Comment une petite ville de Camargue est-elle devenue l’un des centres culturels les plus dynamiques du Sud de la France ?

Soizic Pineau

Arles : ville laboratoire et espace de liberté

Arles a toujours été un peu à part. C’est un savant mélange de murs chargés d’histoire, de campagne marécageuse, de folklore insolite, qui accueille depuis plus d’un demi-siècle une proposition culturelle pointue. Dès le milieu des années 1960, les Rencontres la photographie y rythment les étés, et la maison d’édition Actes Sud y prend ses quartiers en 1983, rejointe par les prémices de la fondation Van Gogh en 1983.

Et depuis quelques années, la ville a vu arriver une myriade de fondations, galeries, et événements, venus étoffer une offre artistique étonnament riche pour une ville de 55.000 habitant∙e∙s. &nbsp;En 2013, la collectionneuse suisse Maja Hoffmann lance LUMA Arles au Parc des Ateliers, un site de 11 hectares qui englobe sept anciennes usines ferroviaires rénovées. Le campus créatif interdisciplinaire se dévéloppe ultérieurement de manière spectaculaire avec l'ouverture au public en 2021 de la tour LUMA, imaginée par l'architecte Frank Gehry, puis au printemps 2022 de <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/7226/Lee-Ufan" target="_blank">Lee Ufan</a> Arles. Cet été c’est un pop-up de la Fondation Thalie qui sera inauguré. Alors qu’est-ce qui rend cette petite commune provençale si attractive, et que viennent y chercher celles et ceux qui s’y installent ?

Pour Christoph Wiesner, à la direction des Rencontres de la photographie depuis 2021, LUMA fut un catalyseur : « Cette initiative en a appelé d'autres, ça a dynamisé les choses ». Du haut de ses 56 mètres, la tour de LUMA offre une vue imprenable sur Arles : la vieille ville, ses arènes et ses vestiges classés au patrimoine mondial de l’Unesco, mais aussi le Rhône qui serpente au loin et les Alpilles qui bordent l’horizon. Depuis ce point de vue on comprend mieux que la commune d’Arles ne se résume pas aux quelques rues sinueuses de son centre-ville. Un territoire sur lequel LUMA Arles s’établit : en plus de proposer une programmation ambitieuse, l’institution assume un angle environnemental fort, via la recherche et la création.

« Le choix d’Arles s’est fait naturellement, je suis du Sud et c’est une ville que je connais bien. C’est là que j’ai eu ma première expérience professionnelle, aux Rencontres de la photographie, » se remémore le galeriste Guillaume <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/2775/Sultana" target="_blank">Sultana</a>. &nbsp;« C’était au début des années 2000 et ça n’avait rien à voir à l’époque ». En 2021, Sultana Summer Camp s’ouvre dans son appartement arlésien, extension estivale de sa galerie parisienne. D’abord pensé comme « un lieu de repos pour les artistes de la galerie », l’espace accueille maintenant du public de façon ponctuelle. « C’est intéressant d’avoir un white cube à Paris et de développer un autre modèle ailleurs. Quelque chose de convivial et d’intime, les discussions que cela amène sont différentes. » Cet espace atypique s’accorde bien aux travaux de Nanténé Traoré, <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/26101/Jesse-Darling" target="_blank">Jesse Darling</a> ou encore Donna Gottschalk et <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/8494/Dorothy-Iannone" target="_blank">Dorothy Iannone</a> qui y seront présentés cet été dans une exposition collective, pensée avec les galeries <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/1325/Air-de-Paris" target="_blank">Air de Paris</a> et <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/1606/Marcelle-Alix" target="_blank">Marcelle Alix</a>.

« Ça permet de faire des choses particulières, avec un autre angle et une certaine souplesse » témoigne Philippe Joppin, fondateur de la galerie <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/2244/High-Art" target="_blank">High Art</a>, qui ouvre son antenne arlésienne fin 2020, dans une chapelle désacralisée. Un choix créatif, mais aussi stratégique, pour celui qui souhaite « éviter la saisonnalité et s'inscrire à l’année dans la ville » : à quatre heures de train de Paris, à mi-chemin entre Marseille et Montpellier, voisine de Nîmes et d’Avignon, Arles s’ancre dans un Sud riche de propositions artistiques. Philippe Joppin explique également vouloir « amener localement un esprit international » : chaque printemps, la chapelle reçoit une exposition pensée avec une galerie étrangère – &nbsp;jusque début juillet, c’est <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/gallery/29309/Nonaka-Hill" target="_blank">Nonaka-Hill</a> (Los-Angeles) qui est mise à l’honneur, avec des huiles des peintres japonais∙e∙ s <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/53130/Zenzaburo-Kojima" target="_blank">Zenzaburo Kojima</a>, Daisuke Fukunaga, Ulala Imai et <a href="https://parisplus.artbasel.com/catalog/artist/23284/Hiroshi-Sugito" target="_blank">Hiroshi Sugito</a>.

Installée depuis 2008 dans d’anciens bâtiments de la Banque de France, la fondation Van Gogh draine elle aussi un esprit international, sous la direction artistique audacieuse de Bice Curiger. L’exposition « Action Geste Peinture » inaugurée début juin met à l’honneur les femmes dans l’abstraction, « un projet initié par la Whitechapel Gallery, qui a souhaité rééquilibrer une histoire de regard et de réception de ce mouvement principalement considéré comme masculin et américain » explique la commissaire Julia Marchand.

