<p>L’artiste danois d’origine vietnamienne s’empare de la rotonde de la Bourse de Commerce à Paris et engage une réflexion sur notre rapport à la nature</p>

Thibaut Wychowanok

Des arbres foudroyés reprennent vie avec Danh Vo

<p>En collaboration avec <em>Numéro art</em></p><p>Au milieu de la rotonde de la Bourse de Commerce, sous l’impressionnante verrière, des troncs d’arbres foudroyés par les intempéries s’élancent vers le ciel comme un dernier geste désespéré pour survivre. Installés par l’artiste&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7089/Danh-Vo">Danh Vo</a>&nbsp;tel un bouquet monumental – à l’échelle du lieu –, ces arbres inertes se déploient à travers les mutations les plus inattendues. Ils fleurissent, mais les fleurs qui surgissent sur l’installation, par touches éparses, colorées et séductrices, sont en réalité des photographies prises par l’artiste et installées par ses soins.</p><p>La floraison du cadavre – la mort est un très bon terreau – annonce d’autres surprises comme ces œuvres plus anciennes de l’artiste (sculptures de bois pour la plupart) qui viennent se lover ou s’unir aux troncs comme autant de branches greffées. Ce bouquet d’arbres forme une œuvre paradoxale, mortifère et fragile, portée par l’espoir et la résilience, et plus prosaïquement par des structures de bois de construction qui soutiennent les troncs martyrisés. « Une expérience où beauté et menace s’entremêlent dans un même espace » résume la commissaire Caroline Bourgeois.</p>

<p>L’œuvre forme en quelque sorte un manifeste philosophique de la nouvelle orientation du travail de l’artiste. Depuis quelques années, Danh Vo s’est installé dans un atelier-ferme à Güldenhof en Allemagne. Entouré d'un verger, de prés, de jardins et d'une serre, il travaille à la convergence des sens du mot « culture ». C'est ce soin et cette attention constante portés au végétal au sein de son jardin et de son verger, ce <em>care</em> pour la nature meurtrie, qu'on retrouve dans les arbres de la rotonde.</p><p>Il y développe sa science de la nature, en l’occurrence sa connaissance des fleurs de son jardin, qu’il recense méticuleusement par des photographies légendées à la main de leur nom scientifique. C’est ici que se trouve l’origine de la série de photos de fleurs à la Bourse de Commerce – cette fois-ci réalisée chez un fleuriste. À rebours de la culture occidentale, Danh Vo déjoue l’opposition entre nature et culture. L’art – objet culturel par excellence – retrouve en elle son berceau. C’est dans le jardin de Güldenhof que l’artiste a commencé à jouer avec des sculptures historiques, souvent des objets en bois provenant d'églises qui viennent prendre place dans cet environnement. Elles y renouent avec leur nature élémentaire.</p>

<p>À la Bourse de Commerce, si plus rien n’est totalement naturel, rien non plus n’est complètement culturel. Les troncs d’arbres ont été traités pour pouvoir être exposés, ils sont installés selon les choix de l’artiste. Les structures qui les soutiennent, les œuvres qui semblent naître comme des appendices, jusqu’aux cadres des photos, sont faits d’un même bois, même si l’origine de ce bois diffère (on y reviendra). Nature et culture se façonnent ainsi l’une l’autre dans un cycle de vie et de mort infini.</p><p>Cet environnement que déploie Danh Vo déjoue également l’horizontalité de la peinture de paysage classique perçue à hauteur d’œil humain. Le bouquet d’arbres est comme déstructuré, partant dans tous les sens. On peut s’y déplacer sans jamais pouvoir l’englober d’un&nbsp;seul point de vue. Et si une structure humaine persiste, celle des structures de bois de construction, cette grille ne semble venir qu’en appui et pour soigner – dénuée dans ses intentions de toute volonté d’imposer son pouvoir. Le décentrage est total. Et si la nature est domestiquée, c’est parce que nous partageons avec elle la même maison, la même <em style="background-color: initial;">domus</em>.</p>

<p>Artiste danois d’origine vietnamienne, Danh Vo a fui son pays par bateau en 1979 avec ses parents réfugiés catholiques. Cet évènement fondateur nourrira une œuvre marquée par l’idée du déplacement et du décentrage justement, autant que par une fine compréhension des strates complexes de l’Histoire comme en témoignait sa grande exposition au Guggenheim à New York, en 2018. Depuis, Danh Vo élabore ses pièces à partir de fragments qu’il déplace et réassemble pour manifester des relations plus que pour juger. Une démarche que résume la commissaire Caroline Bourgeois avec le terme de « faire avec. Faire avec ce que nous portons et ce que nous trouvons, faire avec toutes les contradictions qui nous entourent et restent en nous. »</p><p>Danh Vo fait donc avec ces troncs d’arbres foudroyés dans les forêts françaises, ainsi qu’avec les hasards de la vie et de son histoire personnelle. Il en va ainsi du bois à l’origine des structures de construction et des cadres de l’exposition. Il y a quelques années, Danh Vo découvre que le fils de Robert McNamara, secrétaire d’État à la Défense des États-Unis sous Kennedy et architecte de la guerre du Vietnam que sa famille a fui, est propriétaire d’une ferme durable en Californie. Il acquiert son bois de noyer noir. En 2012 déjà, il achetait aux enchères certains objets ayant appartenu à Robert McNamara pour les inclure dans ses expositions. Histoire géopolitique et intime se voyaient ainsi entremêlées par un geste de déplacement d’objets – du politique vers l’artistique – et de réappropriation. Les objets, au-delà de leur fonction et de leur beauté, sont, avec Danh Vo, réinvestis de leurs histoires, réactivés, disséqués et réassemblés pour en dévoiler toutes les dimensions, refusant de séparer le familial du politique, la petite histoire de la grande. </p>

<p>Cet article fait partie d’une collaboration annuelle avec <em>Numéro art</em>. Retrouvez l’article original&nbsp;<a href="https://www.numero.com/fr/numero-art/danh-vo-bourse-de-commerce-exposition">ici</a>. </p><p>Danh Vo est représenté par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1098/Galerie-Chantal-Crousel">Galerie Chantal Crousel</a> (Paris),&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1198/Marian-Goodman-Gallery">Marian Goodman</a> (New York, Paris, Londres)&nbsp;et&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1158/Xavier-Hufkens">Xavier Hufkens</a> (Bruxelles).</p><p>« Tropeaolum<strong> »<br /></strong>Jusqu’au 24 avril 2023<br />Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris</p><p>Toutes les photos&nbsp;: Danh Vo, <em>Tropeaolum</em>, 2023. Avec l’aimable autorisation de la&nbsp;Bourse de Commerce – Pinault Collection.</p><p>Publié le 28 février 2023.</p><p><strong></strong></p>

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The Vietnamese-born Danish artist is taking over the monumental rotunda of the Bourse de Commerce in Paris, igniting a conversation about our relationship with nature

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