Inspiré par Superman, Kandors Full Set démontre la complexité de l’œuvre de l’emblématique artiste américain,&nbsp;mis à l’honneur à la Bourse de Commerce à Paris

Jean-Marie Gallais

Mike Kelley au-delà du punk

J’ai toujours eu un faible pour les œuvres qui en appellent à la gourmandise. Le plus souvent, c’est la peinture qui offre les plaisirs d’une cuisine alléchante. Lorsque j’ai découvert les sculptures de la série Kandor
de <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/11101/Mike-Kelley" target="_blank">Mike Kelley</a>&nbsp;pour la première fois en 2009, à la collection Pinault à Venise et à la Galerie Hussenot à Paris, je me souviens avoir été troublé : elles étaient à la fois très attrayantes et froides, comme des bonbons dont il faudrait se méfier. Étais-je influencé par les grandes cloches de verre, qui m’évoquaient une vitrine de confiserie ou une échoppe à souvenirs d’un parc d’attraction, où les plus belles sucreries démesurées auraient été fatalement inaccessibles ?

Il aura fallu plusieurs années à l’artiste américain pour élaborer la recette, trouver les matières, les textures, la bonne transparence et les bonnes couleurs pour atteindre cet effet. Tout commence en 1999 : Mike Kelley entame l’un de ses cycles les plus ambitieux, lié à Kandor, la ville mythique de Superman sur la planète Krypton, d’après la bande-dessinée créée dans les années 1930. Les premiers projets de Kelley étaient à la fois virtuels et réels : il désirait concevoir une œuvre collective avec les milliers de fans de la communauté Superman qu’Internet, alors balbutiant, aurait permis de réunir. L’idée va évoluer peu à peu et donner lieu à plusieurs œuvres et séries, culminant dans un spectaculaire ensemble de maquettes de villes en résine colorée et couvertes de leurs cloches de verre, le Kandors Full Set (2005-2009), aujourd’hui conservé à la Bourse de Commerce – Pinault Collection.

Ce qui intéresse Kelley, c’est l’apparence de cette ville, tellement secondaire dans le récit des aventures de Superman que les dessinateurs ne se soucient pas d’en figer ou codifier l’apparence. Ainsi, elle change d’aspect d’un épisode à un autre. La seule constante est une esthétique futuriste, celle d’un urbanisme de science-fiction imaginé au milieu du 20e siècle par des dessinateurs souvent imprégnés d’art déco. « Kandor est la représentation d’un temps qui n’a jamais existé – la ville utopique d’un futur qui n’est jamais advenu », écrit l’artiste dans le texte associé à la vidéo Superman Recites Selections from ‘The Bell Jar’ and Other Works by Sylvia Plath (1999). 
Fasciné par les mécaniques de la mémoire et friand de métaphores, Kelley voit dans ce changement d’apparence de la ville le signe d’une mémoire vacillante. C’est la mélancolie du super-héros et les dessous du mythe qui se dévoilent. En effet, Superman, qui a été amené sur Terre par son père alors qu’il n’était qu’un bébé, ne peut pas retourner sur sa planète, celle-ci ayant été anéantie. Le seul souvenir qu’il reste de son passé est une cloche de verre dans laquelle est conservée la ville, miniaturisée par le méchant Brainiac. Cet objet lui rappelle son inexorable déracinement.

D’ailleurs, dans la vidéo mentionnée plus haut, c’est avec les mots particulièrement percutants de l’écrivaine américaine Sylvia Plath, icône féministe a priori totalement aux antipodes de la figure masculine du superhéros, qu’un Superman méditatif parle d’aliénation. Mémoire, disparition, mélancolie, culture populaire, imaginaire collectif : tout était réuni pour faire des Kandors l’une des grandes œuvres de l’artiste.
Du point de vue formel, l’ambition est tout aussi exceptionnelle : Kelley voulait que les Kandors soient « comme des peintures de Matisse en trois dimensions, qui auraient pris des tonalités de science-fiction » précise encore l’artiste dans le catalogue d’exposition ‘Kandors’ in Mike Kelley [Rafel Jablonka, Hirmer Verlag (2010)]. Il va multiplier les prouesses techniques pour réaliser ces vingt-et-une villes miniatures en résine teintée, dont on ne sait si elles tiennent plus de la glace, de la roche ou du cristal, et leurs cloches en verre moulé et coloré, posées sur des socles rétroéclairés : l’élaboration du set demandera cinq années de travail. Ce perfectionnisme crée l’émerveillement. Il rend l’œuvre alléchante, mais glaciale à la fois par le sentiment de néant qui en émane, les villes semblant débranchées de leurs cloches protectrices.

Lorsqu’en 2009 j’ai découvert ces œuvres, cela m’a semblé si loin du Mike Kelley dont on m’avait appris qu’il était punk et trash. Voilà l’une des motivations derrière cette nouvelle rétrospective présentée à la Bourse de Commerce – Pinault Collection : exposer l’étendue, la stupéfiante cohérence et la complexité de l’œuvre de l’un des artistes qui a grandement participé à la définition ce que nous regardons aujourd’hui comme de l’art contemporain.<hr>
Jean-Marie Gallais est conservateur auprès de la Collection Pinault.
Mike Kelley « Ghost and Spirit » Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris Du 13 octobre 2023 au 19 février 2024



L’exposition est organisée par la Tate Modern (Londres), en collaboration avec Pinault Collection, K21 — Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen (Düsseldorf) et le Moderna Museet (Stockholm).
Légende de toutes les images, excepté le portrait : Mike Kelley, Kandors Full Set (détails), 2005-2009.&nbsp;Photographie de Fredrik Nilsen. Pinault Collection.&nbsp;© Mike Kelley Foundation for the Arts. Tous droits réservés. © Adagp, Paris, 2023.
Publié le 10 octobre 2023.

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Inspiré par Superman, Kandors Full Set démontre la complexité de l’œuvre de l’emblématique artiste américain, mis à l’honneur à la Bourse de Commerce à Paris

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Inspired by Superman, Kandors Full Set demonstrates the complexity of the late LA-based artist, featured at the Bourse de Commerce in Paris

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