<p>De Montmartre au parc naturel régional de Lorraine, survol des lieux les plus emblématiques</p>

Soizic Pineau

Découvrez les meilleures résidences d’artistes en France

<p>« On se bat pour qu’on emploie le mot “résidence” à bon escient, que cela corresponde à un cadre, un accompagnement et un soutien financier aux artistes », pointe Élise Jouvancy, secrétaire générale du réseau Arts en résidence, qui regroupe une quarantaine de structures et recense les bonnes pratiques en la matière en France. Depuis 2010, l’association basée à Rennes travaille à l’écriture de chartes et entame des discussions avec les pouvoirs publics pour pérenniser certains éléments, comme la rédaction de contrats entre structures et artistes, ou la rémunération de ces dernier∙ère∙s.</p><p>Plus sélectif qu’exhaustif, le réseau permet d’y voir clair dans une offre française bien fournie : plus de 200 résidences sont répertoriées sur le territoire. Aussi nombreuses que variées, elles sont une forme d’économie et de reconnaissance pour les artistes, mais également un précieux outil de travail.</p>

<p>Le cadre de travail, c’est parfois la montagne comme aux Capucins, dans la petite ville d’Embrun (Hautes-Alpes), ou le parc naturel régional de Lorraine, où se trouve le centre d’art contemporain de la synagogue de Delme : « Quand vous êtes là-bas, vous êtes loin de tout : vous avez les cigognes, l'étang et la forêt. Les artistes profitent de ce moment en immersion totale dans un environnement naturel protégé et s’en inspirent, quelle que soit leur démarche. C’est aussi ça que l’on offre », confie Benoît Lamy de la Chapelle, directeur de cette résidence perçue comme un véritable tremplin pour artistes émergent∙e∙s. En 2015, Julien Creuzet, encore aux prémices de sa pratique, y produit un film dans lequel les échassiers du parc régional ont le premier rôle. Pendant huit à douze semaines, les artistes, sélectionné∙e∙s sur dossier par ces deux centres d’art, sont rémunéré∙e∙s pour penser et écrire de futurs projets. « La retraite idéale », reconnaît Solenn Morel, qui dirige les Capucins. « C’est vraiment un temps dégagé des contraintes habituelles de l’artiste. »</p>

<p>Parfois, le cadre de travail, ce sont des moyens de production alloués aux résident∙e∙s, comme au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva) à Marseille, où des souffleur∙euse∙s chevronné∙e∙s relèvent les paris artistiques les plus fous. Dans une démarche similaire, le Fonds régional d’art contemporain (Frac) Picardie lancera, au printemps 2023, avec la galerie et les studios Miyu (Paris), une résidence entièrement dédiée aux techniques de l’animation.</p>

<p>À la Fondation Fiminco (Seine-Saint-Denis), « les artistes sont suivi∙e∙s par un∙e chef∙fe d’atelier qui les accompagne dans les différentes pratiques : c’est aussi un apprentissage collectif qui permet de tester et d'expérimenter », explique Katharina Scriba, directrice des lieux. Sur l’ancien site industriel romainvillois transformé en quartier culturel, la production a la part belle avec des ateliers de gravure et de céramique, ou encore un pôle vidéo mis à disposition des 12 artistes, qui logeront là pendant près d’un an et pourront amorcer un travail de recherche et de création. Chloé Royer, arrivée en septembre 2022, se réjouit autant de la multiplicité des techniques qu’elle peut expérimenter que de la liberté dont elle bénéficie au sein de la résidence : « Fiminco offre un éventail de possibilités, c’est un vrai terrain de jeu. En 11 mois, je vais pouvoir tester tous les ateliers. » Sculptrice, elle expérimente la céramique, mais aussi la photographie, et prépare une vidéo pour la restitution finale.</p>

<p>Également sur la petite couronne parisienne, Artagon Pantin parie sur le décloisonnement et le mélange des disciplines en ouvrant ses portes à tout l’écosystème de l’art contemporain. « On voulait réunir dans un même endroit tou∙te∙s ceux∙elles qui travaillent ensemble », expliquent Anna Labouze et Keimis Henni, fondateur∙rice∙s de l’association. S’y retrouvent ainsi le chercheur Seumboy Vrainom, l’artiste Alexia Fiasco – qui explore elle aussi les thématiques postcoloniales avec son collectif Filles de Blédards –, les artistes Aïda Bruyère ou L. Camus-Govoroff, mais aussi des curateur∙rice∙s, des journalistes, des médiateur∙rice∙s...  « C’est un terrain fabuleux pour expérimenter », poursuivent Anna Labouze et Keimis Henni. Sorte d’école après l’école, Artagon Pantin offre un espace de travail à prix réduit à 50 artistes et spécialistes du monde de l’art pendant 18 mois étayés de rencontres et de rendez-vous professionnels. Le but : donner des armes à une nouvelle génération engagée, « les conseils qu’on aurait adoré avoir quand on a commencé », confient les fondateur∙rice∙s.</p>

