« J’ai grandi dans un petit village en Suisse appelé Villette. Il est situé dans les vignobles, entre Lausanne et Montreux, avec vue sur le lac Léman et les Alpes. Le paysage est tout à fait spectaculaire : la lumière et l’eau changent en permanence, et l’automne, les vignes deviennent toutes rouges. C’est sûrement mon premier souvenir visuel. Le peintre de paysages suisse François Bocion [1828-1980], qui jouissait d’une reconnaissance locale, est l’un·e des premier·ère·s artistes que j’ai aimé·e·s. Ma famille m’a toujours beaucoup soutenu, en particulier ma grand-mère, qui m’achetait de petites peintures lorsque j’étais adolescent. Bien que je l’aie à peine rencontrée, mon arrière-grand-mère adorait avoir une pratique artistique. Pendant son temps libre, elle peignait sur les meubles, et j’ai encore certaines de ses pièces. »
« J’ai quitté le gymnase [en Suisse, école secondaire de deuxième cycle] avant d’avoir mon diplôme. J’ai étudié pendant deux ans à Fribourg, dans l’une des premières écoles à mêler le design et les nouveaux médias, l’École de multimédia et d’art de Fribourg. J’adorais les cours préparatoires d’art, mais je suis parti lorsque nous avons commencé à vraiment utiliser l’ordinateur. J’ai été pris à l’École cantonale d’art de Lausanne, et je me suis inscrit au cursus cinéma avant d’opter pour le département de design graphique. À l’époque, John Armleder enseignait à l’école, et il réalisait des papiers peints sur lesquels il accrochait ensuite des objets. C’est un artiste fabuleux, qui a exercé une profonde influence sur la scène. Lorsque je suis parti, je faisais des muraux, ce qui a étonné de nombreuses personnes, alors qu’à Lausanne, tout le monde peignait sur les murs ! »
« Les musées m’ont attiré dès le plus jeune âge, car je m’y sentais en sécurité. Quant à mon rapport à l’art, il passe surtout par le regard : je n’ai pas besoin de beaucoup d’informations pour apprécier une image. J’ai un tas de livres, mais je préfère les romans et les essais à la critique d’art. Récemment, j’ai lu les œuvres d’Edward O. Wilson [un biologiste, écologiste et entomologiste] et de Rachel Louise Carlson [une biologiste marine et une militante écologiste]. Cette dernière, à qui l’on attribue souvent la naissance du mouvement écologiste, a écrit des ouvrages comme Cette mer qui nous entoure [1950] et Printemps silencieux [1962]. »
« L’un·e des artistes dont j’ai une connaissance plus approfondie est Rosalba Carriera [1673-1757]. Elle a vécu toute sa vie à Venise et est à l’origine de la mode du pastel dans les années 1700. En ce moment, je montre un projet à la Frick Collection à New York, où j’ai créé trois muraux au pastel auxquels j’ai associé l’un de ses portraits, Portrait of a Man in Pilgrim’s Costume, qui date des années 1930. Je possède aussi deux de ses pastels, l’un se trouve chez moi et l’autre à l’atelier – ainsi, je peux tout le temps regarder son travail. On mentionne souvent Picasso en disant que j’ai commencé à utiliser le pastel après avoir vu l’un des siens.. Cette anecdote est véridique, mais en réalité, il n’a pas utilisé le médium tant que ça. »
« La notoriété est un concept compliqué. Au début, seulement un groupe très restreint va voir votre art : la famille, les enseignant·e·s en école d’art, un petit cercle d’ami·e·s, puis, si vous êtes chanceux·euse, ça va sans cesse s’élargir. Actuellement, je présente l’exposition « When Tomorrow Comes », en Allemagne. Une fois, l’équipe m’a dit qu’il y avait eu 1 000 visiteur·euse·s en une journée. À ce stade, vous ne savez plus trop qui est votre public, à moins peut-être d’aller sur Instagram pour regarder les photos et les commentaires. Dans le monde de l’art, les gens rédigent rarement des retours négatifs, tandis que dans le milieu littéraire, les avis laissés en ligne peuvent l’être bien davantage. »
« Au cours, en gros, de l’année écoulée mon répertoire d’images a évolué : j’ai peint de grands feux de forêt, des dinosaures et même ma jeune fille. « When Tomorrow Comes » connecte explicitement mon travail à l’idée d’extinction. La fin de l’humanité a toujours été là, mais ce qui a changé, c’est qu’à présent, cette fin concerne aussi un grand nombre d’autres espèces. Il est dur de ne pas se sentir inquiet·ète. Mon approche du temps a également évolué : avoir un·e enfant replace la perception des choses dans un spectre temporel bien plus vaste. »
« Parfois, le travail change sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Il se peut même que l’on espère communiquer quelque chose présent en soi sans que l’on ne s’en rende encore bien compte. Je pense que c’est la raison pour laquelle tant de personnes aiment l’art et en ont besoin, car l’art permet d’avoir accès aux émotions. L’art investit les objets de sentiments pour pouvoir les explorer de nouveau. »