Shannon T. Lewis (Canada, née en 1981)
« Rares sont les moments où, quand je suis seule, je n’écoute pas de musique. Ma vie semble avoir besoin d’une bande-son. Cela va de la soca [musique caribéenne née à Trinidad-et-Tobago, ndlr] – la seule façon d’endurer les exercices de cardio – aux grands airs du répertoire lyrique, car j’ai commencé à aller régulièrement à l’opéra avec des ami∙e∙s ces dernières années. La musique baroque conjugue ainsi mon amour pour l’Italie de la Renaissance et mon goût inattendu pour le clavecin. « Pur tir miro » de L’incoronazione di Poppea de Monteverdi est un air que je n’ai pas pu arrêter d’écouter en boucle depuis que je l’ai découvert. Mais je pourrais citer également l’album Mama’s Gun d’Erykah Badu, peut-être parce que la première fois que je l’ai entendu, j’étais entre l’adolescence et l’âge adulte.
Chez moi, je mets le plus souvent des écouteurs, non seulement parce que j’aime m’évader dans mon propre monde, mais parce que je suis capable d’écouter un morceau pendant des heures – j’évite d’infliger cela à ma famille, j’ai eu des plaintes à ce sujet ! Cela étant, l’expérience collective d’un concert reste inégalable. Je me souviens avoir vu Celia Cruz en concert à Toronto, il y a 20 ans. Son énergie, mais aussi celle de la foule réunie pour l’écouter, palpables, sont encore présentes à mon esprit. Les gens chantaient, dansaient et pleuraient. J’ai compris que leur patrie était comme un∙e parent∙e qu’il∙elle∙s célébraient tou∙te∙s ensemble. Ce souvenir de concert très émouvant illustre pour moi l’idée de la musique comme une entité vivante. D’une manière ou d’une autre, ma pratique artistique consiste à essayer d’évoquer cette notion intangible. »
Shannon T. Lewis
« One return led to another - Retour perpétuel »
Mariane Ibrahim
Jusqu’au 25 mai
Seffa Klein (France – États-Unis, née en 1996)
« La manière dont j’écoute de la musique dépend de mon état mental. Je fais fréquemment le trajet entre l’Arizona et Los Angeles, et je passe beaucoup de temps en voiture à L.A. ; nombre de mes playlists ont été créées pour ces voyages. Je n’ai pas de genre préféré, bien que j’aie tendance à aimer tout ce qui insère des éléments de jazz dans une autre structure. J’écoute un peu de tout ; je suis attirée par le génie d’une œuvre spécifique plutôt que par un genre particulier.
Ce printemps, j’ai découvert le dernier album de Julia Holter, Something in the Room She Moves : un mélange virtuose de jazz, de vocalisations classiques indiennes, de pop, de chorals et d’ambient. Je l’adore : il me détend tout en stimulant mon esprit et en laissant de la place à mes propres pensées. L’influence des concerts de kirtan [chant dévotionnel indien], dont j’ai des souvenirs précoces, m’a préparée à étudier la musique et l’art classique indien pendant mes études à l’UCLA [University of California Los Angeles]. J’ai appris que les râgas sont des cadres mélodiques dans lesquels les musicien∙ne∙s peuvent improviser, un peu comme dans le jazz. C’est ainsi que je conçois mes œuvres – chacune est un système avec des possibilités infinies de liberté, d’invention et de connexion au divin en elle. J’écris aussi de la musique. Parfois, j’entends des chansons dans mes rêves et j’essaie de les faire exister. »
Seffa Klein
« Une constellation familiale »
Galerie Jérôme Poggi
Jusqu’au 13 juillet
Clemens von Wedemeyer (Allemagne, né en 1974)
« Malheureusement, il m’est difficile de me concentrer sur mon travail si je ne suis pas au calme : la musique modifie notre perception, elle l’élargit dans une certaine direction. Adolescent, je me promenais souvent en ville avec un walkman – le monde devenait alors un film dont je pouvais écouter la bande originale. Au fil des années, le punk, le noise, l’électronique, la soul ont peu à peu cédé la place à la découverte de compositions expérimentales contemporaines. Je suis ouvert à toutes sortes de recommandations, amicales, familiales ou algorithmique, et je peux aussi me laisser séduire par une pochette de disque – par exemple, celle d’un des albums de Nicholas Bussmann ou