<p><span style="background-color: initial;">Autre pépinière, POUSH loue des ateliers à 230 artistes – parmi lesquel</span>∙le∙s Alex Ayed ou Bianca Bondi – dans une ancienne parfumerie d’Aubervilliers et se considère comme un incubateur. Associer ce vocabulaire entrepreneurial au monde artistique rappelle qu’être artiste, c’est un travail. Et pour les aider à se développer, POUSH propose un accompagnement et un soutien administratifs, comme par exemple des séances avec une avocate.</p><p>Chez KADIST à Paris, si les artistes invité∙e∙s font déjà partie de la collection autour de laquelle s’est formée la fondation, iels n’ont, pour la plupart, jamais exposé en France. Sont passé∙e∙s par ce lieu&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8341/Mario-Garc%C3%ADa-Torres">Mario García Torres</a>&nbsp;en 2007, ou bien Daniela Ortiz en 2018. Plus qu’une résidence de production, KADIST se voit comme « une résidence de connexion, de réseau. L’attention de l’artiste est sans cesse sollicitée, notre approche est de le∙la guider et de le∙la soutenir à un moment où iel a besoin de ce type de contacts », confie Émilie Villez, sa directrice.</p>

<p>À chaque moment de la vie artistique sa résidence ? On pourrait croire qu’elles s’adressent majoritairement aux pratiques émergentes, mais certaines, comme LUMA Arles, invitent principalement des artistes confirmé∙e∙s et de renommée internationale, comme&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8267/Mohamed-Bourouissa">Mohamed Bourouissa</a> ou Precious Okoyomon, qui, pendant son séjour arlésien, a travaillé à des œuvres exposées à la Biennale de Venise en 2022. Ici aussi, ce qui prime, c’est la volonté d’encadrer : « Ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir accompagner le cheminement intellectuel, artistique et personnel de nos résident∙e∙s », explique Julie Boukobza, qui dirige les programmes de résidences de l’institution.</p><p>Accompagner l’artiste, c’est aussi prendre en compte ses différentes réalités, comme la parentalité : « Beaucoup de structures font des choses pour l’accueil des familles, mais ne communiquent pas dessus », explique Élise Jouvancy. « On les encourage à être transparentes, de manière à ce que les artistes, en particulier les femmes, n’aient pas de pratique d’autocensure. » La Cité internationale des arts (Paris) peut accueillir l’artiste avec son∙sa conjoint∙e et un enfant en bas âge, et s’attèle à la rénovation d'espaces qui pourront recevoir des familles plus nombreuses. Chez KADIST, l’équipe est présente pour mettre en place, si besoin, un système de garde.</p>

<p>S’il n’est pas toujours de rigueur, un moment de restitution clôture souvent la résidence. Aux Capucins, « ça peut être une projection de film, une performance, la porte ouverte d’un atelier&hellip; On essaie de multiplier les formes possibles. Cela permet aux Embrunais∙e∙s&nbsp;de se rendre compte qu'il n'y a pas une manière de conclure une recherche, mais plusieurs », souligne Solenn Morel – et de lever le voile sur le mystère qui entoure souvent le travail des artistes.</p>

<p>« L’artiste n’est pas là que pour produire, et quand iel produit, c'est le résultat d’un processus. Ça n’est pas évident de réduire cet écart entre l’immense visibilité donnée au produit fini et celle donnée à la démarche au processus », rappelle Bénédicte Alliot, directrice de la Cité internationale des arts. Véritable fourmilière, la structure offre plus de 300 ateliers-logements dans le Marais ou à Montmartre. Des visites d’ateliers sont pensées de façon hebdomadaire, mettant en avant l’expérimentation et la diversité des recherches. L’artiste japonaise Makiko Furuichi, dont les aquarelles s’étalent habituellement sur les murs ou recouvrent de larges pans de tissus, a présenté en février des pièces en céramique dans son atelier. Pour Bénédicte Alliot, « l’enjeu, c’est de se dire que l’on peut prendre le temps. Ça peut être une respiration, qui parfois portera ses fruits plusieurs années après ».</p>

<p>Les résidences sont donc des moments fondateurs, riches et essentiels pour les artistes, à condition de prendre en compte leurs temporalités : « C’est un outil de soutien dans la durée, c’est vraiment valoriser l’artiste dans son processus de création, et pas seulement le moment de visibilité », conclut Katharina Scriba. Car en donnant de l’importance au temps long, au processus ainsi qu’au travail qui entoure la création – que celui-ci soit de l’expérimentation artistique ou d’ordre administratif –, les résidences permettent de poser un regard plus juste sur la réalité des artistes.</p>

<p>Soizic Pineau est une journaliste indépendante basée à Marseille.</p><p>Légendes des images en pleine page, de haut en bas :&nbsp;1. LUMA Arles. &copy; Iwan Baan. 2. Vue d’installation de l’exposition collective&nbsp;« Pirouettes&nbsp;», Frac Picardie, Amiens.&nbsp;Avec l’aimable autorisation des artistes et du Frac Picardie&nbsp;3. Atelier 3, vue d’Artagon Pantin par Clémence Rivalier, résidente 2022-2023.&nbsp;Avec l’aimable autorisation de l’artiste et d’Artagon Pantin. 4. Vue des espaces de KADIST, 2022. Photographie d’Aurélien Mole.&nbsp;Avec l’aimable autorisation de&nbsp;KADIST. 5. LUMA Arles. &copy; Iwan Baan. 6. Vue du&nbsp;centre d’art contemporain - la synagogue de Delme. Photographie d’Oh Dancy.&nbsp;Avec l’aimable autorisation du&nbsp;centre d’art contemporain - la synagogue de Delme.</p><p>Publié le 3 mars 2023.</p>

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