Pour sa co-fondatrice Sandra Terdjman, et la directrice de l'espace parisien Julia Morandeira Arrizabalaga, le rapport entre mécénat et marché gagne à être réinventé

Propos recueillis par Ingrid Luquet-Gad

Rencontre avec une fondation atypique : KADIST

Sandra Terdjman&nbsp;: KADIST est une organisation créée il y a plus de 20 ans. Dès le départ, sa mission a été de mettre en avant le rôle des artistes au sein des débats de société et de soutenir la compréhension du monde qu’iels apportent. La collection en était le premier pilier, car nous avons commencé à acquérir des œuvres avant de développer le programme d’expositions. La collection est une œuvre collective constituée par des sous-comités régionaux : 27 conseiller·ère·s basé·e·s dans différentes régions du monde, qui apportent une connaissance locale. Ces points de vue diversifiés, décentralisés et multiculturels font l’identité et la spécificité de KADIST. Cette manière de fonctionner est relativement unique. En termes de chiffres, la collection est constituée d’œuvres de 1 200 artistes de 115 nationalités différentes. Ce n’est donc pas seulement un ensemble de pièces, mais un réseau transnational de relations.
KADIST possède deux lieux : l’un à San Francisco, et l’autre, depuis 2006, à Paris. Ils sont chacun des espaces d’exposition et de résidence. Nous avons également des bureaux installés à Mexico et à Pékin. Lorsqu’un·e artiste entre dans la collection, nous prolongeons notre dialogue à travers le programme et les résidences. À Paris par exemple, nous avons acheté les œuvres d’artistes dont nous avons ensuite réalisé les premières résidences ou expositions personnelles en France : <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7089/Danh-Vo" target="_blank">Danh Vo</a> en 2009, ou <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7962/Wilfredo-Prieto" target="_blank">Wilfredo Prieto</a> en 2006. Un peu plus tard, il en a été de même pour Daniela Ortiz ou <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/36742/Martine-Syms" target="_blank">Martine Syms</a>. Dès le début, en 2008-2009, nous avons également accompagné des commissaires en résidence : Cosmin Costinas ou Sofía Hernández Chong Cuy, qui ont dirigé ou dirigent des institutions (respectivement Para Site, Hong Kong et Kunstinstituut Melly, Rotterdam), ont fait leur première exposition en France dans ce cadre. Julia Morandeira Arrizabalaga, qui dirige aujourd'hui notre espace à Paris, était, elle aussi, l’un∙e de nos résident∙e∙s en 2014-2015.

Julia Morandeira Arrizabalaga : Lors de ma résidence, j‘avais développé le premier projet d’une longue recherche curatoriale, qui a contribué à définir la manière dont je conçois le commissariat. Cet accompagnement dans le temps long est, à mon sens, unique. 
Sandra Terdjman : Lorsque nous avons ouvert l’espace parisien en 2006, la proposition était très atypique à l’échelle du paysage français. Dès le début, nous nous sommes orientés vers l’échange international, par les résidences et une programmation souvent en anglais. Ce côté inattendu venait également de la situation géographique : Montmartre, où se situe KADIST Paris, n’était pas l’épicentre de l’art, alors plutôt situé dans le 13e
arrondissement avec la rue Louise Weiss ou bien dans le Marais. 
La nouvelle série de collaborations « Collection Nomade KADIST », initiée en juillet 2023, est une réflexion sur le devenir d’une institution en réseau comme la nôtre et de sa collection. Celle-ci comporte 2200 pièces et s’agrandit d’à peu près 100 pièces par an. Comment alors continuer à la renouveler sur la durée, tout en conservant sa pertinence et son accessibilité ? L’idée principale est de proposer des prêts à long terme à des musées et institutions internationaux, qui s’en emparent pour réaliser une programmation de trois à cinq ans. La première de ces collaborations vient d’être enclenchée avec le Centre Pompidou, autour de la thématique « création et intelligence artificielle » qui sera explorée durant les trois années à venir. La collection nomade est l’occasion de prêts, de commandes ou de co-productions, et enfin de dons, afin de multiplier les manières de travailler entre public et privé.

Julia Morandeira Arrizabalaga : Le premier événement au Centre Pompidou, « L’avenir n’est plus ce qu’il était – Textes et images, nouvelle génération », le 13 juillet, était un séminaire qui posait le cadre, les enjeux et les urgences de ce sujet tout en ouvrant un espace de discussion. L’intelligence artificielle, tout autant que les technologies avancées en général, sont en train de bouleverser les paradigmes de la création et de l’altérité. En 2024, l’intervention aura lieu dans les salles du Centre Pompidou, puis en 2025, lorsque le Centre sera fermé pour travaux, depuis l’espace public. 
Sandra Terdjman : Pour découvrir des artistes à Paris, nous sommes très proches de la Cité internationale des arts, à la fois géographiquement et par nos affinités artistiques. Nous nous y rendons fréquemment pour des visites d’atelier et nous mettons en lien les artistes que nous recevons avec leur équipe. Nous visitons régulièrement les tiers-lieux, notamment POUSH à Aubervilliers, qui est aussi un lieu d’ateliers d’artistes. Ensuite, nous travaillons évidemment beaucoup avec les galeries, hors et pendant les foires.

