah Andelman comme un concept store qui prolonge l’expérience de la foire, la boutique comprend une nouvelle collection conçue par Claire Fontaine, un collectif d’artistes basé à Paris et fondé en 2004 par Fulvia Carnevale et James Thornhill. Se positionnant comme « readymade », Claire Fontaine assigne à ses fondateur·rice·s le rôle d’« assistant·e·s » et utilise la sculpture, l’installation et le texte pour explorer les thèmes de l’aliénation, de la migration et de la paternité de l’œuvre. Pour la boutique, Claire Fontaine a décliné sa célèbre série « Foreigners Everywhere » – qui a également inspiré le titre de la 60e Biennale de Venise – en pièces à porter et accessoires, questionnant les notions d’identité et d’appartenance dans notre monde interconnecté.
Quelles idées ont été à l’origine de cette collection ?
Nous avons réfléchi aux boutiques de souvenirs de musées en tant qu’expériences complémentaires à une exposition, où les traces des œuvres que l’on connaît (sous la forme de cartes postales et d’autres produits dérivés) deviennent économiquement accessibles aux visiteur·euse·s. Certains articles de The Art Basel Shop y font référence comme un paradigme pour cet exercice.
Comment espérez-vous que les visiteur·euse·s accueillent la collection ?
Nous espérons qu’il·elle·s réagiront à son humour et sa subversion. Nous avons essayé de la développer à partir de quelques éléments propres aux articles de base : légèreté, amusement, plaisir rétinien.
Quelles ont été les principales directions pour adapter « Foreigners Everywhere » en objets à collectionner ou à porter ?
Le fait que la 60e Biennale de Venise s’intitule « Foreigners Everywhere » nous a permis de vivre l’expérience inhabituelle d’être consulté·e·s sur la production de produits dérivés. Nous avons constaté à quel point les gens aiment porter ces deux mots – Foreigners Everywhere – sur leur corps ou sur leur tote bag, comme une déclaration ambiguë sur les graves problématiques de notre époque.
Selon vous, quelle influence exerce le contexte particulier de la boutique – un espace où l’art et le commerce se rencontrent – sur la signification de votre travail ?
Ce qui se trouvera dans la boutique n’est pas « notre travail » ; ce sont des produits conçus pour cet exercice spécifique. Ils sont en dialogue avec notre œuvre, ils la citent souvent ou invitent les visiteur·euse·s à la réflexion lorsqu’il·elle·s achètent un cadeau ou un objet pour le plaisir. L’œuvre d’art a un pied dans le monde marchand et l’autre dans le monde spirituel – le produit n’est que terrestre.
Comment envisagez-vous la lecture de ces objets dans le contexte du Paris d’aujourd’hui ?
Probablement comme une spéculation, et cela nous amuse. Pour Claire Fontaine, c’est un exercice qui consiste à tester un autre format pour investir ses idées.
Selon vous, comment l’art peut-il agir comme une forme de sabotage ou de perturbation dans les espaces commerciaux ? En d’autres termes, comment des objets destinés à la vente peuvent-ils fonctionner comme des outils de perturbation ?
Nous avons atteint un stade de notre civilisation où tout a un prix ou tout est en relation avec une valeur économique quelconque. La « perturbation » que nous pouvons espérer est que les gens en soient conscients, sortent un instant de la torpeur que nous nous infligeons pour supporter la nature pénible de notre présent.
Vous avez déjà parlé des limites de l’art politique comme acteur d’un véritable changement, évoquant un sentiment d’« impuissance politique ». Avez-vous l’impression que cette dynamique a évolué ces dernières années ? Comment relevez-vous ces défis dans votre travail actuel ?
Faire de l’art est en soi une action politique qui crée et contribue à un espace de liberté. C’est aussi une pratique de la liberté. Lorsque nous créons et apprécions l’art, nous transfigurons la réalité et rassemblons de l’énergie pour la transformer. Notre travail semble avoir été parfois prophétique, de sorte que des œuvres d’il y a 20 ans – qui étaient probablement considérées comme trop radicales à l’époque – sont aujourd’hui vues comme pertinentes. Notre présent est si terrible et la sensibilité des gens est si exacerbée qu’il est trop difficile de se contenter de peindre un portrait de notre présent (ce que nous faisons habituellement). Il peut aussi être compliqué de continuer à explorer le malaise et l’angoisse. Nous ne nous sentons pas obligé·e·s d’affronter les événements douloureux ; nous poursuivons simplement nos recherches sur notre présent et sur le sens d’être vivant·e à ce moment et dans cet espace, sous le capitalisme, en temps de guerre, à l’ère de la surveillance numérique de masse et de l’IA.
Comment envisagez-vous l’avenir de l’art politique ? Pensez-vous qu’il est de plus en plus difficile de résister à sa marchandisation ou un véritable engagement est-il encore possible ?
La marchandisation n’est pas une menace, car l’espace prétendument non commercial n’est que l’espace non encore commercial ou marginal. Le capitalisme ne peut tolérer un système parallèle : il s’infiltre partout à des degrés divers. Ce qui compte vraiment, c’est la valeur que l’on attribue à certains gestes et à certaines pratiques qui peuvent nous aider à résister à la désocialisation, à l’isolement et à la faiblesse psychologique. Tant que nous sommes capables d’exister les un·e·s pour les autres, de construire des mondes ensemble, nous protégeons l’espoir de faire de l’art et de vivre, malgré l’objectivation du vivant. L’art n’en est pas la condition, il est le résultat de ces pratiques de résistance. Nous devrions nous inquiéter de la banalisation de l’oppression et de la criminalisation de la protestation. La normalisation des actions brutales de la police et la grande tolérance que nos sociétés expriment à l’égard de la guerre sont très dangereuses pour notre avenir en tant que société. Il semble que lorsque nous les regretterons, il sera trop tard.