Chacun∙e à leur manière, il∙elle∙s incarnent une idée du design. En préparation de la Paris Design Week (7-16 septembre 2024), voici les portraits de neuf designer∙eure∙s iconiques né∙e∙s dans l’Hexagone.
Charlotte Perriand (1903-1999), l’égérie moderne
Elle a 24 ans lorsque son avant-gardiste Bar sous le toit (1927) lui vaut d’être recrutée comme associée par Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Elle cosigne à leurs côtés la Chaise longue B306 (1928/1932), entre autres meubles et aménagements conciliant rationalisme et modernisme – un principe promu par l’Union des artistes modernes (UAM), qu’elle cofonde en 1929. Dix ans plus tard, au Japon, où elle est appelée en tant que conseillère en art industriel, elle s’inspire de l’esprit Mingei, dont naîtra la bibliothèque Nuage (1953), transposition en aluminium et bois des tablettes de la villa impériale Katsura (17e siècle, Kyoto). Ce désir de modularité et d’harmonie entre architecture intérieure et extérieure la guidera toute sa vie et s’incarnera à la perfection dans la station de ski des Arcs, qu’elle conçoit de 1967 à 1989.
Jean Prouvé (1901-1984), le principe constructif
Tout comme son parrain Émile Gallé, figure de l’Art nouveau, Jean Prouvé fonde sa pensée créatrice sur de solides connaissances techniques. D’abord apprenti auprès des meilleurs maîtres ferronniers de son époque, il abandonne rapidement la forge au profit d’outils de pointe qu’il acquiert pour son propre atelier de Nancy. Dès 1925, ses expérimentations autour de la tôle d’acier pliée l’ouvrent à des formes inédites, sièges aux piétements fuselés et autres tables « aile d’avion » qui marquent d’emblée son style. Son ingéniosité le conduit à inventer l’un des tout premiers (sinon le premier) exemple de mur-rideau pour la Maison du peuple de Clichy (1939), ainsi que des maisons démontables à portiques, notamment pour sinistré∙e∙s de la Seconde Guerre mondiale, que les collectionneur∙euse∙s, aujourd’hui, convoitent.
Pierre Paulin (1927-2009), l’icône pop
C’est en s’inspirant du maillot de bain que Pierre Paulin imagine ses fauteuils cultes dès la fin des années 1950 : les Mushroom, Tongue, Tulip et autres Ribbon Chair s’habillent d’une housse stretch monobloc aux couleurs vives. Leur structure s’oublie au profit de la forme pure, leur rondeur épouse le corps, et l’espace habitable devient paysage. Ses premiers meubles, auto-édités en 1953 (banquette Daybed), empruntent à l’épure scandinave jusqu’en 1957, année du dépôt de son brevet d’invention pour le textile extensible dont il va également parer le plafond du salon privé de l’Élysée en 1972. Dans les années 1970, Pierre Paulin invite à un art de vivre plus libre, plus près du sol, avec ses Tapis-Sièges aux formes d’origamis et ses assises ondulantes (Ensemble Dune), longtemps restés à l’état de prototypes.
Andrée Putman (1925-2013), l’incarnation du chic
Elle aurait été inspirée par le noir et blanc des touches du piano, qu’elle pratiquait à haut niveau, et par les lignes épurées de l’abbaye de Fontenay, où elle passait ses étés. Andrée Putman fait ses gammes en autodidacte, d’abord en tant que journaliste décoration, puis en tant que styliste pour les magasins Prisunic. En 1971, elle fonde un concept store où elle révèle des créateur∙rice∙s de mode tels Jean-Charles de Castelbajac et Thierry Mugler. Sept ans plus tard, ce sont les figures du design des années 1930 qu’elle ressuscite en rééditant leurs objets et meubles oubliés. Elle se réinvente encore en 1984 et acquiert une renommée internationale en aménageant l’hôtel Morgans à New York, dont la salle de bain à damier marquera à jamais le « style Putman », tout en sobriété.