Julia Morandeira Arrizabalaga : C’est par exemple à la Cité internationale des arts que nous avons découvert le travail de Michelle & Noel Keserwany. Nous nous sommes engagés à co-produire leur premier moyen-métrage avec la 16e Biennale d’art contemporain de Lyon, Les Chenilles [2022], puis nous avons trouvé nécessaire de leur ouvrir notre espace en organisant des rencontres en résonance avec d’autres artistes. 
Dans l’engagement à soutenir les processus de création et recherche des artistes, nous recevons beaucoup plus de demandes de production pour des pièces qu’il y a 10 ans. Début octobre, nous inaugurerons une exposition qui découle également d’une collaboration, cette fois-ci avec la Sharjah Art Foundation, entamée avec la co-production de la vidéo de <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/34738/Farah-Al-Qasimi" target="_blank">Farah Al Qasimi</a> Um Al Dhabaab (Mother of Fog) (2023) pour la 15e
Biennale de Sharjah. 
Sandra Terdjman : Concernant la place du marché, je constate toujours une grande division. La marchandisation de certaines œuvres s’effectue toujours aussi rapidement, les prix augmentent et l’importance actuelle de la peinture contribue à apporter quelque chose d’un peu plus conservateur dans la manière dont les collectionneur·euse·s s’engagent. Cette direction du marché de l’art est antithétique avec la nécessité actuelle qu’ont les artistes d’aller vers un travail beaucoup plus engagé, collectif, social, qui dépasse l’objet. Certain·e·s collectionneur·euse·s s’engagent à leur tour dans ce sens, et je dirais que deux voies se dessinent aussi pour les collectionneur·euse·s : le marché et le mécénat. De notre côté, nous devons parvenir à les réunir.

Julia Morandeira Arrizabalaga : Parmi les artistes auxquel·le·s nous avons été récemment sensibles, je pense à Abdessamad El Montassir, présenté à Bétonsalon – centre d’art et de recherche au début de l’été, ou à Kameelah Janan Rasheed, une artiste et éditrice basée à Brooklyn, qui vient d’intégrer la collection. Je pourrais également citer Holly Herndon & Mat Dryhurst, dont la vidéo I'M HERE 17.12.2022 5:44 (2023) explore des modes de partage d'expériences intimes de manière respectueuse à l’aide des technologies avancées, et qui a été montrée au symposium inaugural au Centre Pompidou. 
Sandra Terdjman : Lors de ce symposium, nous avons également présenté le travail de Juan Obando, artiste mexicain qui a réalisé la vidéo They/Them (2023) sur l’intelligence artificielle et les deep fakes. Cette année, j'ai également rencontré à Cotonou le travail de l'artiste béninois Ishola Akpo grâce à la Fondation Zinsou. Je repense aussi à l’installation sonore si émouvante Hum II
(2023) qui rassemble les voix de femmes au travers des révoltes et luttes du monde entier faite par <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/9180/Hajra-Waheed" target="_blank">Hajra Waheed</a> pour la Biennale de Sharjah, ou encore aux peintures de Pamela Phatsimo Sunstrum, découvertes au même moment. Je pense aussi à l’artiste Ashfika Rahman qui a fait une très belle installation pour le Dhaka Art Summit. Enfin, nous avons récemment montré le travail de l’artiste tunisien Younès Ben Slimane, qui a fait l'école Le Fresnoy mais qui nous a été présenté par la commissaire Camille Lévy Sarfati pendant sa résidence à KADIST Paris. C'est en voyageant pour des évènements artistiques et grâce au travail essentiel des centre d'art, musées ou fondations que l’on rencontre les artistes et de nouvelles pratiques.

Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle est en charge de la rubrique art des Inrockuptibles, membre du comité de rédaction de Spike Art Magazine et correspondante pour Flash Art.

Publié le 13 septembre&nbsp;2023.
Légende des images en pleine page, de haut en bas&nbsp;: 1.&nbsp;Farah Al Qasimi,&nbsp;Um Al Dhabaab (Mother of Fog)&nbsp;(détail)&nbsp;©&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et The Third Line, Dubaï. 2.&nbsp;KADIST Paris, 2023&nbsp;©&nbsp;Photographie d’Aurélien Mole. 3.&nbsp;Martine Syms,&nbsp;SHE MAD - Laughing Gas, 2016. Installation vidéo&nbsp;©&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la&nbsp;collection KADIST.

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For co-founder Sandra Terdjman and Julia Morandeira Arrizabalaga, the director of KADIST’s Paris space, the relationship between patronage and market is ripe for reinvention

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