« Tout a commencé un peu par hasard, il y une dizaine d’années. Mon conjoint d’alors, collectionneur d’art et de design, m’a emmenée au Grand Palais visiter la FIAC. Je n’étais pas encore initiée au milieu de l’art contemporain et je n’en connaissais pas les codes. Je viens du monde de la joaillerie, un univers très feutré, qui peut lui aussi impressionner. Pourtant, entrer dans une galerie peut l’être davantage... Ce jour-là, j’ai eu mon premier coup de cœur en découvrant un caisson lumineux de Mohamed Bourouissa présenté par la galerie Mennour. C’est grâce à la directrice de la galerie, Jessy Mansuy, qui m’a informée et accompagnée, que j’ai pu me lancer et réaliser ma première acquisition. Depuis, elle m’aide à constituer ma collection, qu’il s’agisse d’artistes de la galerie ou pas, et à lui donner une cohérence. »

« J’achète systématiquement auprès des galeries. Je peux acheter du design dans des ventes aux enchères, mais pas de l’art. J’ai besoin de voir et de faire l’expérience des œuvres qui entrent dans ma collection. L’art va à l’infini, et il existe un nombre d’artistes, mort∙e∙s et vivant∙e∙s, quasi illimité... Il est difficile de faire des choix, on ne sait pas forcément quoi acheter ni à quel prix, et personne n’a envie de se tromper. Je pense qu’il faut se faire accompagner. Je constate que mon œil s’est formé et que mon goût a évolué. Au départ, je ne m’intéressais pas au figuratif, je me dirigeais plus vers des œuvres assez abstraites et minimalistes. J’étais attirée par des pièces épurées et radicales. Depuis, j’ai visité énormément d’expositions, de foires, d’ateliers, je me suis beaucoup documentée, et j’ai aussi développé des relations avec d’autres galeries. Ces derniers temps, j’ai pris conscience d’être parfois séduite par des œuvres plus colorées et plus douces, que je n’aurais certainement pas regardées auparavant. C’est ainsi que j’ai récemment acquis une œuvre d’Ugo Rondinone. »

« J’aime beaucoup le travail de Lee Ufan, de François Morellet, et j’ai récemment acheté une toile de Jean Degottex. Je m’intéresse aussi beaucoup à la photographie. Je suis une inconditionnelle de Wolfgang Tillmans, et je continue de suivre Mohamed Bourouissa. Je suis d’ailleurs très attirée aujourd’hui par une jeune génération d’artistes originaires d’Afrique du Nord, en particulier d’Algérie et du Maroc. J’ai ainsi acquis une œuvre de Latifa Echakhch, et je rêve de pouvoir faire de même avec Hicham Berrada et Dhewadi Hadjab. Ma collection comprend aussi des sculptures de Camille Henrot et d’Alicja Kwade. Je m’intéresse également au mobilier, et j’ai récemment acheté des œuvres en céramique de Yūji Ueda, d’Otani Workshop et de Takuro Kuwata. »

« Mon histoire familiale m’a permis de développer encore davantage ma relation à l’art. Avec mon père, un Cambodgien amoureux de la France, où il est arrivé à l’âge de 15 ans, et qui vit à Hong Kong depuis presque 30 ans, et ma sœur Mélanie, nous gérons le groupe que nous avons créé, Æra Nova. Celui-ci réunit notamment Holidermie, la marque de cosmétiques créée par ma sœur Mélanie, ainsi que les parfums D’Orsay et la ligne de joaillerie Statement, que j’ai moi-même lancés. Nous collaborons régulièrement avec des artistes. Pour Statement, j’ai par exemple travaillé avec Tiffany Bouelle, une jeune franco-japonaise. Ces projets me permettent d’introduire le travail de jeunes artistes auprès d’autres publics. »

« En 2013, nous avons acquis le château Toulouse-Lautrec Malromé, près de Bordeaux, qui n’est autre que la dernière demeure familiale de Henri de Toulouse-Lautrec. Il appartenait à sa mère, Adèle. Avec ma sœur, nous avons alors entrepris de rassembler des œuvres du peintre dans le but de former un ensemble intime, essentiellement lié à sa vie familiale. Nous sommes parvenues à réunir des croquis, des carnets de dessins, des photographies et des lithographies réalisées du vivant de l’artiste. Nous y avons également présenté des expositions de Daidō Moriyama, Tadashi Kawamata, Prune Nourry ou encore Jeremy Demester. »

« La grande majorité des gens sont sensibles à la beauté, et ce qui est extraordinaire est que nous avons tous notre propre définition du beau. Je collectionne pour m’entourer d’œuvres d’art, avec lesquelles je vis et je travaille. Je trouve extraordinaire de pouvoir posséder une fraction, même infime, de l’œuvre d’un ou d’une artiste. Les œuvres de ma collection m’accompagnent au quotidien. Ma collection est modeste, dans le sens où je ne possède pas d’œuvres monumentales, mais venant du monde de la joaillerie, je pense avoir une appréciation toute particulière du fait de posséder une chose de “petite taille”, mais d’une valeur inestimable, car c’est la définition même… d’un diamant ! »

Credits and Captions

Florence Derieux est une historienne de l’art et commissaire d’exposition.

Publié le 06 mai 2024. 

Photographies de Bettina Pittaluga pour Art Basel.