Claude (1925-2019) et François-Xavier (1927-2008) Lalanne, le souffle créateur
Avec leurs objets hybrides, mi-sculptures mi-meubles, les Lalanne signent, ensemble ou séparément, un œuvre profondément original inspiré de la nature. En 1964, à leur première exposition parisienne, François-Xavier présente le Rhinocrétaire I en laiton, et Claude ses Choupattes, sculptures en forme de chou porté par deux pattes de poulet. S’ensuit pour lui la création d’un bestiaire étonnant, comme les Hippopotames renfermant des éléments de salle de bain, le Babouin-Cheminée, le bar Sauterelle ou les moutons de laine sur lesquels s’asseoir. Claude s’intéresse quant à elle à la botanique à travers son mobilier Gingko. Pour Yves Saint-Laurent, l’un de leurs commanditaires, François-Xavier crée le Bar YSL en 1965, et Claude, dès 1974, de grands miroirs aux tiges végétales pour le salon de musique du mythique appartement de la rue de Babylone où vivait le couturier.
Philippe Starck (né en 1949), le défricheur
Créatif invétéré, starifié dans les années 1980, Philippe Starck est un touche-à-tout, engagé dès l’âge de 20 ans par Pierre Cardin comme directeur artistique de sa maison d’édition. Le fantaisiste volera rapidement de ses propres ailes en décorant, dès 1976, des clubs et des cafés devenus mythiques (Les Bains Douches et le café Costes à Paris, le Starck Club à Dallas), ainsi que les appartements privés de François Mitterrand à l’Elysée en 1983. S’ensuivront des centaines de projets architecturaux à l’international (les bâtiments Nani Nani à Tokyo ou Le Nuage à Montpellier, le Delano Hotel à Miami, les hôtels-restaurants Mama Shelter…) allant jusqu’à la conception de méga yachts. C’est surtout son « design démocratique », souvent teinté d’humour, qui l’a rendu populaire : brosse à dents imaginée comme une sculpture (Brosse à dent et son socle, Fluocaril, 1987), maison écologique en kit (Maison Starck, 1994) proposée dans le catalogue des 3 Suisses, presse-agrumes Juicy Salif (1988), chaise Louis Ghost (2000) ou encore Aeklys by Starck (2017), une bague connectée.
matali crasset (née en 1965), « designereuse »
À travers les formes ludiques de matali crasset (en minuscules), c’est une philosophie du vivre ensemble qui s’exprime. À l’encontre du sur-confort bourgeois, elle conçoit des formes pleines de peps, évolutives et colorées à l’image de la vie. Dès 1991, sa Trilogie domestique (trois diffuseurs de lumière, de chaleur et d’eau) apprivoisait la technologie dans une approche poétique. Quatre ans plus tard, Quand Jim monte à Paris, une « colonne d’hospitalité » composée d’un lit pliant, d’une lampe et d’un réveil, inaugure une gamme d’objets personnalisés baptisée « les amis de matali ». Opposée à la « dictature de l’objet », celle qui se définit comme « designereuse » (« designeure heureuse ») conçoit du mobilier transformable, dont Permis de construire (2000), sofa convertible en jeu de construction, reste l’emblème. À chacun de ses projets au design affirmé, elle casse les codes et invite à faire communauté (maisons sylvestres pour le centre d’art Vent des forêts, école Le Blé en herbe en Bretagne, la maison écologique Dar Hi en Tunisie …).
Mathieu Lehanneur (né en 1974), la figure montante
Entre sa conception de la torche et du chaudron olympique pour Paris 2024 et la réouverture partielle du Grand Palais à Paris, au réaménagement duquel il travaille depuis dix ans, Mathieu Lehanneur, nommé « designer de l’année 2024 » par le salon Maison&Objet, a le vent en poupe. Celui qui hésitait entre étudier la médecine et les beaux-arts imagine en 2001 des Objets thérapeutiques pensés pour les patient∙e∙s et aussitôt intégrés à la collection permanente du MoMA à New York. Sa préoccupation pour la santé et le « care » (le soin) trouve une autre application dans son purificateur d’air à filtre végétal, développé avec l’université de Harvard (Andrea, 2009) et dans son dispositif céleste Demain est un autre jour (2012), poétiquement pensé pour l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Diaconesses Croix Saint-Simon, à Paris. Ses tables, bancs et tabourets Ocean Memories (2018), à la suite des Liquid Marbles (2016), et sa collection Inverted Gravity (2019), éléments de marbre flottant sur des bulles de verre, font déjà partie de ses classiques.