L’ouverture fait décidemment partie de l’ADN de Arles, historiquement ville de passage et d’accueil. L’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie reçoit régulièrement des étudiant∙e∙s étranger∙ère∙s, les artistes de passage croisent celles et ceux qui viennent en résidence. On pense aussi à la galerie Vague, lieu discret mais pointu, antenne du studio de design Teruhiro Yanagihara, basé à Kobé au Japon. Lee Ufan Arles illustre également cette résonance internationale. L’espace, jusqu’alors dédié à l’œuvre de l’artiste sud-coréen, héberge à partir de juillet sa première exposition temporaire. Conçue par Philippe Dagen, &nbsp;« Figures seules » réunit les œuvres de cinq artistes travaillant en France, Brigitte Aubignac, Ymane Chabi-Gara, Marc Desgrandchamps, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7186/Tim-Eitel" target="_blank">Tim Eitel</a> et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9070/Djamel-Tatah" target="_blank">Djamel Tatah</a>, autour du thème de la figure humaine, étoffant ainsi encore plus les propositions artistiques arlésiennes.
« Ça ne s'est pas fait en quelques secondes. Les initiatives qui ont été créées sont vraiment fortes, elles se sont construites sur la durée » rappelle Christoph Wiesner. La programmation de la 54e édition de la manifestation incarne ce glissement vers l’art contemporain, avec la présence d’artistes comme la polonaise Zofia Kulik ou la brésilienne <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7626/Ros%C3%A2ngela-Renn%C3%B3" target="_blank">Rosângela Rennó</a>, dont les travaux relèvent d’une pratique contemporaine de l’image.

En Arles, l’art se déploie aussi dans l’intimité des appartements – à l’image de Sultana Summer Camp. C’est le cas chez Margaux Bonopera, qui invite des artistes à s’installer dans sa chambre d’ami∙e∙s, ou bien chez la peintre américaine <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/11701/Laura-Owens" target="_blank">Laura Owens</a> qui pilote Studio of the South depuis 2020, en partenariat avec LUMA – une résidence pour laquelle les artistes (<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/17809/Parker-Ito" target="_blank">Parker Ito</a>, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/39705/Jad%C3%A9-Fadojutimi" target="_blank">Jadé Fadojutimi</a>…) sont convié∙e∙s à produire une pièce in situ, principalement dans la maison qui les accueille.&nbsp;C’est aussi le cas chez Julia Marchand, qui dirige la plateforme d’exposition Extramentale, en parallèle de son activité à la fondation Van Gogh. Par le prisme de l’adolescence, elle y explore la création contemporaine et émergente, et c’est de son appartement qu’elle présentait récemment les dessins bruts et inédits de Sophie Crumb.

Il semblerait donc qu’au-delà des têtes d’affiche, Arles permette à des projets plus alternatifs de voir le jour, témoignant de la bonne santé de son tissu artistique, à l’image de l’Atelier du Palais, lieu géré par des artistes et dédié à la risographie, une technique d’impression par couches à travers l’utilisation d’un stencil, et à la micro-édition.
Dans cette multiplicité des propositions, y a-t-il de vrais échanges entre les différent∙e∙s acteur∙rice∙s ? « Il faut voir les choses en termes de complémentarité, des croisements s'opèrent » considère Christophe Wiesner. « Cette année dans le cadre de leur programmation, certaines expositions de LUMA sont très fortement liées à l'image. » On peut citer l’imposante monographie de <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9029/Diane-Arbus" target="_blank">Diane Arbus</a> présentée par la fondation cet été, regroupant plus de 450 tirages de la photographe américaine. Le dialogue dépasse néanmoins le cadre du médium, avec parfois des croisements thématiques : les Rencontres proposent par exemple des photographies des débuts d’<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/10415/Agn%C3%A8s-Varda" target="_blank">Agnès Varda</a> ainsi que son premier long métrage, quand LUMA présente les interviews que Hans Ulrich Obrist, conseiller de la fondation, a réalisé avec la cinéaste.

Pour Julia Marchand, ce sont aussi des propositions comme le récent Festival du Dessin au mois d’avril qui créent du lien, offrant un parcours entre différentes institutions de la ville, ou Octobre Numérique, qui fêtera sa troisième édition à l’automne, faisant fi du focus estival encore trop souvent de rigueur dans la région. « Il y a quelque chose de magique dans cette ville », lance Julia Marchand. Arles serait une ville laboratoire, un espace de liberté ? « C'est une des caractéristiques qu'on pourrait donner à Arles » conclut Christoph Wiesner, « sa capacité à se métamorphoser, à se réinventer tout le temps ».

Les Rencontres de la photographie Arles, Francer Du 3 juillet au 24 septembre 2023
Soizic Pineau est une journaliste indépendante basée à Marseille. 
Toutes les photos et vidéos par Baptiste de Ville d’Avray pour Art Basel. Légende des images en pleine page, de haut en bas :&nbsp;1. Camargue. 2.&nbsp;ENSP Arles - École nationale supérieure de la photographie. 3. Camargue.&nbsp;4. Fondation Van Gogh, Arles. 5. Détail à l’atelier du palais, Arles. 6. Arles. 
Publié le 30 juin 2023.

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