celle du premier disque de l’artiste Maya Schweizer. Quand je veux trouver un morceau pour mes propres films, je compte sur les haut-parleurs de mon studio. Que ce soit Birke Bertelsmeier pour mon projet Esiod-2015 [2016], de Christian Naujoks pour Transformation Scenario [2018] ou du musicien d’improvisation hongrois Zsolt Sőrés pour mon film Surface Composition [2024], tous ces artistes continuent, à travers leur musique, à m’accompagner. C’est un réel plaisir de pouvoir créer un lien entre leur univers et mon propre travail. Récemment, j’ai redécouvert Anne Clark lors d’un concert – j’étais un vrai fan au début des années 1990, je l’écoutais dans la chambre noire en développant mes photos. Je suis très sensible à la poésie détachée de sa voix et de ses paroles. Je lui ai confié l’enregistrement du commentaire vocal de ma toute nouvelle installation vidéo, Social Geometry. »
Clemens von Wedemeyer
« Anti-Synergy »
Galerie Jocelyn Wolff
Jusqu’au 20 juillet
Natacha Donzé (Suisse, 1991)
« En arrivant le matin à l’atelier, je passe généralement un moment en silence, pour boire un café et regarder ce que j’ai déjà fait et décider sur quoi je vais me pencher. Le reste du temps, la présence de la musique est presque constante, elle m’aide à me concentrer, à peindre ou à penser ; sans musique, cela fonctionne beaucoup moins bien. J’écoute des choses très différentes : du rock, de l’électro, du blues ou de la country, du rap, du hip-hop, du RnB ou de la musique ambiante… J’essaie surtout de trouver quelque chose qui convient au moment. J’ai découvert il y a quelque temps l’album Kirtan: Turiya Sings d’Alice Coltrane, et j’en suis fan, c’est totalement hypnotisant, je le passe en boucle. Et puis il y a des auteur∙e∙s-compositeur∙rice∙s auxquel∙le∙s je reviens toujours, par exemple Leonard Cohen ou Daniel Johnston, ou encore le groupe de post-punk anglais The Durutti Column. Je passe souvent brusquement d’un album à l’autre. Aujourd’hui, j’ai commencé ma journée avec Stevie Wonder, enchaîné avec NIN [Nine Inch Nails, groupe de métal industriel], puis Prince et Santana, et à présent, j’ai mis un morceau de Swans, c’est du rock assez bruyant. Je crois que la musique est aussi une affaire de hasard, de concours de circonstances. Ainsi, mes souvenirs de concerts les plus mémorables sont souvent liés à des moments improbables – comme ce celui d’un orchestre d’université à la Nouvelle-Orléans, alors que je venais simplement visiter le bâtiment. Magique. »
Natacha Donzé
Parliament
Jusqu’au 1er juillet
Daniel Steegmann Mangrané (Espagne, né en 1977)
« La musique exerce un grand impact émotionnel sur moi, mais je dois avouer que je suis aussi ignorant en solfège que totalement incapable de jouer d’un instrument… Je préfère donc parler de ma relation avec le son plutôt qu’avec la musique. Pour moi, le son est extrêmement physique et sculptural, il implique tout le corps, pas seulement le canal auditif. J’aime la musique qui reconnaît cette qualité spatiale et l’incarne. Mes souvenirs les plus vibrants de musique live sont incontestablement ceux du carnaval de Rio de Janeiro. Être entouré de centaines de foliões [participant∙e∙s au carnaval] chantant la même chanson tout en dansant et en faisant la fête dans des blocos [groupes de quartier] spontanés est une expérience libératrice et exaltante. Il y a aussi, dans cette célébration de la vitalité et de la créativité, une manifestation politique de la part d’une population qui souffre souvent beaucoup trop.
Le musicien que j’écoute le plus, car il ne cesse de m’étonner, est Caetano Veloso. Il m’est impossible de travailler en écoutant de la musique, mais j’ai récemment collaboré avec l’artiste Franziska Aigner pour une nouvelle œuvre vidéo présentée dans le cadre de mon exposition en galerie à Paris [partagée entre Mendes Wood DM et Esther Schipper]. J’ai toujours à l’esprit le staccato suspensif de sa composition, et je me réjouis déjà de nos futures collaborations. »
Daniel Steegmann Mangrané
« La Pensée férale »
Mendes Wood DM
Jusqu’au 26 mai
Esther Schipper
Jusqu’au 20 juillet