Lou Fauroux
Exo Exo

Et si le web disparaissait pour toujours ? Enfant de la génération Z bercée par les écrans, férue d’informatique et hackeuse professionnelle, Lou Fauroux a imaginé ce scénario de science-fiction, entre utopie, dystopie et récit d’anticipation. Pour la première participation d’Exo Exo à Art Basel Paris, elle présente sur ce stand un film en 3D en plusieurs épisodes, qui se déroule sur dix écrans verticaux disposés en cercle. Comme dans une série, chaque séquence suit un nouveau personnage affecté par cette crise mondiale qui, pour y remédier, se rend dans un centre de désintoxication d’internet tenu par… la famille Kardashian. Sur les cimaises, la jeune artiste française répond au film avec plusieurs assemblages en bas-reliefs où s’agrègent batteries, puces et autres composantes électroniques, tels les futurs vestiges d’un monde dé-connecté. Des papillons s’invitent alors sur ces compositions, incarnations d’un printemps hypothétique où la nature reprendrait ses droits.

Nuri Koerfer
Lars Friedrich

Dans le monde de Nuri Koerfer, les tables ont des têtes de chien, les bottes des gueules d’alligator et les chaises des dauphins pour accoudoirs. Connue pour fusionner l’animal et le mobilier dans des sculptures déroutantes, l’artiste suisse développe depuis 15 ans sa propre fantaisie aux airs de rêve éveillé, dont la galerie berlinoise Lars Friedrich dévoile à la foire un nouvel échantillon. Ici, on rencontre trois étagères de tailles diverses – jusqu’à 2,30 mètres de haut –, ainsi qu’une assise d’où émergent plusieurs têtes d’âne, un mammifère qui occupe, chez l’artiste, une place toute particulière. Une fois encore, la plasticienne de 43 ans parvient à créer l’illusion en construisant des structures en bois couvertes de papier mâché, qu’elle peint ensuite dans des tons monochromes, puis vernit à la résine époxy pour leur donner un aspect brillant – un effet qui rend encore plus floues les limites entre l’objet et la bête.

Kenji Ide
Kayokoyuki

Depuis une quinzaine d’années, Kenji Ide perfectionne l’art de contenir un monde dans un mouchoir de poche. Avec ses assemblages miniatures en bois et objets trouvés, aux airs de maquettes d’architecture composées de formes géométriques diverses – sphères, croix, tiges verticales – et d’élément plus reconnaissables – pieds, fleurs –, l’artiste japonais a créé son propre vocabulaire énigmatique. Sur le stand de la galerie tokyoïte Kayokoyuki, il dévoile un nouveau rébus en trois dimensions, réparti sur deux socles. En jouant sur les rapports de proportions et de répétition des formes, le sculpteur évoque le jeu de séduction entre deux individus, indiqué par le titre de l’œuvre, Boy Meets Girl, référence au film éponyme de Leos Carax. Qui aurait cru que de petites sculptures abstraites en bois pouvaient dissimuler une romance ?

Steffani Jemison
Madragoa

Séculaire et universel, le rêve de l’envol a donné lieu, au fil des époques, à de nombreuses recherches scientifiques, aboutissant parfois à des inventions révolutionnaires, mais aussi à de nombreux textes et œuvres d’art. Avec un immense cyclorama, ce procédé utilisé au théâtre, consistant à accrocher un rideau en demi-cercle en fond de scène afin de créer un effet d’immensité, la galerie Madragoa et l’artiste Steffani Jemison créent le décor idéal pour laisser libre cours à ce fantasme. Passionnée par l’image et ses potentiels, l’Américaine y intègre des photographies inédites inspirées par le mythe d’Icare, où des corps en contre-plongée semblent léviter devant des gratte-ciels situés au loin. Afin d’accentuer l’effet de mouvement et donner vie à l’image figée, l’artiste utilise ici l’impression lenticulaire, qui permet de donner du relief, et superpose plusieurs prises de vue. Lorsque le∙la spectateur∙rice se déplace, il∙elle croit alors voir ces humains bouger et l’inviter à les suivre dans l’atmosphère.

