Ce que Charles Darwin fut pour la flore et la faune sud-américaines, le peintre brésilien Lucas Arruda l’est pour la peinture européenne. Découvrant la lumière des impressionnistes et répertoriant toute la gamme des lumineuses palettes de Giotto et Piero della Francesca, il retourne dans son atelier pour trier, examiner et méditer. Avec une dévotion quasi monacale, il répète un ensemble limité de motifs, faisant surgir des tableaux de petit format d’une variété saisissante. Pour sa première exposition institutionnelle en France, il présentera 34 de ses œuvres au Musée d’Orsay à Paris, aux côtés de géants de la peinture française tels que Gustave Courbet, Théodore Rousseau et Eugène Boudin. Partager l’espace avec la série des Cathédrales de Rouen de Claude Monet est particulièrement stimulant pour l’artiste.

« Je suis très heureux d’être avec les cathédrales », me confie-t-il depuis Paris. « Je pense que Monet et moi partageons le même intérêt pour les séries. Il disait que peindre différents moments de la journée était davantage un prétexte pour regarder la même chose encore et encore – pour la regarder à nouveau, chaque jour. J’ai observé de près les séries de Monet. Les nuances qu’on y trouve sont vraiment subtiles. Chaque tableau réinvente la lumière, réinvente le regard, maintes et maintes fois, pour apporter quelque chose de nouveau au même sujet. Je pense que mes jungles, en ce sens, partagent des caractéristiques similaires, se réinventant elles-mêmes, mais je ne les considère pas comme des peintures impressionnistes. Je n’essaie pas de capturer un moment de réalité. Elles sont plus symboliques et métaphysiques. »

S’inspirant des jungles proches de sa ville natale de São Paulo, il est important de souligner que Lucas Arruda ne peint jamais en plein air. Il commence avec une petite toile dans son atelier, sans image à l’esprit ni mnémonique en main, construisant l’image à travers la mémoire et la méditation. Le même processus s’applique à ses marines ou ses paysages – descriptions de genre qu’il récuse tout en les utilisant faute de meilleurs termes. Le sujet d’une peinture de Lucas Arruda est indissociable de son atmosphère : lumière, texture, ascension et un sentiment d’immensité à une échelle intime. Quel que soit le motif, toutes ses peintures partagent le même titre : « Sans titre (de la série Deserto-Modelo) ».

Travaillant avec les conservateurs du musée, Lucas Arruda a fait une sélection de tableaux de la collection du Musée d’Orsay. « J’ai quatre murs où mon travail leur fait face », dit-il, « et quatre murs avec uniquement mon travail. » Avec un sourire espiègle, il se dit impatient de voir comment la « belle lumière » des Nymphéas bleus (1916-1919) de Monet interagira avec la surface « solide » de La Mer orageuse (1870) de Gustave Courbet. En grandissant, il a pu voir quelques peintures impressionnistes au Musée d’Art de São Paulo, mais il avait presque 30 ans lorsqu’il a voyagé pour la première fois en Europe.

Et au lieu de la France, il est allé en Italie, « pour remplir mes yeux des couleurs de la fresque ». Il voit dans son travail un sentiment à la fois de rupture et de continuité avec la peinture de paysage européenne, en ce sens qu’il continue à travailler avec la nature et la lumière. « Mais ma lumière n’est pas la même que celle des impressionnistes – la mienne est plus complexe. La lumière des impressionnistes concerne davantage l’avenir, une lumière de découverte, de joie, apportant quelque chose de nouveau, un sentiment de délice. Ma lumière est celle que je découvre encore, que j’essaie toujours de comprendre. Elle est plus complexe parce que notre époque est plus complexe. »

Je lui suggère alors que c’est une lumière de méditation, puis lui rappelle qu’il a par le passé fait l’éloge du travail d’Agnes Martin, la grande peintre-méditatrice. « J’aime son sens de la répétition, de la sérialité », dit-il, ravi de parler de l’un·e de ses artistes préféré·e·s. « Agnes pouvait faire advenir ces choses à la surface de la peinture sans rhétorique – de manière très directe. C’est un travail méditatif, une peinture spirituelle qui permet de voir le monde avec le regard du poète. » Les deux artistes ont une dévotion quasi monacale à la répétition, à trouver un certain plaisir dans la routine. Je fais remarquer à Lucas Arruda qu’il y a quelque chose de sisyphéen dans sa pratique quotidienne, à la manière décrite par Albert Camus dans son livre Le Mythe de Sisyphe (1942). Pousser le rocher jusqu’en haut de la colline chaque jour est monotone, mais cela apporte du sens, même du plaisir – et il en va de même quand le travail consiste à peindre quotidiennement les mêmes motifs limités à petite échelle. « Je suis heureux que vous ayez perçu ce bonheur ou ce plaisir. La répétition pourrait être un peu mélancolique, car elle apporte une certaine monotonie, mais ce que j’aime dans la répétition, c’est que nous pouvons nous approprier les choses. Par la répétition, nous construisons un lieu de méditation, d’atmosphère. »

Une exposition organisée en parallèle au Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes présentera des peintures plus « iconographiques », selon Lucas Arruda, aux côtés de ses vidéos et installations. Dans un tableau, un bol, peint dans les gris froids d’une nature morte de Giorgio Morandi, flotte au-dessus d’une indentation à l’horizon, comme si le récipient venait d’émerger de la terre et commençait à s’élever, tandis que dans un autre, une croix lévite au-dessus d’un bateau vide. Lucas Arruda explique qu’il voulait mettre en lumière à Nîmes un aspect différent de sa pratique ; tant dans les peintures que dans l’installation – lumière projetée sur les murs comme des peintures fantomatiques, éphémères – il souhaitait souligner le « vide » et la possibilité du dessus et du dessous, le potentiel d’ascension et les limites de la perception.

En me préparant à parler avec Lucas Arruda, j’ai pensé à la grande nouvelle de César Aira, Un épisode dans la vie d’un peintre voyageur (2000). L’histoire est un récit romancé de quelques mois dans la vie du peintre allemand Johann Moritz Rugendas qui, au 19 siècle, a traversé l’Amérique du Sud pour capturer sa ressemblance « physiognomonique ». À un moment donné, alors que Rugendas chevauche à travers le paysage incroyablement vaste de l’Argentine, le narrateur écrit que « dans les plaines, l’espace devenait petit et intime, presque mental ». Je suggère à Lucas Arruda qu’il est comme Rugendas, mais à l’inverse. Il voyage du Brésil vers l’Europe, non pas pour examiner son histoire naturelle, mais l’immense histoire de la peinture occidentale, retournant dans son atelier pour créer des peintures « petites et intimes, presque mentales ». Lucas Arruda fait une pause, et je crains d’avoir poussé cette métaphore trop loin. « Magnifique. J’adore », dit-il.

Légendes et crédits

Lucas Arruda est représenté par David Zwirner (New York, Hong Kong, Londres, Los Angeles, Paris) et Mendes Wood DM (São Paulo, Bruxelles, New York, Paris).

« Qu’importe le paysage »
Du 8 avril au 20 juillet 2025 
Musée d’Orsay
Paris

« Deserto-Modelo »
Du 30 avril au 5 octobre 2025
Carré d’Art, Musée d’art contemporain
Nîmes

Craig Burnett est un écrivain basé à Londres. Il est l’auteur de Philip Guston: The Studio, Afterall Books, 2014.

Traduction française : Art Basel.

Publié le 4 avril 2025.

Légende de l'image d'en-tête : Lucas Arruda, 2025. Photographie de Gui Gomes. © Lucas Arruda. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de David Zwirner.