Xavier Robles de Medina
Catinca Tabacaru

La chanteuse Aaliyah en reine des vampires dans le film La Reine des damnés (2002), le frère de Xavier Robles de Medina déguisé en ninja et l’arbre maléfique de Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney (1937) : dans l’esprit de l’artiste surinamien, ces images appartenant à première vue à des univers radicalement opposés se rejoignent par des connexions implicites liées à sa propre mémoire et se traduisent par trois œuvres sur le stand de Catinca Tabacaru. À l’acrylique sur bois, le trait hyperréaliste de Xavier Robles de Medina parvient à générer une image vibrante, presque onirique. Mû par l’idée de « confronter la culture contemporaine » en la regardant autrement, l’artiste aujourd’hui basé à Berlin puise dans notre inconscient collectif et les images qui le traversent pour parler d’exotisme, d’altérité ou encore d’hégémonie culturelle.

Sophie Thun
Sophie Tappeiner


Chez Sophie Thun, l’atelier d’artiste, lieu communément tenu secret, est devenu un sujet artistique central, au point que la photographe allemande l’invite cette année dans l’enceinte du Grand Palais. Sur des panneaux métalliques, elle a fixé des prises de vue en noir et blanc de son espace de travail. On y reconnaît traceurs, portes, fonds blancs et trépieds, entre lesquels le visage de la trentenaire apparaît furtivement, brisant le quatrième mur invisible qui se dresse entre l’œuvre et le∙la spectateur∙rice. Par ces fragments à échelle 1, toujours accompagnés d’un photogramme plus petit où Sophie Thun a apposé ses mains, l’artiste met en abyme le processus artistique et déborde délibérément du cadre qui, au-delà des limites de l’image, devient celui du stand – une démarche qui n’est pas sans faire écho au travail du photographe Paul Mpagi Sepuya, lui aussi célèbre pour faire de son studio le théâtre de ses clichés et autoportraits.

Bruno Zhu
What Pipeline


Repéré l’an passé à la foire Paris Internationale, où il présentait des boîtes à cadeau en forme de pique, carreau ou cœur, Bruno Zhu démontre une fois de plus son humour décalé en s’emparant du vocabulaire publicitaire pour le mêler à celui, très domestique, du textile et des arts décoratifs – qu’il connaît parfaitement, étant diplômé en design de mode. Il nous interpelle d’un immense « V O I L À ! ? » inscrit au mur, où chaque lettre est formée par une longue manche de chemise coupée dans un tissu différent – rayures bleu et blanc, vichy rose… –, tandis que l’accent est signalé par un fedora, le célèbre chapeau en feutre. L’artiste complète ces manches géantes d’un accessoire : une montre en toile de coton non moins imposante recouverte d’un imprimé papier à musique un rien vieillot, telle la touche finale de cette mise en scène absurde, que la galerie elle-même qualifie de « sexy et ridicule ».

Lungiswa Gqunta
Whatiftheworld

Plantes sauvages, roches et cours d’eau : l’installation de Lungiswa Gqunta invite immédiatement à une respiration, afin de mieux se plonger dans le paysage esquissé au sol et sur les murs. Pourtant, l’artiste sud-africaine en assume l’aspect artificiel. Ici, les pierres sont en argile rouge et porteant les traces des doigts qui les ont modelées, tandis que le bout de ruisseau est à base de fil barbelé bleu électrique, dompté pour dessiner des lignes sinueuses. Symbole d’emprisonnement et d’oppression, ce matériau de prédilection pour la plasticienne lui permet d’évoquer l’histoire coloniale de son pays, l'Afrique du Sud, et notamment les rapports de domination entre les Anglais et les Boers (colons néerlandais). Désireuse d’évoquer les stigmates de la colonisation et les inégalités encore persistantes aujourd'hui, Lungiswa Gqunta présente également des photos en noir et blanc imprimées sur textile de la plante sacrée imphepho, supposée garantir l’immortalité dans la culture zouloue. Des œuvres plus intimistes qui sonnent comme une incitation à dépasser les mécanismes d’asservissement en reconnectant avec la nature et son mysticisme ancestral.

Crédits et légendes

Art Basel Paris aura lieu au Grand Palais du 18 au 20 octobre 2024. Découvrez les galeries du secteur Emergence ici.

Le groupe Galeries Lafayette est le Partenaire officiel du secteur Emergence.

Matthieu Jacquet est un journaliste basé à Paris.

Légende de l’image d’en-tête : Xavier Robles de Medina, Aaliyah, Queen of the Damned. Réalisé par Michael Rymer, Warner Bros. Pictures, 2023-2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Catinca Tabacaru.

Publié le 3 octobre 2024.